Quelle joute les libéraux pensaient-ils gagner en pratiquant l'aveuglement volontaire avec un dossier aussi délicat que celui de la langue? Si le bilan de santé du français traduit une certaine déchéance soutenue par des données, il faut la nommer plutôt que la taire.
Alors que la faiblesse du français à Montréal alimentait les manchettes la semaine dernière, le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a réagi en soutenant que «l'inquiétude linguistique» n'est qu'un «bouton» sur lequel certains appuient invariablement, au gré des humeurs politiques, pour alimenter la crise.
En choisissant la désinvolture, les libéraux ont réussi exactement ce qu'ils souhaitaient sans doute éviter. Malgré eux, ils ont appuyé sur le bouton et provoqué le chaos linguistique. Sur le front de la langue, il en faut peu pour enflammer les troupes. Or les dernières révélations des médias laissent croire que certains ont pratiqué -- bien maladroitement -- l'art de la cachotterie.
Le démographe Marc Termote a remis au gouvernement il y a au moins 18 mois une étude dans laquelle il estime notamment qu'en 2021, il n'y aura plus qu'une minorité qui parlera français à la maison sur l'île de Montréal. Jugeant lui-même cette tendance suffisamment importante pour qu'elle soit révélée, et vite, le chercheur s'inquiète: de ses travaux précédents, menés à la fin des années 1990, c'est désormais le scénario le plus pessimiste en matière de recul du français qui est devenu la référence.
Évoquons certains souvenirs. Au moment où Statistique Canada pointait aussi en décembre dernier une chute du français parlé à la maison et son recul à titre de langue maternelle, les libéraux de Jean Charest misaient plutôt sur les aspects positifs de l'analyse, minimisant sa facette la plus sombre. Pourtant, ils savaient.
Alors que des reportages démontraient qu'il était possible de travailler dans des commerces montréalais sans prononcer un seul mot de français, la ministre de la Culture, Christine St-Pierre, ripostait en brandissant deux pages produites par l'Office québécois de la langue française. Sans «prétention scientifique», le sondage concluait que la loi 101 était respectée dans 90 % des commerces du centre-ville montréalais. Cela l'a «rassurée». Et pourtant, elle savait.
L'automne dernier, le gouvernement a orchestré une commission parlementaire pour débattre des nouveaux seuils d'admission d'immigrants d'ici 2010. Début novembre, une hausse de 20 % a été décrétée, envers et contre tous ceux qui avaient évoqué le manque de ressources en francisation destinées aux nouveaux arrivants. Des experts l'affirment: l'étalement urbain, la sous-fécondité des Québécois et la hausse de l'immigration forment un cocktail parfait pour altérer la robustesse du français. Le gouvernement, qui savait, a pourtant réprimé un bâillement.
Privé d'un éclairage fourni par des études qui dormaient sur les tablettes gouvernementales, n'est-ce pas que le récit de ces événements est incomplet?
Et de grâce! Inutile de se réfugier derrière tous ces arguments fallacieux qui pointent vers l'ordre du jour de l'OQLF, ce chien de garde de la langue qui pourrait davantage montrer les dents. Il faudrait attendre la livraison du rapport quinquennal, fin mars, pour dévoiler du même coup une douzaine d'études? Allons donc! Cette sortie logistique ne justifie en rien un mystère de 18 mois pour des données capitales.
En mélangeant les cartes, on aura sans doute voulu noyer le poisson et étouffer une crise potentielle. Cette tactique est désormais vouée à l'échec: la bête noire, si bête il y a, n'échappera à aucune vigilance, foi de journalistes! Dommage qu'il eut fallu les médias pour rappeler aux premiers gardiens de cette langue leurs devoirs fondamentaux.
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machouinard@ledevoir.com
Le français à l'étude
Quelle joute les libéraux pensaient-ils gagner en pratiquant l'aveuglement volontaire avec un dossier aussi délicat que celui de la langue?
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