Le G20 s'attaquera-t-il aux vrais problèmes?

Crise mondiale — crise financière

Depuis le sommet des pays du G20 de Londres le 2 avril dernier, deux questions ont surtout retenu l'attention des chefs d'État et de gouvernement: les paradis fiscaux et la rémunération des banquiers. S'il est essentiel d'intervenir sur ces terrains, on doit reconnaître que les véritables problèmes qui sont à l'origine de la crise financière déclenchée l'an dernier, à savoir l'hypertrophie de la finance et la fragilité systémique qui en découle, sont loin d'avoir été abordés jusqu'ici et ne semblent pas devoir compter parmi ceux qui seront soumis aux débats du prochain sommet du G20, à Pittsburgh, le 20 septembre. Quelques chiffres permettent d'illustrer la croissance exorbitante de la finance au cours des dernières décennies et ses conséquences sur la vulnérabilité de l'économie.
L'hypertrophie de la finance
En 1970, selon l'hebdomadaire The Economist (24 janvier 2009), les banques d'affaires Goldman Sachs et Morgan Stanley avaient respectivement 1300 et 3500 employés. En 2008, on en comptait 30 000 chez Goldman Sachs et 55 000 chez Morgan Stanley. Selon la même source, la part du secteur des services financiers dans les profits totaux des entreprises aux États-Unis est passée de 10 % au début des années 1980 à 40 % en 2007. Sa part dans la capitalisation boursière est passée de 6 % à 23 %.
Des parts disproportionnées si on les compare aux niveaux maximums de 14 % du PIB et de 5 % des emplois du secteur privé qu'a représentés ce secteur au cours de cette période. Toujours aux États-Unis, en pourcentage du PIB, la dette du secteur privé a doublé entre 2000 et 2007. Alors qu'elle doublait chez les ménages et demeurait stable dans le secteur non financier, elle a été multipliée par 15 dans le secteur financier.
Selon le Fonds monétaire international (chiffres d'avril 2009), pour l'ensemble des pays, entre 1987 et 2008, le rapport de la dette au PIB des gouvernements et des sociétés non financières a été multiplié par 1,4, celui des ménages par 1,7, alors que celui des sociétés financières était multiplié par 3,1. En 2007, la capitalisation boursière mondiale représentait 1,2 fois le produit mondial brut; le montant total des actifs bancaires et des titres de dette privée et publique représentait 4,4 fois le produit mondial brut.
Selon la Banque des règlements internationaux (chiffres de mai 2009), le montant des transactions mondiales «de gré à gré» de produits dérivés (échappant aux marchés organisés et à tout contrôle) a atteint 684 000 milliards de dollars des États-Unis en juin 2008, soit environ 14 fois le produit mondial brut. En guise de comparaison, le montant des transactions de produits dérivés «sur les marchés organisés» était de 82 000 milliards à la même date, soit 12 % du montant des transactions de gré à gré.
Les transactions de produits dérivés sont des opérations spéculatives (contrats à terme, options d'achat ou de vente, trocs ou swaps, garanties contre la défaillance) portant sur des actifs (devises, actions, obligations, denrées) dont les prix varient en fonction de divers aléas. Par l'intermédiaire d'un puissant effet de levier, l'énorme montant de ces transactions, qui reflète la valeur des actifs sous-jacents, est le résultat d'opérations d'une envergure considérablement moindre portant sur les produits dérivés de ces actifs sous-jacents.
Selon la même source, d'un montant presque nul en 2001, les titres de garantie contre la défaillance d'actifs (credit default swaps ou CDS) ont atteint le montant de 58 000 milliards de dollars en 2007. Conçus comme des instruments de protection pour des détenteurs d'actifs, ils sont devenus principalement des instruments de spéculation aux mains de personnes qui ne détiennent pas les actifs en question. On peut en effet acheter des titres de garantie contre la défaillance d'actifs sans détenir ces actifs. Ces titres sont désignés par les initiés comme des «naked CDS». En août 2009, les «naked CDS» représentaient 80 % de tous les CDS émis.
Des crises à répétition
À la lumière de ces illustrations, on constate que la majeure partie du capital est investie dans des opérations qui ont peu à voir avec l'économie réelle, des opérations axées sur le court terme, la liquidité et le rendement, dont la valeur fluctue au gré des mouvements spéculatifs. La conséquence directe de cette hypertrophie de la finance est une grande fragilité systémique qui prédispose puissamment au développement de crises. Deux études le mettent en évidence. La première, réalisée par Luc Laeven et Fabian Valencia pour le Fonds monétaire international (septembre 2008), répertorie pour l'ensemble des pays membres 124 crises bancaires, 208 crises de change et 63 crises de défaut de paiement de la dette au cours de la période de 1970 à 2007, période de développement de l'hypertrophie financière.
La deuxième étude, réalisée en 2002 par Barry Eichengreen et Michael Bordo pour le National Bureau of Economic Research (NBER) des États-Unis, porte sur un nombre plus restreint de pays, 21 avant 1973 et 56 après 1973. Considérant trois types de crises (crises bancaires, crises de change et crises doubles), elle recense un nombre total de 139 crises survenues entre 1973 et 1997, comparativement à 38 entre 1945 et 1971.
À moins de transformations en profondeur, que l'on ne semble nullement vouloir entreprendre, il ne faut pas être devin pour prévoir que la crise actuelle, dont on annonce prématurément la fin, sera inévitablement suivie d'autres crises provoquées par les mêmes causes. À titre d'exemple, alors que la poussière n'a pas encore fini de retomber dans le secteur des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis où la crise actuelle a été déclenchée, et que les géants en faillite du refinancement hypothécaire Freddie Mac et Fannie Mae n'ont survécu que grâce au soutien gouvernemental, leur cousine Ginnie Mae se livre à son tour, avec la garantie du gouvernement, à une frénésie de prêts à risque élevé qui auront doublé en deux ans pour atteindre les 1000 milliards de dollars en 2010 selon le Wall Street Journal (11 août 2009), en route elle aussi vers le désastre.
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Louis Gill, Économiste et professeur retraité de l'UQAM


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