Le devoir d'affirmation nationale

Chronique d'André Savard

Il est à redouter que le mouvement indépendantiste se fourvoie en opposant une démarche dite d’affirmation nationale à un cheminement référendaire. En se rangeant en fonction d’un dualisme séparant “affirmation nationale” et “démarche avec échéancier référendaire”, le mouvement indépendantiste risque d’oublier que l’Etat québécois doit être protégé.
L’action du politique au Canada est fondée sur un système acquis de contrôle et d’équilibre des pouvoirs. La table est cependant mise pour une expansion spectaculaire du Fédéral dans la mesure où le Québec est considéré comme un panier de services et où est niée la représentativité de la nation québécoise sous prétexte qu’une province n’est que l’intendante régionale des droits appartenant à tous les citoyens canadiens.
Si on perd le référendum, serons-nous livrés au triomphalisme, à l’unanimité survoltée que l’on peut rencontrer au Canada quand il s’agit de remettre le Québec à sa place. Et dans l’hypothèse où on le gagne, ne sera-t-il pas mieux d’alléguer avoir posé des gestes pour consolider notre Etat national et le pouvoir de représentation que nous avons auprès de nos citoyens?
Une citoyenneté, une Constitution québécoise qui affirment la plénitude de nos droits nationaux, quelques déclarations solennelles, ne serait-ce pas au moins des gestes? Pourquoi les souverainistes devraient-ils se limiter au prosélytisme, au domaine des arguments et des contre-arguments? Si les indépendantistes s’engluent dans un dualisme survolté opposant affirmationisme et opération référendaire avec échéancier précis, viendra le jour où Constitution québécoise et citoyenneté seront vues comme un gémissement de faiblesse.
Les souverainistes comme tout autre Québécois, ont le devoir de protéger l’Etat québécois et d’affirmer la plénitude de ses droits dans le Canada et en dehors du Canada. La différence, en ce moment, c’est que les droits de l’Etat québécois sont suspendus de force mais il appartient à l’Etat québécois de statuer pour faire valoir ses droits.
Les indépendantistes peuvent penser que peu importe ses droits suspendus puisque c’est la souveraineté qui les activera. Oui, mais en attendant peut-il nous arriver n’importe quoi? Dans cette chronique, il était écrit la semaine dernière: “On verse de plus en plus dans une détermination du pays où le Canada se voit comme un continuum essentiel et le Québec est vu comme une ramification naturelle à son système politique”.
Dans un tel contexte, les entreprises du Canada pour fondre le Québec prennent parfois des tours incroyables. Songeons par exemple à Elijah Harper, celui qui prétendait devoir refuser l’accord du lac Meech. Il déclarait aux “grands reportages” sur RDI avoir lu des versets de la Bible une avant-veille et qu’il priait pour avoir la force d’obéir à la volonté de Dieu.
Les Québécois se sont mis à craindre ces bouffées de puissance, bénies ou non par Dieu, comme le voudrait l’interprétation des Canadiens. Les Québécois désavouent l’unitarisme canadien. La perspective d’un référendum ne les réjouit pas non plus. C’est que le Fédéral prétend avoir la mainmise sur la stratégie de sortie.
C’est de notre responsabilité de prévoir autant la défaite que la victoire, ce que peut-être nous n’avons pas su faire auparavant. Au niveau des sous-comités et des groupes de réflexion, on articule quelles sont les possibilités qu’ouvre l’indépendance, et aux lendemains du référendum, gros oubli, il n’y a plus de plan, à part le plan B d’Ottawa.
Le Québec est une réalité intrinsèque. Il n’est pas une passerelle dans le continuum canadien et le gouvernement du Canada ne peut pas dire qu’il ne se reconnaît de devoir qu’envers le citoyen canadien, ce fameux rapport citoyens-Etat, que l’ancien ministre Benoît Pelletier dénonce.
On ne peut donc pas voir non plus, comme le voudraient des militants fédéralistes, le devoir d’affirmation nationale comme un simple tour de passe-passe de la part d’indépendantistes qui veulent se fournir un casus belli. Hélas, les fédéralistes et les indépendantistes, habitués à vouloir en découdre entre eux, oublient qu’au-delà de leur opposition, il y a la ruse de l’histoire au cœur même du système canadien.
Il y a des pays qui ne sont pas des vrais pays. Pensons à l’Irak, composé par Winston Churchill de trois provinces ottomanes distinctes, chiite, sunnite et Kurde. Le Québec avec ses minorités ne peut cependant être vu comme une telle configuration. Il n’appartient certainement pas au Fédéral de le présenter comme une configuration sans assise territoriale dont il est difficile de maintenir l’unité.
Les activistes canadiens se sont mis à traiter le Québec comme un concept et, au nom du citoyen canadien, leur instinct est à l’atomisation.
André Savard


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