Le Canada à vendre?

17. Actualité archives 2007


Au moment où le Groupe Jean Coutu parvient à s'extirper du bourbier américain avec un minimum de dégâts, la société papetière québécoise Domtar passe sous le contrôle d'intérêts américains.
Depuis le début de l'été, on ne compte plus le nombre d'entreprises canadiennes acquises par des étrangers. Avant Domtar, il y a eu la minière Falconbridge, la brasserie Sleeman, les aciéries Dofasco, Sico, Intrawest, ATI Technologies, sans compter la vénérable compagnie de la Baie d'Hudson, et on pourrait continuer la liste longtemps.
Devant cette avalanche d'acquisitions, on peut bien se demander si le Canada n'est pas en train de se vendre aux étrangers.
Malgré les apparences, la réponse est non, pour plusieurs raisons.
Les étrangers achètent des entreprises canadiennes, c'est vrai, mais les Canadiens achètent aussi des entreprises étrangères. Et c'est précisément parce que les choses se passent de cette façon que Jean Coutu réussit à sauver les meubles à la suite de son aventure américaine.
D'abord, un coup d'oeil sur les chiffres.
Une compilation réalisée par la banque d'investissement Crosbie, de Toronto, maison spécialisée dans ce genre de question, montre qu'au cours des six premiers mois de 2006, les Canadiens ont acheté 267 compagnies étrangères, pour une valeur totale de 31,4 milliards. Aux États-Unis seulement, les acquisitions canadiennes comprennent 130 entreprises d'une valeur totale de 18,3 milliards. Pendant la même période, les étrangers ont acheté 93 compagnies canadiennes, d'une valeur totale de 48,7 milliards; les Américains ont acquis 42 de ces entreprises, au coût total de 20,5 milliards. Autrement dit, si on regarde la valeur des entreprises en cause, le Canada est perdant. En revanche, si on considère le nombre de transactions, le Canada est gagnant. Il va de soi, par ailleurs que les chiffres peuvent varier considérablement d'une année à l'autre. Ainsi, pour la même période en 2005, le portrait était fort différent: de janvier à juin 2005, le Canada a acheté quatre fois plus d'entreprises américaines que les États-Unis ont acheté d'entreprises canadiennes, et la valeur des achats canadiens dépassait de 36% la valeur des achats américains. Ces chiffres nous disent clairement que les acquisitions d'entreprises jouent dans les deux sens.
D'autre part, les investisseurs institutionnels canadiens prennent des participations massives dans des sociétés étrangères. L'exemple de la Caisse de dépôt et placement du Québec, le "bas de laine des Québécois", est frappant. Le portefeuille d'actions de la Caisse a une valeur de 49,2 milliards, ce qui représente 30% de son portefeuille total. Sur ce montant, on compte 33,6 milliards d'actions étrangères et seulement 15,6 milliards d'actions canadiennes.
Si les entreprises et les investisseurs canadiens peuvent librement acheter à l'étranger, il va de soi que le Canada doit aussi permettre aux étrangers d'acheter au Canada.
Et c'est parce que les Canadiens peuvent prendre d'importantes participations dans des compagnies américaines que le Groupe Jean Coutu a pu se débarasser du boulet Eckerd avec un minimum de dégâts. Après la brillante réussite que l'on sait sur le marché canadien, PJC s'est lancé en 1994 à l'assaut du marché américain, au début avec un succès certain. Mais en 2004, l'entreprise avale une énorme bouchée: le réseau de pharmacies Eckerd, comptant plus de 1500 établissements. Or, PJC ne réussira jamais à relancer Eckerd malgré des efforts considérables. En Bourse, les investisseurs ont d'ailleurs jugé très sévèrement la situation, et le titre de la compagnie a subi une forte dégringolade.
Deux ans plus tard, la priorité de PJC était de se sortir de ce gouffre financier. C'est maintenant chose faite. La compagnie québécoise a vendu tout son réseau américain à la chaîne Rite Aid. Certes, pour ce fleuron du monde québécois des affaires, la pilule est dure à avaler. La transaction prévoit que PJC devient le principal actionnaire de Rite Aid, avec une participation de 32% évaluée à l,1 milliard.
Sans nul doute, la compagnie québécoise aurait préféré du comptant. Mais elle aurait pu attendre longtemps. Au total, si le dénouement de l'aventure n'est pas très grandiose, il permet au moins à PJC de demeurer un géant sur le marché canadien et un acteur important sur le marché américain, ce qui n'est pas rien. Il va de soi qu'une telle issue n'aurait pas été possible dans un monde où les entreprises ne pourraient pas acheter d'actions étrangères. Premièrement, PJC n'aurait jamais pu acheter des pharmacies aux États-Unis. Même en admettant que la compagnie ait pu le faire, elle n'aurait sans doute pas pu sauver les meubles aussi facilement, puisque la transaction comprend, comme on l'a vu, une participation importante dans Rite Aid.
Notons enfin que l'acquisition d'entreprises canadiennes ne comporte pas que des mauvais côtés. Domtar renonce à sa "citoyenneté" canadienne, mais elle devient le plus important producteur nord-américain de papiers fins et, surtout, la transaction avec son acheteur américain lui permet d'améliorer sa situation financière, ce dont l'entreprise avait bien besoin. Ce n'est pas pour rien que les syndicats de Domtar ont accueilli la nouvelle avec satisfaction.
D'un point de vue québécois, l'acquisition de Sleeman par le géant japonais Sapporo peut rapporter gros. Sleeman avait déjà acquis Unibroue, de Chambly, reconnue pour ses bières de spécialité, mais qui étouffe dans un marché trop étroit. L'arrivée de Sapporo dans le décor mettra la Blanche de Chambly et la Maudite à la portée de centaines de millions de consommateurs du monde entier.


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