Le débat de cons

Cette guerre tous azimuts contre le privé est une mauvaise bataille, parce qu'on se bat contre l'inévitable au lieu de concentrer les énergies pour combattre l'inacceptable.

"la logique des faits" - Attention: chien méchant


Il est parfaitement légitime de s'inquiéter des effets d'une présence accrue du secteur privé dans le monde de la santé. Il s'agit là d'une réflexion importante. Car un virage vers le privé comporte des avantages, mais pose aussi des risques et peut mener à des dérives.



Mais ceux qui militent avec le plus d'ardeur contre une place croissante du privé au Québec sont en train de nous entraîner dans un véritable débat de cons, un débat surréaliste, où l'on quitte allègrement la logique des faits. Et cela ne sert personne.
On en a eu un très bel exemple, cette semaine, avec l'émoi provoqué par la tenue d'une rencontre sur la santé à Saint-Sauveur, le World Health Executive Forum, qu'on a qualifié de «Davos de la santé» et que l'on a décrit comme une rencontre internationale de décideurs qui, derrière des portes closes, feraient la promotion du privé en santé. Assez pour que la FTQ ou Québec solidaire manifestent contre la tenue de l'événement.
Faites le même test que moi. Allez sur Google. Cherchez «World Economic Forum», le vrai Davos. Et vous trouverez 1,9 million de références. Tapez maintenant «World Health Executive Forum». Le nombre d'entrées passe à 947, qui se réduisent à 75 lorsqu'on élimine les redondances. Nous ne sommes pas en présence d'un événement international d'envergure.
En fait, ce forum est un événement organisé par une entreprise montréalaise, Perform, qui se spécialise dans l'organisation de conférences et qui a choisi un nom ronflant qui donnerait du prestige à son événement. C'est une rencontre québécoise. On y invite cependant des spécialistes d'ailleurs dans le monde, ce qui en fait un événement de haut niveau. Mais ce n'est certainement pas un lieu de décision international.
Pourquoi alors tout le ramdam? Parce que rien de tel qu'une rencontre internationale derrière des portes closes pour alimenter les théories du complot et raviver les ardeurs militantes. Ou encore des efforts pour transformer le privé en épouvantail.
C'est le cas de l'espèce de chasse aux sorcières pour débusquer tout ce qui peut ressembler à du privé, bien exprimée par la présidente de la CSN, Mme Claudette Carbonneau: «On constate une offensive orchestrée vers le privé. Après l'hôpital du Sacré-Coeur à Montréal, La Presse rapportait, en fin de semaine, que le CHUM lorgne aussi du côté du privé pour faire traiter certains patients.»
De quoi s'agit-il? Le CHUM discute avec ses médecins pour traiter certains cas en clinique, en ophtalmologie et en gastroentérologie. Bref, les médecins du CHUM, au lieu de traiter leurs patients au CHUM, le feraient dans leur propre clinique. Il s'agit des mêmes médecins, des mêmes patients, des mêmes listes d'attente, des mêmes prix, c'est à dire zéro. Tout ce qui change, c'est le lieu où aurait lieu l'intervention: sur la rue untel plutôt que sur l'étage d'un hôpital.
Méchant débat de société! D'autant plus qu'on suppose que bien des gens préféreront aller dans une clinique, parce que c'est moins intimidant, plus convivial, et parce qu'il y aura moins de microbes.
Cette croisade joue sur la confusion. Le mot «privé», sans autre précision, ne veut rien dire. Nos médecins sont en pratique privée depuis toujours, et leurs cliniques sont privées. Et pourtant, quand on va voir son médecin, on ne dit pas qu'on s'en va au privé, parce qu'on s'entend pour dire qu'un acte médical encadré par le régime public, qui respecte les principes d'universalité et de gratuité, est dans la sphère publique. C'est exactement la même chose pour le projet du CHUM.
On ne peut pas s'empêcher de voir dans ces dérives l'inquiétude de militants, surtout syndicaux, qui sentent que le vent tourne et qui réagissent par la fuite en avant. Les pressions en faveur du privé sont en effet puissantes. En raison des contraintes financières qui pèsent sur le système, parce qu'on croit moins qu'avant aux vertus d'un monopole d'État, mais aussi parce que le Canada se dirige doucement vers des pratiques acceptées partout en Occident.
On n'en est plus au stade où l'on doit se demander si on est pour ou contre le privé. Il faut plutôt se demander comment encadrer les pratiques privées, pour qu'elles servent le bien public, qu'elles améliorent la qualité de notre système de santé et bien sur, pour en empêcher les abus. Dans le climat d'hystérie actuel, ce débat n'a pas lieu, ce qui favorise la multiplication des pratiques souterraines et les initiatives désordonnées.
Cette guerre tous azimuts contre le privé est une mauvaise bataille, parce qu'on se bat contre l'inévitable au lieu de concentrer les énergies pour combattre l'inacceptable.
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