Le Canada, puissance militaire

Nouvel Ordre mondial



Le Canada est devenu une puissance militaire et donne toutes les indications de vouloir la projeter dans le monde.
PHOTO: MURRAY BREWSTER, PC


La nouvelle n'a pas fait grand bruit. Le Canada aura bientôt des points d'appui militaires à différents endroits sur la planète. Il veut se donner une nouvelle souplesse pour intervenir un peu partout et jouer dans la cour des grands afin de peser sur les décisions. Ce positionnement militaire et diplomatique est justifié à bien des égards, mais il mériterait d'être débattu publiquement.
La semaine dernière, dans Le Devoir, le journaliste spécialisé en affaires militaires, Alec Castonguay, décrivait un projet d'Ottawa d'établir des bases permanentes et des points d'appui sur cinq continents. Baptisée Réseau de soutien opérationnel, cette structure permettra aux Forces canadiennes de disposer de relais dans au moins sept pays dont la valeur stratégique est en adéquation avec la défense des intérêts nationaux et des engagements internationaux du pays. Ottawa a déjà conclu des ententes avec l'Allemagne et la Jamaïque, et négocie activement avec le Koweït, le Sénégal, le Kenya (ou la Tanzanie), Singapour et la Corée du Sud.
Le ministre de la Défense, Peter MacKay, a confirmé les informations du journaliste en soulignant la nécessité pour le Canada d'anticiper les développements futurs sur la scène internationale. Il n'a pas tort. Pour tous ceux qui s'intéressent aux affaires internationales, les surprises sont toujours au rendez-vous, comme le démontre la dernière décennie. Avant le 11 septembre 2001, le Canada intervenait dans des crises aux enjeux limités: Haïti, Somalie, Bosnie, Kosovo. Dans tous ces endroits, le mandat comme la mission et, parfois, la proximité rendaient les déploiements réalisables, tant sur le plan logistique qu'humain.
Après le 11 septembre, la donne a changé. On semble l'oublier, mais le Canada est en guerre permanente. Depuis 10 ans, il maintient des troupes en Afghanistan, et la nouvelle mission d'appui aux forces afghanes devrait prolonger cette présence d'encore quatre ans, sinon plus. Pour soutenir cet engagement, et après notre expulsion des Émirats arabes unis, le Koweït offre la possibilité d'établir une présence solide dans une région de plus en plus agitée (Iran et Pakistan) et vitale pour l'économie mondiale (pétrole) où même la France vient d'ouvrir une base permanente. En Amérique centrale, la Jamaïque se justifie compte tenu des interventions répétées du Canada en Haïti ou lors de désastres naturels.
La négociation de points d'appui en Afrique, une première pour le Canada, n'a également rien de surprenant. Dans l'ouest du continent, elle découle d'un constat, partagée aussi dans les capitales occidentales: les pressions conjuguées des activités terroristes dans la bande sahélienne, qui s'étire de la Mauritanie jusqu'au Soudan, et du trafic de drogue dans le golfe de Guinée, menacent la stabilité des États et la sécurité occidentale, d'où le choix du Sénégal. En Afrique de l'Est, la situation est tout aussi dangereuse. La Somalie est plongée dans une guerre civile depuis 20 ans alors que l'Érythrée est entrée dans la catégorie des États voyous en raison de ses liens avec le Soudan et de son appui aux mouvements de déstabilisation en Somalie, en Éthiopie et à Djibouti. Enfin, le Yémen, en face de la corne de l'Afrique, est en train de sombrer. Ces trois pays ont en commun de longer la mer Rouge, voie d'accès au canal de Suez, d'où l'intérêt des occidentaux à surveiller la région à partir du Kenya ou de la Tanzanie.
Avec un budget de défense atteignant 21 milliards de dollars (le sixième budget des pays de l'OTAN), 10 ans d'expérience de combat en Afghanistan, la création récente d'un comité du cabinet sur la sécurité nationale et une doctrine militaire musclée héritée du général Rick Hillier, le Canada est devenu une puissance militaire et donne toutes les indications de vouloir la projeter dans le monde. Ce positionnement a le mérite de la cohérence. Répond-il aux sentiments des Canadiens? Un débat public éclaircirait les choses.
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Jocelyn Coulon
L'auteur (j.coulon@umontreal.ca) est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, affilié au CÉRIUM.


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