Laissé à lui-même

L'entente Canada - États-Unis sur le commerce du bois d'oeuvre

Perspectives - Le 27 avril, lors de l'annonce d'une entente dite à l'arraché dans le conflit canado-américain sur le bois d'oeuvre, Stephen Harper faisait l'unanimité contre lui. Opposition, gens de l'industrie et gouvernements des provinces criaient au vol et dénonçaient la capitulation d'Ottawa face à Washington. En fait, cette belle unanimité comptait une grande absente, soit l'industrie québécoise, qui y voyait un prix de consolation, une position qu'a retenue le gouvernement québécois. Aujourd'hui, l'industrie québécoise fait volte-face et rejoint le consensus, laissant Québec essuyer les attaques de l'opposition l'accusant de n'avoir rien fait. Mais qui a laissé tomber qui, au juste?



Si Ottawa a capitulé, l'industrie québécoise avait abdiqué. Visiblement épuisées financièrement par ce long conflit sur le bois d'oeuvre dont l'impact était amplifié par la vigueur du dollar canadien, les entreprises québécoises ont appuyé cet accord du 27 avril, pourtant non viable dès les premiers paramètres connus, avec un satisfecit préliminaire qui détonnait avec l'autre unanimité. Avec cette unanimité des autres provinces, des autres entreprises et de l'opposition fédérale, qui déploraient cette pseudo négociation à genoux. Il fallait voir ou entendre les représentants québécois jubiler devant ce qu'ils considéraient être un prix de consolation acceptable dans les circonstances. Cet accueil contrastait avec les mines basses des représentants canadiens, qui déploraient n'avoir jamais vu un gouvernement (Harper) laisser tomber à ce point son industrie dans un conflit commercial.
Le jour de l'entente, le 27 avril dernier, Guy Chevrette, p.-d.g. du Conseil de l'industrie forestière du Québec, avouait qu'elle a «déçu» certains des membres. «Mais il y a certainement un sentiment de soulagement pour tous.» Parlant d'entente «acceptable», il a reconnu que «mieux vaut en laisser sur la table plutôt que de se battre encore trois ans et crever en cours de route».
Pour Pierre-Marc Johnson, négociateur du Québec à Washington dans ce dossier, la perspective de paix avait un prix. «Je suis là-dedans depuis cinq ans et je suis convaincu que nous avons tiré le maximum possible de cette négociation.» Il ajoutait que «ce type d'arrangement, avec une si petite taxe, fait en sorte que notre industrie pourra fonctionner dans des conditions quasi normales».
Une position reprise par Québec. «C'est vraiment une belle nouvelle», avait commenté Raymond Bachand. Le ministre du Développement économique reprenait l'argument voulant que l'absence d'accord aurait conduit à «quatre années de négociations hostiles». Au même moment, dans l'industrie, le président de Domtar, Raymond Boyer, voyait d'un bon oeil le règlement de ce conflit. Il salivait déjà à l'idée de récupérer 80 % des 204 millions que Domtar a dû verser depuis quatre ans, ce qui aurait pour effet de faire passer le ratio de la dette de 58 % à 52 %. «Ce serait un avantage considérable», avait-il ajouté le 27 avril en commentant l'entente.

Chez Abitibi-Consol, on rappelait que ce conflit avait coûté à l'entreprise quelque 270 millions en cinq ans. Chez Tembec, on déplorait entre-temps l'inscription d'une lourde perte aux résultats du premier trimestre et on sonnait l'alarme devant un niveau de liquidités «relativement faible».
Hausse du dollar, conflit du bois d'oeuvre, coûts élevés de l'énergie, prix déprimés... Visiblement, l'industrie forestière québécoise est à bout de souffle, ce qui peut expliquer sa réaction initiale. Mais il y avait forcément mauvaise lecture. L'introduction d'une clause de résiliation, qui n'existait pas dans l'entente du 27 avril, a vite permis aux représentants québécois de corriger le tir et de revenir dans le camp de la contestation, là où ils auraient dû être dès le départ.
Une volte-face qui survient cinq jours après que le ministre Bachand, à l'instar de Pierre-Marc Johnson, eut réitéré que l'entente était parfaitement acceptable, qu'elle était «un bon "deal" pour le Québec». Qu'il ne fallait pas se laisser distraire par la clause de sauvegarde. «Dans les traités internationaux, il y a toujours une clause de dénonciation, même dans les cas des ententes s'étalant sur 20 ans», a-t-il souligné à la Presse canadienne.
Aujourd'hui, Québec et l'industrie québécoise se retrouvent dans une situation de dos à dos gênante. Dans un communiqué diffusé hier, le député de Chicoutimi et chef adjoint de l'opposition officielle, Stéphane Bédard, a profité de l'occasion pour dénoncer «le faible appui du gouvernement du Québec à la position de l'industrie forestière québécoise», et déploré que Québec ait pris position avant même de connaître celle de l'industrie. Mais qui a laissé tomber qui ?
Visiblement, cet accord sentait l'échec dès son annonce. Mais les représentants québécois de l'industrie pensaient autrement.


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