Ça vous a peut-être échappé : le Sénat à Ottawa veut forcer le gouvernement Trudeau à refaire son projet de loi sur l’accès à l’information.
Comme journaliste, j’ai foi en tout geste visant à améliorer la transparence. N’empêche, je vois dans l’offensive des sénateurs une autre preuve que cette institution, comme je l’écrivais la semaine dernière, est pourrie.
Cela d’ailleurs m’a valu d’intéressantes répliques de deux sénateurs dits « indépendants », André Pratte et Julie Miville-Dechêne. Ils ne m’ont pas convaincu. Et mon objection fondamentale, simple, demeure : leurs gestes législatifs ont un aspect antidémocratique.
Je ne nie pas que les sénateurs « indépendants » soient pleins de bonnes intentions. Mais l’enfer, comme on le sait, en est pavé. En intervenant dans le processus législatif comme ils le font, ils tiennent à faire de « meilleurs projets de loi », insiste André Pratte.
Rêve aristocratique
Désolé, mais en démocratie, ceux qui ont à définir ce qui constitue le « meilleur projet de loi », ce sont les élus du peuple. Toute la société doit évidemment participer au débat démocratique : médias, comités et commissions, etc. Mais en bout de course, ce sont aux élus de trancher, d’écrire la loi. Or, les sénateurs sont toujours nommés, à ce que je sache.
Déjà qu’avec le coup de force constitutionnel de 1982, Trudeau père a conféré un pouvoir quasi législatif aux non-élus de la Cour suprême. Avec un Sénat de plus en plus interventionniste, que restera-t-il de la capacité législative de ceux qu’on élit tous les quatre ans ? Le Dominion risque de se muer en empire des non-élus.
Cela correspondrait peut-être au vieux rêve aristocratique et moisi des fondateurs ! Un aspect duquel, pourtant, la démocratie canadienne a tenté de se distancer depuis des décennies !
M. Pratte, Mme Miville-Dechêne, si vous tenez tant à légiférer, à écrire de « meilleures lois », faites-vous élire !
J’ai remarqué d’ailleurs que Mme Miville-Dechêne soutient au passage qu’elle et ses collègues « prennent très au sérieux leur rôle constitutionnel ».
Heureusement que la reine du Canada ne fait pas de même ! Dans la constitution, tout passe par elle. Dans la réalité, les conventions constitutionnelles, fondées sur cette idée cardinale de la « légitimité » démocratique, l’ont reléguée au rôle de potiche.
Cela devrait à mon sens inspirer les sénateurs, même indépendants.
Opacité
Par ailleurs, sur le sujet soulevé plus haut, l’accès à l’information, le Sénat est mal placé pour donner quelque leçon que ce soit.
Pendant des années et encore aujourd’hui, il a fait preuve d’une opacité scandaleuse. Pour savoir que le Conseiller sénatorial à l’éthique avait tapé sur les doigts du sénateur Pratte (qui a reçu des gens dans les bureaux de son autre employeur de l’époque, Power Corporation), il aura fallu que M. Pratte rende l’avis public. Sinon, on ne l’aurait jamais su.
Les indépendants croient qu’en changeant la façon de nommer les sénateurs, Trudeau fils a instigué une « réforme sans précédent ». Malheureusement, cela s’apparente plutôt à la rénovation d’une maison construite en zone inondable et inondée à plusieurs reprises depuis 1867... Seule une réforme constitutionnelle serait acceptable. Et celle-ci pourrait bien déboucher sur une abolition pure et simple de cet anachronisme que demeure le Sénat.