Projet de loi 94

Laïcité juridique et sociale: il est grand temps !

Il faut un amendement à la Charte québécoise des droits pour ajouter la laïcité parmi les valeurs du Québec, au même titre que la démocratie et l'égalité entre les sexes

Laïcité — débat québécois




La quasi-totalité des Québécois (95 %) et la très grande majorité des Canadiens (86 %) se sont déclarés favorables à l’interdiction du voile intégral.
Le dépôt à l'Assemblée nationale du Québec en mars dernier du projet de loi 94 interdisant le port du voile intégral a été fort bien accueilli; après quinze ans d'une pratique onéreuse et épuisante d'accommodements religieux, il a fait souffler un vent d'espoir dans plusieurs milieux québécois et canadiens. La presque totalité des Québécois (95 %) et la très grande majorité des Canadiens (86 %) se sont déclarés favorables à l'interdiction du voile intégral (sondage d'Angus Reid commandé par The Gazette en mars 2010).
Le Parti libéral du Canada et son chef ont jugé équilibrée la solution proposée, tandis que les conservateurs et les néodémocrates ont fortement appuyé le projet (75 % et 86 %), estimant qu'«en l'absence de directives claires sur la gestion des accommodements religieux», l'interdiction du voile intégral était pertinente. En invoquant le «principe de la neutralité religieuse de l'État», l'article 4 du projet ouvre la porte à des débats de fond, et les partis d'opposition n'ont pas manqué de saisir l'occasion. Nous faisons de même.
Les limites du projet de loi 94
En effet, malgré un accueil plus que favorable, le projet prête flanc à de nombreuses critiques. Son objet et son objectif sont bien limités, et le choix du législateur de l'inscrire dans le cadre des accommodements religieux prête à confusion; en soulignant le caractère exceptionnel de l'interdiction du voile intégral, il conforte la tradition des accommodements. À l'Assemblée nationale, les partis d'opposition ont qualifié le projet de coquille vide et de loi inutile, ouvrant ainsi la porte entrebâillée par l'article 4 à un débat de fond. Nombreux étaient les Québécois prêts à s'y engager: à preuve, en mars et avril 2010, plusieurs milliers se sont exprimés, les uns en faveur d'un Québec religieusement pluraliste, les autres, beaucoup plus nombreux, dans une «Déclaration pour un Québec laïque» à laquelle nous avons adhéré sans hésiter. Il faut maintenant aller plus loin que ce que propose le projet de loi 94.
L'un des obstacles les plus sérieux au développement de la laïcité au Québec est la pratique des accommodements pour motifs religieux qui a bouleversé la culture de nos institutions. Depuis quinze ans, les demandes d'exemptions aux lois du pays pour motifs religieux n'ont cessé de proliférer et d'occuper de nouveaux champs. Leurs effets se manifestent de multiples façons et avec autant de conséquences négatives: exigences concernant le sexe des intervenants et les pratiques alimentaires et vestimentaires, requêtes de non-mixité dans les écoles et les centres récréatifs nécessitant du personnel supplémentaire et des coûts en conséquence, pour ne citer que ces exemples bien connus.
Commission parlementaire
La commission parlementaire créée pour étudier le projet de loi 94 avait commencé à entendre les quelque 40 groupes et particuliers qui avaient soumis un mémoire: dix-sept ont été présentés de vive voix à la mi-mai, dont deux seulement sont favorables au projet, tandis que cinq s'y opposent catégoriquement pour des raisons fort différentes; dans la majorité des autres mémoires de particuliers et d'organismes représentant plus de 1,5 million de personnes, on estime que cette loi n'apporte rien de nouveau à la législation actuelle, un peu comme si le gouvernement légiférait pour expliquer que les accommodements doivent respecter la Charte québécoise des droits et libertés!
Le projet de loi affirme explicitement la neutralité religieuse de l'État, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, mais le mot laïcité n'y figure nulle part. Pourtant, c'est la revendication précise d'un grand nombre d'intervenants qui réclament justement un sérieux débat de société autour de la laïcité afin d'en définir les paramètres pour ensuite voter des lois en conséquence.
Loin des préoccupations du peuple qu'il est censé représenter, le gouvernement a pris le prétexte d'un remaniement ministériel pour reporter à une date indéterminée la suite des travaux de cette commission parlementaire et imposer son propre ordre du jour. Il faut impérativement un véritable débat sur la laïcité afin d'éviter le surgissement de nouveaux accommodements de nature à mettre le feu aux poudres. Or, la responsabilité de tout gouvernement est d'assurer la paix civile. Les citoyens demandent donc une législation permettant aux personnes de différentes confessions ou sans confession de vivre ensemble, conformément aux exigences de leur conscience, sans imposer leurs propres prescriptions à l'ensemble de la société.
Amender la Charte québécoise
Nous voulons tirer parti de l'article 4 du projet de loi 94 pour réclamer, à l'instar du Mouvement laïque québécois (MLQ), un amendement à la Charte québécoise des droits, l'ajout de la laïcité parmi les valeurs du Québec au même titre que la démocratie et l'égalité entre les sexes. Tout en estimant que la proposition du MLQ constitue un pas dans la bonne direction, nous croyons nécessaire d'aller plus loin. Nous réclamons donc:
- un amendement à la Charte québécoise des droits, auquel s'ajouteraient une ou des lois particulières portant notamment sur les services publics en matière d'éducation, de santé et de loisirs;
- la fin de tous les accommodements pour motifs religieux;
- l'affirmation de la neutralité religieuse, dans un Québec désormais laïque, non seulement dans ses appareils d'État, mais aussi chez ses employés dans l'exercice de leurs fonctions; également, le respect de cette neutralité et de cette laïcité par les usagers des services de l'État, qui, entre autres choses, doivent se présenter le visage découvert; enfin, des rapports sociaux laïques dans l'espace public.
En conséquence, nous proposons une modification de la Charte québécoise des droits. Au Préambule de cette Charte (L. R. Q., c.12), après l'alinéa 4, serait ajouté le paragraphe suivant:
«Considérant qu'il y a lieu de reconnaître la laïcité comme valeur publique, nul ne peut porter atteinte au caractère de neutralité de l'État, de ses institutions, de ses services publics et de l'ensemble de la société québécoise. Non seulement l'État, ses agents, et ses institutions, mais tous les citoyens québécois doivent respecter le principe de la laïcité dans les rapports sociaux».
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Ont signé ce texte: Marie-Andrée Bertrand, professeure à l'Université de Montréal, Lise Boivin, professeure en éducation spécialisée, Irène Doiron, professeure de philosophie, Mylène Jaccoud, professeure titulaire de criminologie à l'Université de Montréal et sociologue, Michèle Jean, chercheuse invitée au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal, Pierre Joncas, essayiste, Andrée Lajoie, chercheuse en droit public à l'Université de Montréal, Bernard La Rivière, professeur de philosophie, Pierre Leyraud, professeur de physique, Yves Poirier, administrateur public, Louise Poliquin, psychopédagogue et coconceptrice de l'émission Passe-Partout.


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