Effondrement sur l'autoroute Ville-Marie

Le béton encore montré du doigt

La vibration des travaux pourrait avoir affaibli la poutre qui a cédé

Béton-tombe...



La poutre qui a cédé a entraîné avec elle un paralume, que l’on voit au sol, entouré des néons qui éclairaient le tunnel de l’autoroute Ville-Marie.

Photo : Pedro Ruiz - Le Devoir


Geneviève Tremblay - L'effondrement d'une structure de béton grillagée sur l'autoroute Ville-Marie, hier matin, risque de relancer le débat sur les dangers liés au vieillissement des structures de béton, qui enflamme périodiquement le Québec depuis l'effondrement du viaduc de la Concorde, en 2006. Surtout que de tels accidents n'ont rien d'étonnant, fait remarquer l'ingénieur civil Michel Rivest, de la Direction expertise de la division Équipement d'Hydro-Québec.
«On s'y attend un peu pour des structures semblables, qui ont 40 ou 50 ans», indique le spécialiste, qui s'occupe de la réfection et de la construction de barrages de béton. Car même si des examens sont pratiqués régulièrement par le ministère des Transports et la Ville sur les infrastructures routières, il reste impossible «d'avoir une note de 100 %» sur leur état, croit M. Rivest, car le béton armé est un matériau poreux sensible aux changements de température et aux effets du sel. Avec les années, le béton se microfissure, se corrode puis s'affaiblit de l'intérieur. «Il faut faire du carottage, percer des trous et aller voir à l'intérieur, mais on ne peut pas faire ça à beaucoup d'endroits sur la même poutre, car on va la briser», explique l'ingénieur.
Dans le cas de l'autoroute Ville-Marie, c'est une poutre soutenant un paralume (voir la définition en encadré) qui s'est effondrée. En forme de T inversé, encastrée dans le mur central et appuyée au mur extérieur, elle soutenait les blocs ajourés qui sont tombés sur la chaussée.
L'hypothèse selon laquelle les travaux de réfection sur les parois du tunnel Ville-Marie aient pu causer des vibrations et fait s'effondrer la poutre est envisageable, croit M. Rivest, surtout si le béton était déjà en état de dégradation avancé. «En démolissant une partie des murs, ou une partie du béton pour faire des réparations de surface, on a pu affaiblir le béton dans la région des appuis de la poutre», explique-t-il. Surtout que celle-ci «semble avoir décroché de ses appuis, puisqu'on l'a vue intégralement sur la chaussée».
Question de budget?
Si le béton est aussi omniprésent dans les infrastructures routières québécoises, c'est qu'il reste beaucoup moins cher que d'autres matériaux sur le marché. «Dans les années soixante, la mode était de construire avec du béton pour des raisons d'économies, et dans d'autres pays, c'était la même chose, rappelle M. Rivest. Construire un mètre cube de béton et construire un mètre cube d'acier, au point de vue énergie, c'est 10 fois la différence.»
Le milieu politique a d'ailleurs dénoncé hier le «sous-investissement» dont souffrent les infrastructures routières québécoises, exigeant une injection de fonds pour assurer la sécurité des citoyens qui empruntent quotidiennement viaducs et autoroutes.
Ce nouvel accident n'est pas sans rappeler l'état critique de l'échangeur Turcot et du pont Champlain, dont la dégradation avancée inquiète tant les autorités que l'opinion publique. Si les réparations déjà effectuées sur ces infrastructures «font un temps», elles restent des «solutions temporaires», précise Michel Rivest. «Pour faire une correction à un élément de béton, il ne faut pas qu'il soit rendu à la fin de sa vie utile», précise l'ingénieur, raison pour laquelle il faut désormais rebâtir à neuf le pont Champlain. À titre de comparaison, le pont Jacques-Cartier et le pont Victoria, plus que centenaire, sont plus fiables en raison de leurs structures majoritairement composées d'acier. «Les ingénieurs sont capables de vérifier, d'inspecter, d'enlever la corrosion, d'ajouter des plaques, de les maintenir en parfait état parce qu'ils ont accès à tous les éléments.»
Si la qualité du béton s'est améliorée avec le temps et qu'il existe des matériaux pour réparer les structures vieillissantes, comme des membranes en fibre de carbone qui sont collées sur les structures pour consolider les poutres, l'utilisation de nouvelles technologies est de mise dans les chantiers. «Si on refaisait aujourd'hui le même pont [Champlain] en béton armé, peut-être qu'on irait chercher une décennie de plus. Mais quand même, la difficulté d'inspecter et de suivre le vieillissement serait la même.» Raison de plus pour utiliser des poutres d'acier, ce dont les nouvelles constructions sont de plus en plus dotées, remarque M. Rivest. «Ça va coûter plus cher, mais le pont, au lieu de durer 50 ans, va en durer 100.»
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Qu'est-ce qu'un paralume?
Les paralumes sont des blocs de béton ajourés, semblables à des gaufres, qui laissent passer la lumière. Placés au-dessus d'une voie de circulation, ils permettent aux automobilistes de s'habituer graduellement au changement de luminosité, avant d'entrer dans un tunnel, par exemple.
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Petit historique d'infrastructures fragiles
- L'effondrement du viaduc du Souvenir à Laval sur l'autoroute 15, en 2000, avait fait un mort et deux blessés. L'accident a fait l'objet d'une longue enquête, qui n'a toutefois jamais mené à des accusations.
- L'affaissement d'un ponceau de l'autoroute 40 en 2005, près de Trois-Rivières, avait gravement blessé une automobiliste. Un rapport du ministère des Transports avait conclu que des travaux sur un tuyau de drainage avaient modifié l'équilibre du pont.
- En 2006, l'effondrement du viaduc de la Concorde sur l'autoroute 19, à Laval, avait fait cinq morts. Une commission d'enquête avait été créée par le gouvernement du Québec pour enquêter sur les circonstances de l'événement.
- Le pont Champlain, ouvert à la circulation en 1962, est le plus achalandé au Canada. Son état critique et l'absence de détails concernant ses faiblesses continuent de soulever la colère du milieu politique et des citoyens.
- Bâti en 1966, l'échangeur Turcot devra être reconstruit, ce qui entraînera l'éviction de dizaines de citoyens. Plus de 290 000 véhicules y circulent quotidiennement.


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