Toute société vit périodiquement un conflit, qui frappe les imaginations et devient ensuite une sorte de point de repère. Au fil des décennies, la grève de l’amiante, celle des réalisateurs de Radio-Canada ou encore des travailleurs de la United Aircraft ont marqué le Québec.
La grève étudiante pourrait bien devenir un de ces points de repère. Ce qui se voulait au départ une simple mesure de redressement budgétaire a eu l’effet d’un catalyseur des frustrations de ceux qui en ont assez d’entendre les « lucides » associer à l’immobilisme ou au statu quo les valeurs sociales-démocrates héritées de la Révolution tranquille.
Il était dans l’ordre que Lucien Bouchard ait senti le besoin d’intervenir dans le débat, la semaine dernière. Bien avant la publication du célèbre Manifeste, c’est le sommet convoqué en 1996 pour lancer la croisade du déficit zéro qui avait inauguré l’ère des lucides, que le gouvernement Charest a tenté de perpétuer tant bien que mal.
Il est vrai que la réhabilitation progressive du discours « solidaire » dans l’opinion publique est antérieure au conflit étudiant. La crise financière mondiale, qui a revalorisé le rôle de l’État de façon spectaculaire, le mouvement des « indignés », les politiques de droite imposées par le gouvernement Harper ont troublé les esprits, mais le carré rouge a clairement favorisé la jonction de ce qu’on appelait jadis les « forces vives ».
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Le discours de Pauline Marois a suivi une trajectoire parallèle. Quand elle a succédé à André Boisclair au printemps 2007, la chef du PQ, ébranlée par l’ascension fulgurante de l’ADQ, était très tentée par le discours lucide, mais elle a vite réalisé le risque que cela comportait pour son leadership.
Son réalignement idéologique lui a été largement imposé de l’extérieur. Pendant que les péquistes tentaient d’accorder leurs violons, François Legault a occupé le terrain laissé vacant par la déconfiture adéquiste. Le congrès péquiste d’avril 2011 a simplement pris acte de cette situation en adoptant un programme résolument progressiste.
Sur les droits de scolarité, les délégués avaient résolu qu’un gouvernement péquiste « rétablira le gel à la fin de la hausse 2007-2012 jusqu’à la tenue du sommet sur l’enseignement supérieur et l’adoption d’une loi-cadre qui régira les droits de scolarité et autres frais afférents ». Avec son gel indexé, Pauline Marois a finalement adopté une position moins radicale que ce qui avait été décidé.
Le premier ministre Charest a néanmoins raison de noter que Mme Marois cherche à transformer la signification du carré rouge. Il y a encore deux semaines, elle l’associait uniquement à l’opposition à la hausse des droits de scolarité. Hier, elle y voyait plus largement un symbole d’« équité ».
À l’ouverture du conseil national de son parti, samedi dernier, elle a déclaré qu’aux prochaines élections, les Québécois auront à choisir entre le « chacun pour soi » et la « culture de l’entraide ».
Clairement, le PQ n’entend pas céder à Québec solidaire la direction politique de ceux qui sont d’avis que la justice sociale doit demeurer la pierre d’assise du Québec de demain.
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Cela vaut non seulement pour les prochaines élections, mais aussi pour un éventuel référendum. Dans son discours au conseil national, elle a également évoqué cet « autre choix » qu’il faudra faire, entre le Québec et le Canada.
Dans cette perspective, Mme Marois croit manifestement que l’appui des jeunes, plus particulièrement des étudiants, vaut le risque d’être accusée de cautionner la violence. Depuis le début de la semaine, la chef péquiste a pris bien soin de ne pas commenter le contenu de l’entente intervenue samedi, mais elle refuse toujours d’inviter les grévistes à retourner en classe ou à laisser ceux qui désirent être libres de le faire.
Bien entendu, il se trouvera toujours des gens comme Pierre Reid pour trouver que les grévistes ne prennent pas leurs études au sérieux. Tous ne le diront pas aussi candidement, mais M. Reid a eu le temps au cours de sa brève carrière ministérielle de démontrer les limites de son jugement.
Les commentaires provocants qui ont suivi l’annonce de l’entente ne sauraient expliquer à eux seuls son rejet massif par les associations étudiantes. Si tant de jeunes sont disposés à sacrifier leur session, c’est manifestement qu’ils ont le sentiment de défendre une cause qui dépasse leurs intérêts individuels.
Une fois franchi ce « cap psychologique » qu’évoquait hier le président de la FECQ, Léo Bureau-Blouin, qui dit avoir sous-estimé la détermination des étudiants, la sortie de crise pourrait être plus ardue. À partir du moment où les grévistes n’auront plus rien à perdre, ils seront encore plus exigeants, avec les risques de dérapage que cela implique.
Le gouvernement est manifestement dépassé par les événements, mais cela semble presque un moindre mal, quand on entend la CAQ réclamer que l’accès aux salles de cours soit assuré coûte que coûte.
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