Le boss

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Néron joue du violon pendant que Rome brûle

Le premier ministre Couillard savait parfaitement à quoi s’attendre quand il a confié le ministère de la Santé à Gaétan Barrette, qui lui avait clairement expliqué la façon dont il entendait se comporter.

Il était d’autant plus important pour M. Barrette qu’il n’y ait aucune ambiguïté que la gouvernance très interventionniste qu’il voulait imposer au réseau était aux antipodes de ce que M. Couillard lui-même préconisait.

Fort de son expérience de cinq ans au ministère de la Santé, il avait exposé sa vision des choses en décembre 2011 à l’occasion d’un déjeuner-conférence à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. « Est-ce vraiment une bonne chose que le ministre de la Santé soit le dirigeant ultime du système de santé lui-même, ou est-ce qu’il ne devrait pas, comme élu, être parmi ceux qui évaluent les résultats du système et posent également des questions par rapport aux objectifs qu’il, comme homme ou femme politique, aura déterminés ? » avait-il demandé.

Précisément parce qu’il voyait très bien le risque d’ingérence politique, M. Couillard proposait même de retirer la gestion quotidienne du réseau des mains du ministre pour la confier à une société d’État indépendante du gouvernement. Manifestement, il s’inquiétait de la tendance à la microgestion mise en place par son successeur, Yves Bolduc.

L’ingérence est au contrairele mode de gestion privilégiée par M. Barrette, qui lui a même donné une assise légale par le projet de loi 10. Les propos que lui prête l’ancien recteur de l’Université Laval, Michel Gervais, dans la lettre ouverte qu’il a publiée pour expliquer les raisons de sa démission du conseil d’administration du CHUM, sont limpides : « Désormais, il y aura un boss à la Santé, et c’est moi ! »


Le phénomène du « bossisme » au niveau municipal, notamment aux États-Unis, a été abondamment documenté. Le Québec n’y a pas échappé, le « boss » le plus célèbre étant Camillien Houde, tour à tour député à l’Assemblée législative du Québec, chef du Parti conservateur du Québec, maire de Montréal et député à la Chambre des communes.

On pourrait dire que M. Barrette tente actuellement de transposer la recette au secteur médical. Alors que les grands « boss » municipaux se présentaient comme les protecteurs des masses populaires issues de l’industrialisation, le ministre de la Santé s’appuie sur une population qui désespère d’avoir accès à un médecin. Comme eux, il s’est également donné les moyens de placer les personnes de son choix aux postes stratégiques qui lui assureront le contrôle de la « machine ».

Pour faire place à M. Barrette, le premier ministre avait déjà commis une faute en mutant Yves Bolduc au ministère de l’Éducation, alors qu’il n’avait visiblement pas la compétence requise. Voilà maintenant qu’il a créé un monstre, dont le power trip ébranle un des piliers du réseau de la santé. M. Couillard est donc le responsable ultime de la démission du directeur général du CHUM, Jacques Turgeon, qui est tenu en grande estime. On comprend qu’il fasse actuellement des pieds et des mains pour le convaincre de revenir sur sa décision.


De toute évidence, cette crise est bien plus qu’une simple « chicane de docteurs », comme M. Barrette voudrait le faire croire. Lui-même est d’ailleurs le seul médecin parmi les principaux protagonistes. Il serait plus juste de parler d’une révolte du milieu de la santé contre les diktats d’un ministre abusif.

Il n’est certainement pas question pour le gouvernement de convoquer la commission parlementaire réclamée par Amir Khadir, dans la mesure où il s’agirait en quelque sorte d’une reprise du débat sur le projet de loi 10, auquel on a précisément voulu mettre un terme en imposant le bâillon.

Les accusations que Michel Gervais a portées contre M. Barrette dans sa lettre n’en sont pas moins troublantes : chantage, intimidation, « non-respect de la vérité »… Si ce comportement se généralise, les crises risquent de se multiplier.

Le ministre trouvera toujours des gens à nommer à la direction des établissements et aux conseils d’administration. L’important est cependant de recruter les plus compétents. Or, c’est de demeurer en poste dans les conditions actuelles qui devient « immoral », explique M. Gervais. M. Barrette peut toujours imposer une candidature, mais il ne peut pas forcer quelqu’un à présenter la sienne.

Le problème est que M. Couillard ne pourra pas davantage imposer à son bouillant ministre des vues qu’il ne partagerait pas et il ne souhaite certainement pas le voir partir et compromettre de ce fait les réformes en cours. D’ailleurs, lors du débat sur l’emplacement du CHUM, il avait lui-même démontré à Jean Charest que le vrai boss du système de santé n’était pas le premier ministre.


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