La Wallonie née de la grève

Chronique de José Fontaine

La lutte du Québec pour l’indépendance est connue du monde entier. Ce n’est pas nécessairement le cas de celle de la Wallonie car, ici, il y a eu une conjonction (qui existe d’ailleurs également au Québec), entre les luttes sociales et les luttes nationales. En travaillant un peu à cela sur la Wikipédia anglophone, je suis tombé sur un article suprenant de l’hebdomadaire néo-zélandais Otago Witness, relatant la fusillade du 17 avril 1893 non loin du lieu-dit Pont-Canal (et de la clinique du même nom, aujourd’hui disparue, où je suis né), à la frontière entre Mons et Jemappes. Cette fusillade contraignit la Belgique à adopter une forme de suffrage universel masculin. En même temps qu'on peut s'étonner du retentissement de ces événements aux antipodes, on se doit de réfléchir au rôle structurant des grèves dans ce qu'il y a de plus précieux en nos institutions démocratiques, y compris le droit de grève, aussi important que n'importe lequel des droits humains. Il n'est pas étonnant qu'on y soit attentif. Encore aujourd'hui.
Le 11 avril précédent, la Chambre belge rejetait une proposition de loi instituant précisément le suffrage universel. Le 12 au soir, la Commission ouvrière du Parti Ouvrier Belge décréta la grève générale. Dès ce jour, la « garde civique » (milice bourgeoise, mais régulière et armée), fut rappelée, en raison de la peur qu’inspirait au Pouvoir la Wallonie ouvrière, déjà en pleine jacquerie en 1886 (il avait fallu une «campagne militaire» - selon Pirenne - pour contenir les insurgés). Le même Henri Pirenne écrit au tome VII de son Histoire de Belgique que dès le 13 ou le 14, les chefs du Parti ouvrier s’épouvantent du fait qu’ils ne sont plus maîtres de la situation. Il ajoute qu’à la Chambre, l’épouvante «est plus grande encore».
Le 17 avril, quelques milliers de grévistes partent de Jemappes vers Mons, le chef-lieu de la Province de Hainaut. Ils se heurtent vers 14 h. à plusieurs compagnies de la garde civique. Celle-ci fait mine à un moment de charger les manifestants qui reculent et jettent des pierres. C’est alors que la troupe fait feu. Il est 3 heures de l’après-midi. Sept grévistes sont tués.
Le 18 avril, le Parlement terrifié vote le suffrage universel. En juillet 1950, la Wallonie se mit de même en grève dès le retour du roi Léopold III (resté cinq ans en exil du fait de sa conduite durant l'occupation nazie), le 22 juillet. La violence fut alors plus grande encore : une centaine d’attentats à l’explosif sur les voies ferrées et les centrales électriques (le premier de ceux-ci eut lieu le 21 juillet au matin); des masses énormes de Wallons (parfois ayant gardé les armes de la résistance) qui marchent sur Bruxelles où ils se fixent rendez-vous le 1er août. Et, à nouveau, un massacre, non plus cette fois près de Mons mais non loin de Liège, à l’autre bout de la Wallonie, où les gendarmes tuent quasi à bout portant quatre manifestants opposés au roi, dont trois anciens résistants au nazisme, le 30 juillet au soir. Le 1er août, le roi se retirait en faveur de son fils, devant la menace de sécession de la Wallonie.
L’agitation reprit en décembre 1960 et janvier 1961. Le gouvernement mobilisa 16.000 gendarmes et autant de soldats. Le but de la grève – le retrait d’un programme d’austérité – ne fut pas atteint. Mais le leader de la grève André Renard déclara au journal The Times de Londres qu’il se battait « Pour une Wallonie wallonne, contre la Loi unique, contre la misère au Borinage, l'oppression du gouvernement unitariste, contre le gouvernement flamand et contre les assassins du peuple wallon. » (10 janvier 1961). La grève fut un échec. Mais l’objectif autonomiste wallon de celle-ci est toujours à l’ordre du jour. On pourrait se demander d'ailleurs, si, sans cette résistance des ouvriers wallons en 1960, la Wallonie ne serait pas devenue un désert économique. Les politiques n'auraient en effet pas pu imposer, par eux-mêmes, la création de trois Etats fédérés (les Régions), dotés de larges compétences économiques, des compétences qui ont permis à la Wallonie d'échapper à la domination flamande dans le domaine du développement de ses industries et sur le plan logistique (aéroports de Liège et Charleroi lien entre le port fluvial de Liège et Rotterdam etc.).

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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