L'opinion de Bernard Landry #72

Le déménagement

C'est ce fantastique déménagement identitaire, qui témoigne le mieux de notre avancement vers l'indépendance

L'opinion de Bernard Landry


Le premier juillet, au Québec, c'est le jour du déménagement. Ce fut pendant longtemps le premier septembre, c'est le gouvernement de René Lévesque qui a décidé de faire ce changement pour de solides (raisons) pratiques. Changer de résidence, et donc d'école pour les enfants au moment de la rentrée scolaire, créait toutes sortes de problèmes. En juin, l'année scolaire finissait, à la fin d'août, elle commençait: juillet c'était parfait, et en plus c'était le milieu de l'année. C'était donc la bonne décision, même sans arrière-pensée...
En effet, le jour choisi est aussi celui qui, pendant longtemps, fut appelé celui de la "Confédération", pour souligner l'entrée en vigueur, le premier juillet 1867, d'une loi du Parlement du Royaume-Uni: l'Acte de l'Amérique britannique du nord. Sauf que le problème, avec cette appellation, c'est que le Canada n'a jamais été une confédération, ni son gouvernement "confédéral". Il s'agissait d'une fédération centralisée jouissant de tous les moyens de l'être de plus en plus. C'est ce qu'elle a fait, et fait encore. Wilfrid Laurier avait compris cela avec une lucidité hors du commun et il a lui-même qualifié "d'immorale" le projet anglais.
Jamais la population n'a été consultée sur cette constitution, et elle ne l'aurait jamais acceptée si elle lui avait été soumise par référendum. Pas plus d'ailleurs que ce que Trudeau nous a imposé cent vingt-cinq ans plus tard, contre les volontés fermes de René Lévesque et de Claude Ryan. Décidément, il y a de la constance dans la façon dont le Canada traite le Québec. Trudeau en a même remis en disant que "cette constitution va durer mille ans". Cette phrase reprenait celle d'un odieux personnage historique allemand auquel Trudeau, malgré le tort immense qu'il a fait au Québec et même au Canada, ne peut évidemment pas être comparé, même de loin.
Le premier juillet s'appelle donc maintenant "fête du Canada-Canada day". Dans la capitale fédérale, et même parfois au Québec, retentissent des "happy birthday Canada-bonne fête Canada". Cela est une erreur historique grave et insultante en plus. Laisser entendre que le Canada est né d'une loi anglaise en 1867, efface de l'histoire des siècles de courageux efforts de fondation de nos valeureux ancêtres, les anciens Canadiens.
À preuve, ces paysans et paysannes, en particulier après le retour en France des aristocrates suite à la conquête britannique, se désignaient déjà comme des Canadiens. Comment cela se pourrait-il si le Canada était né en 1867? Le moins que l'on puisse dire, c'est que les "Canadians" ne sont pas érudits en histoire, ou, hypothèse plus vraisemblable, cherchent à en effacer une partie. Nos grands-parents se désignaient encore comme Canadiens de même que leurs ancêtres, habitants du Canada avant la fausse confédération.
Mais un déménagement identitaire a eu lieu depuis, et il convient d'y songer profondément chaque premier juillet à l'occasion de l'autre déménagement. Nos ancêtres ont aimé le Canada, et pour cause, car en vérité c'est du Québec qu'il s'agissait. Quand ils chantaient "Au Canada, mon pays, mes anours", ils ne pensaient pas à Saskatoon ou Moose Jaw. La sublime chanson "Un Canadien errant, banni de ses foyers...", était un hommage aux patriotes exilés par les Anglais en raison de leurs combats pour la démocratie et l'indépendance du Bas-Canada, en fait le Québec d'aujourd'hui. Même chose pour "On est Canayens ou ben on l'est pas", c'est du Québec et des Québécois qu'il s'agissait.
J'ai chanté moi-même "O Canada" avec ardeur chaque matin à l'école primaire. Cet hymne était en fait celui du Québec, composé par Calixa Lavallée à la demande de la Société Saint-Jean-Baptiste. Je savais déjà parfaitement à cet âge tendre, que "près du fleuve géant" n'avait rien à voir avec le Mackenzie ni le Fraser! C'est le magnifique Saint-Laurent, que l'on chantait.
Nous sommes donc passés, et ce "nous" est évidemment inclusif, de Canadiens à Canadiens-Français, la nécessité nous ayant obligés à le faire, puis ensuite, à Québécois, notre vrai beau nom d'aujourd'hui. 70% d'entre nous se considèrent maintenant comme Québécois, et moins de 10% comme Canadiens. C'est ce fantastique déménagement identitaire, qui témoigne le mieux de notre avancement vers l'indépendance.
Le plus tôt possible, ayant déménagé constitutionnellement de pays, nous n'aurons plus à nous préoccuper du premier juillet, sauf pour changer de résidence. Nous le laisserons aux "Canadians" qui l'appelleront bien cette fois comme ils voudront!
Bernard Landry


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé