Le Bloc survivra

Une course à la chefferie est prévue à l'automne

Recomposition politique au Québec - 2011



«Le Bloc était dans le paysage depuis longtemps et les Québécois ont voulu exprimer leur vote anti-Harper autrement»

: Jacques Nadeau - Le Devoir


Guillaume Bourgault-Côté Laval — Dix jours plus tard, les plaies demeurent vives au Bloc québécois. Encore ébranlé, Gilles Duceppe a reconnu hier que les événements étaient «très durs sur le moral». Mais le Bloc ne mourra pas avec la raclée électorale, ont décidé les candidats et députés réunis en caucus: une course à la chefferie aura lieu dans les prochains mois... et les tensions sont déjà apparentes.
Pour sa première sortie depuis l'annonce de sa démission le 2 mai, Gilles Duceppe est apparu à la fois calme et très affecté, hier à Laval. «J'ai vécu ça de façon triste, difficile, affligée, douloureuse, a-t-il confié lors de sa dernière conférence de presse officielle. On a beau avoir une carapace, on n'est pas fait en bois.»
M. Duceppe a indiqué prendre «les responsabilités des victoires comme des défaites. On ne peut accepter les unes et refuser les autres. Alors, j'en prends la responsabilité. C'est dur, très dur pour le moral. Mais c'est ça la politique. C'est comme le sport: quand vous gagnez, vous êtes moins fatigués, les bleus se font moins sentir».
Or, les bleus de cette défaite sont d'autant plus sensibles pour M. Duceppe qu'ils ont été provoqués par une vague aussi surprenante que mystérieuse. «C'est sûr qu'on voyait le NPD monter un peu à chaque élection, a-t-il dit. C'est d'ailleurs pour ça qu'on est allé chercher certains de leurs anciens candidats. Mais il y a une marge importante entre une montée de quelques points et un tsunami.»
M. Duceppe a vraiment senti que le tapis lui glissait sous les pieds le 21 avril, lorsqu'un sondage CROP-La Presse a pour la première fois placé le NPD en avance dans les intentions de vote (36 %, contre 31 % pour le Bloc). Un sondage «contesté», a-t-il rappelé (il ne comportait pas de marge d'erreur), mais qui a provoqué «l'étincelle qui a fait exploser la poudre».
«Quand les gens veulent du changement, c'est difficile de se battre contre du changement, surtout quand il est incarné par des fantômes qui ne font pas campagne et ne parlent pas français», a lancé M. Duceppe.
Cette volonté de changement s'est faite au détriment du Bloc parce qu'au Québec, «le Bloc était un peu le pouvoir», estime-t-il. «Le Bloc était dans le paysage depuis longtemps et les Québécois ont voulu exprimer leur vote anti-Harper autrement. [...] Les libéraux sont encore largement discrédités, et il y avait cette nouvelle option palpable, avec un chef très sympathique».
Le «fardeau de la preuve» est donc maintenant entre les mains du NPD, croit M. Duceppe, qui souhaite néanmoins «tout le bien au Québec, et que tout ce qui a été promis soit livré».
Lui prendra quelques semaines pour absorber le choc de la défaite. Et après? L'inconnu. «Il faut donner du temps au temps, ne pas précipiter les choses. Je vis à une vitesse fulgurante depuis 20 ans.»
Vélo, lecture, musique, cuisine et famille sont au menu, mais pas de politique pour l'instant: M. Duceppe répondra aux appels privés qu'il recevra, mais ne se prononcera pas sur les décisions prises par les militants du Bloc. Et il affirme n'avoir aucune idée à savoir si sa carrière politique est complètement terminée.
Il n'a pas formellement exclu la possibilité de répondre à un appel du Parti québécois, mais dit n'avoir fait «aucune réflexion à cet égard. Il y a déjà beaucoup de gens dans les rangs au PQ. Je n'ai eu aucune offre en ce sens, et je n'ai pas pensé à ça». Quant à la possibilité de briguer la mairie de Montréal, il préfère en rire. «J'ai aussi vérifié les disponibilités au Vatican», a-t-il badiné.
Le Bloc poursuit
Concernant la survie du Bloc, Gilles Duceppe a suggéré que le mouvement souverainiste demeure présent à Ottawa. «Les militants décideront de ça», a-t-il dit, avant d'ajouter que rapatrier les forces à Québec voudrait dire laisser toute la place à des députés fédéralistes qui n'hésiteront pas à contredire les consensus de l'Assemblée nationale, comme ce fut le cas lors des années Trudeau.
Mais cela n'arrivera pas, ont tranché les candidats et députés réunis en caucus à Laval. La rencontre d'hier a permis de déterminer que tous veulent continuer, et qu'une course à la chefferie sera organisée après le conseil général qui se tiendra à l'automne, a confirmé la présidente par intérim, Vivian Barbot. Les quatre députés élus n'auront pas de leader parlementaire, ayant choisi de fonctionner en collégialité.
«Il y a une réelle volonté de poursuivre, même si on est encore sous le choc», affirme Mme Barbot. Les discussions concernant l'avenir du Bloc seront entamées dans les prochaines semaines, avec notamment les présidents de circonscription. Au moins deux ex-députés ont déjà annoncé leur intention de mener leurs propres consultations, soit Pierre Paquette et Daniel Paillé.
Deux courants semblent s'affronter au sein du Bloc: ceux qui veulent des changements en profondeur et estiment que la défaite du 2 mai doit être interprétée comme un rejet de l'approche traditionnelle du Bloc, et ceux qui croient que les 890 000 votes récoltés par le parti prouvent que la base est encore présente et qu'une simple course à la chefferie permettra de brasser la cage et de rétablir les choses.
Tensions


Les tensions étaient d'ailleurs palpables à l'entrée du caucus du Bloc hier matin: les intentions avouées de Pierre Paquette de succéder à Gilles Duceppe ont été vivement décriées par Michel Guimond, tandis que Bernard Bigras a rappelé à l'ordre Daniel Paillé.
Dans un parti habitué à une discipline de fer, la défaite du 2 mai a semblé ouvrir les portes de la dissension. Selon Michel Guimond, la décision de M. Paquette de plonger dès maintenant dans la course à la chefferie — tel qu'annoncé dans Le Devoir mardi — était «une erreur» et un «manque de respect».
«Je suis totalement en désaccord, a-t-il dit. Je suis en colère! On pourrait avoir la décence de laisser refroidir le cadavre.»
M. Paquette a toutefois défendu sa démarche. «Je comprends que beaucoup soient encore sous le choc. En même temps, s'il faut commencer à faire le tour du Québec, il faut que les gens comprennent que je le fais dans un but, et c'est d'être candidat. C'est une question de transparence.»
L'ancien leader parlementaire estime que «les membres vont être rassurés de savoir que des gens sont prêts à reprendre la direction du Bloc. Et si d'autres sont intéressés, ce serait important qu'ils le disent».
Une autre dissension est apparue entre Daniel Paillé et Bernard Bigras, deux possibles prétendants à la chefferie. M. Paillé fait valoir depuis quelques jours que le parti doit entamer une profonde réflexion sur sa pertinence et son avenir.
M. Paillé croit qu'avant d'élire un chef, le Bloc doit aller consulter ses militants et la population pour évaluer si ce véhicule politique est toujours pertinent. Il fera ainsi un tour des régions cet été pour rencontrer les militants et faire un état de la situation.
Mais à son arrivée au caucus, Bernard Bigras s'est montré chatouillé par cette initiative. «Oui, il y a nécessité de mettre en place un processus de consultation de nos membres et des militants, a-t-il dit. Mais il ne faut pas que cette réflexion soit biaisée. Il faut qu'elle soit menée et mandatée par le bureau de consultation. M. Paillé peut bien faire les consultations qu'il veut, il n'a pas été mandaté et on ne sait pas s'il sera candidat à la chefferie.»


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