Réponse à ACD

Le cœur du problème

L’intérêt d’une réappropriation de notre identité, de la nationalité canadienne-française, vise précisément à sortir de cette impasse

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Tribune libre

Votre conception de la québécitude peut être partagée pas vos « gens » ou vos proches, elle n’en est pas moins contraire à celle définie par les lois québécoises. Elle est contraire à notre État de droit.


Et là se trouve le cœur du problème.


Car il ne peut y avoir pareille équivoque dans une lutte nationale. S’il vous faut, dès le départ, discriminer qui, parmi tous les Québécois, se trouve concerné par votre « juste » québécitude, s’il vous faut user, dès que vous sortez de vos cercles d’initiés, de périphrases du type : « Québécois francophones majoritaires de souche » ou de l’ineffable « tricotés-serrés », c’est perdu d’avance.


Vous n’en finirez jamais de débattre avec ceux qui défendent, à bon droit, une québécitude progressiste. Vous demeurerez tels que vous êtes, nains politiques totalement marginalisés, pour au final, compte tenu d’une évolution démographique maintenant inéluctable, voir votre « nationalisme québécois » ne rassembler que des gérants d’estrade vieillissants, appointés ou non, commentant l’actualité en se citant l’un l’autre.


Or, l’intérêt d’une réappropriation de notre identité, de la nationalité canadienne-française, vise précisément à sortir de cette impasse.


En mettant de côté les préjugés grossiers colportés à l’encontre de la nation canadienne-française par ceux-là même qui ont inventé la Grande Noirceur (le Canadien-Français n’est pas fédéraliste de nature pas plus qu'un « rongeux » de balustre), il devrait être évident que la nation de nos pères possède un plus riche bagage identitaire. Un patrimoine duquel ils tirèrent une extraordinaire résilience, tant par les profondes racines françaises, chrétiennes et gréco-latines qu’il recèle, que par le vaste champ d’expressions et d’expériences apporté par une diaspora au déploiement continental ancien (et c’est cela, je crois, que Soublière veut souligner dans son dernier roman en considérant que l’identité canadienne-française peut nourrir un imaginaire plus fécond).


Quand on connaît le Québec d’un Charleboiscope qui n’en finit plus de tourner sur lui-même, celui des Céline ou du Cirque du Soleil « Lost in Translation » ou celui de Tout le monde en parle, bref, le pauvre bagage identitaire du Québec actuel, c’est vrai qu’on peut avoir soif d’autre chose.


Mais, me direz-vous, ce qui vous botte, c’est le politique. Là encore pourtant, l’avantage canadien-français devrait vous paraître évident.


Comme vous le rappelez, Jacques Cartier a pris possession du Canada [français] en 1534, il l’a même circonscrit en arrêtant son exploration à la grande région de Montréal. Ce fut pour la nation canadienne-française le point d’origine de ses droits en terre d’Amérique. Depuis lors, génération après génération, nous avons choisi de demeurer distincts de l’Autre, catholiques et français, de demeurer Canadiens-Français en conservant et développant sur notre territoire des institutions à notre image (ce qui ne veut pas dire que nombre d’étrangers n’ont pas pu choisir de devenir Canadiens-Français et d'être acceptés comme tels, bien au contraire).


Nous le fîmes tant et si bien que, des années 1920 aux années 1960, nous avons pu œuvrer à l’obtention d’un État national canadien-français. Plus que préserver les compétences provinciales exclusives du Québec, cela impliquait de s’imposer sur le terrain des prérogatives régaliennes qui vous sont si chères.


Si nous ambitionnions de le faire, c’est parce que nous pouvions y prétendre, soit à titre de co-fondateurs d’un Canada plurinational, soit plus encore, en tant qu’héritiers d’un Canada-Français qui avait certes été conquis, mais qui avait néanmoins perduré et grandit en refusant l’assimilation au Canada britannique à laquelle il était logiquement destiné. Un constat qu’on peut retrouver dans le Rapport Tremblay de 1953-56, et qu’on finit par proclamer en 1967 lors des États généraux du Canada français. Beau jeu était alors le nôtre, puisque nous étions en pleine période de démantèlement des grands empires coloniaux.


Mais curieusement, en l’année 1968, on nous fait basculer dans la provinciale québécitude, au détriment d'une franche affirmation politique de notre nationalité séculaire, reniant ainsi la seule chose qui pouvait justifier une pleine souveraineté de l’État québécois, ou du moins, l'élévation de ce dernier au rang d'État national formellement reconnu. On ruinait du coup deux siècles de lutte opiniâtre.


Car la « nation » québécoise, elle, trouve bien son origine et sa légitimité dans la Conquête, dans l’établissement d’une administration coloniale – la Province of Quebec – à partir de laquelle se développera la fédération canadienne, le Dominion du Canada. Une province qui visait et qui vise toujours à permettre à des citoyens britanniques (devenus « canadians ») de vivre sans trop de désagréments dans un environnement encore majoritairement français de culture, le temps que, par immigration, acculturation ou assimilation, ce ne soit plus le cas. Voilà pourquoi les lois 101 et 99 sont si perfides, pourquoi elles ne modifient en rien l’inégale cohabitation obligée entre vainqueurs et vaincus, nous rendant si inconsidérément magnanimes envers la communauté anglophone, voilà pourquoi elles ne sont que poudre aux yeux en visant à masquer, dans une fausse sécurité, dans Le confort et l'indifférence, le dernier stade de notre déclin politique et démographique.


En l'état actuel, le gouvernement Legault n’y pourra rien changer. Au mieux pourra-t-il ralentir le processus jusqu’à ce que, tôt ou tard, il perde le pouvoir. Tant que la préservation de la nation canadienne-française ne sera pas inscrite dans nos législations, les nationalistes ne pourront rien faire que de donner dans l’historique et le folklorique. Et même ça, cette célébration de notre histoire et de notre culture, si nécessaire à toute vie nationale, n’est plus vraiment à notre portée depuis que les tenants de la québécitude cherchent à biffer notre singularité nationale en moussant, par des récits historiques croisés tissant une trame des plus inclusives, une diversité québécoise rétroactive et totalement anachronique. Nous serons bientôt dépossédés de tout.


50 ans de « souverainisme québécois » nous ont menés à une dénationalisation en phase terminale et à une minorisation prévisible d’ici 15 ans. Ne comprenez-vous pas que l’imposture va bien plus loin qu’une question de chef, de parti ou de référendum?


P.S.


Bien que peu courant, le vocable « Canadien-Français », apparaît bien à la fin du 18e siècle. Avant la Conquête, Lafitau (1724) et Charlevoix [1721] utilisaient la forme première : « Français Canadiens » (et on devrait comprendre l’inversion qui se produit après 1763). La traduction anglaise du Journal d'un voyage fait par ordre du Roi dans l'Amérique Septentrionale en 1761 donnera d’ailleurs « French Canadians » sous lequel les Américains nous reconnaissent encore. Ce Charlevoix, tout comme Hennepin (1698), avait aussi recours au terme « Français du Canada » pour nous nommer sans équivoque aucune. Et enfin, dans son Histoire et Description générale de la Nouvelle-France de 1744, on peut même lire : « Québec, capitale du Canada Français ».


P.P.S.


La graphie « Canadiens-Français » domine au 19e siècle. Elle exprime une conception foncièrement binationale du Canada, ou, pour mieux dire, elle affirme le maintien de la coexistence de deux Canadas. Elle ne sera normalisée en « Canadiens français » que dans le premier quart du 20e siècle au profit d’une canadianité plus unitaire, un parti-pris consensuel conforté par un certain catholicisme libéral qui en mènera plusieurs de l’anti-impérialisme au bon-ententisme, au biculturalisme, puis au multiculturalisme (ou au néo-nationalisme). Dans cette dernière phase d’effacement, on parle alors de « Canadiens francophones » (ou de « Québécois francophones »).



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2 commentaires

  • Catherine Doucet Répondre

    19 mars 2019

    Il y a tant d'idées à mette en ordre! Est-ce qu'on s'entend pour dire qu'il a existé un Canada qui a été découvert et colonisé au nom du roi de France? Est-ce qu'on s'entend pour dire qu'identité nationale et vérité historique sont indissociables?


    Ce n'est pas une question d'ethnicité ou de fédéralisme, c'est une question de récit.


    Il y a le récit de l'aventure qui commence avec Jacques Cartier.


    Il y a le récit de l'aventure qui commence avec René Lévesque,


    Chacun de ces récits a donné naissance à une identité nationale dont la deuxième n'est pas le prolongement de la première puisqu'elle a été créée justement pour rompre avec celle qui la précédait..


    À tel point qu'après 50 ans nous avons presque complètement perdu notre culture, oublié notre Histoire, et que c'est à peine si nous possédons encore notre langue. 


    Est-ce que c'est vrai? Est-ce que c'est grave? Est-ce que l'hypothétique indépendance de l'État québécois règlerait le problème?


    Pour moi, être Canadienne Française, c'est répondre oui aux deux premières questions, et non à la troisième. Pour moi être Canadienne Française, c'est regarder courageusement le coeur du problème, et l'exposer clairement. Qu'en pense Vigile? Il y a un immense chantier qui nous attend. Et la vie est si courte!



  • Alexandre Cormier-Denis Répondre

    18 mars 2019

    Vous ne faites que confirmer mes dires.



    Redevenir tout simplement Canadien français implique un retour à cette idée sympathique mais mensongère que le Canada est un pays binational, croyance partagée par les seuls fédéralistes québécois.


    Le Canada n'est pas composé de deux peuples fondateurs, mais de 10 États provinciaux et de trois territoires. La pleurnicherie sur le caractère binational du pays est une tartufferie fédéraliste pour nous maintenir dans une impression de légitimité par rapport à l'ordre canadien.


    Vous pouvez négocier une reconnaissance ethnique par Ottawa ou Québec, cela ne changera rien à la marginalisation démographique que nous subissons. Pour stopper la noyade, il faut que notre État national rappatrie au maximum les pouvoirs d'immigration.


    Le Canada anglais est en plein suicide démographique et nous entraîne avec lui dans sa pulsion de mort. D'ici 2050, les Blancs seront minoritaires au Canada, seuls le Québec et les Maritimes seront relativement préservés du Grand Remplacement. Bientôt, nous n'affronteront plus des WASP, mais bien des communautés ethniques anglicisées cherchant à tirer profit de l'ordre multiculturel imposé par Trudeau père.



    À court terme, notre seul objectif est d'arrêter cette déferlante migratoire. Je ne suis pas sûr que défendre explicitement le nationalisme ethnique comme vous le faîtes soit très payant de ce point de vue. Aucun politicien ne se lancera explicitement dans la défense de la « race canadienne-française ».


    Il nous faudra ruser outrement plus intelligement que nous avons été habitués à le faire depuis les cinquante dernières années.


    Quant à l'affirmation que le Québec est le produit d'un découpage territorial arbitraire de l'Empire britannique, personne ne le nie. Il n'en demeure pas moins que c'est l'État où nous sommes majoritaires et sur lequel repose notre volonté de puissance.


    À moin de vouloir déclarer la guerre aux États-Unis pour reprendre la Nouvelle-Orléans ou Détroit, il nous faudra faire avec cet État national qu'est le Québec.



    P.S. : Ce sont justement les États généraux du Canada français qui statuent officiellement sur la graphie du terme Canadien français.



    P.P.S. : Dans la recherche de notre identité véritable, pourquoi ne pas revenir tout simplement à Canadiens, comme le suggère certains idéologues de l'américanité ?