La vraie question

«La vraie question est de savoir si la volonté d'agir est là.»

Anglicisation du Québec


Avant même que Raymond Bachand ne présente son budget, le taux d'insatisfaction à l'endroit du gouvernement Charest atteignait 70 %, selon Léger Marketing. À voir le tollé soulevé par le budget, les choses ne risquent pas de s'améliorer.
De prime abord, le Parti québécois devrait donc chercher à éviter toute initiative qui risque de faire diversion et de permettre aux libéraux de remonter la pente. Par exemple, relancer le débat sur la langue et prêter ainsi flanc aux accusations habituelles d'intolérance et de paranoïa.
Avant même d'avoir pris connaissance de l'étude dirigée par le porte-parole péquiste en matière de langue, Pierre Curzi, qui conclut sans grande surprise que «le Grand Montréal s'anglicise», au point que l'anglais y sera bientôt la langue dominante, la ministre responsable de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre, a déclaré que «le fonds de commerce du PQ est de travailler sur la peur».
Mme St-Pierre a paru surprise de la publication de cette étude, qui a nécessité huit mois de recherche. Si elle s'adresse à l'ensemble de la population, elle s'inscrit surtout dans la préparation du XVIe congrès national du PQ, prévu au printemps 2011.
Les recommandations qui accompagnent l'étude ne seront pas rendues publiques pour le moment. Dès juin prochain, la direction du PQ devra rendre publique la «proposition principale» qu'elle souhaite voir enchâssée dans le programme à l'occasion du congrès. Encore faut-il que les députés s'entendent au préalable sur le contenu de la «nouvelle politique linguistique», dont l'étude de M. Curzi entend précisément démontrer la nécessité.
Lors d'un colloque sur l'identité, la langue et l'immigration tenu en novembre dernier, une nette majorité de militants favorisaient l'extension au niveau collégial des dispositions de la Charte de la langue française qui régissent l'accès à l'école anglaise, Or le caucus est fortement divisé sur l'opportunité d'ouvrir cette boîte de Pandore. Pauline Marois elle-même est très hésitante.
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Bien entendu, le débat n'est pas nouveau. Partisan avoué du bilinguisme, Lucien Bouchard rejetait catégoriquement l'idée d'imposer la fréquentation du cégep français aux enfants d'immigrants. Au congrès de mai 2000, il avait acheté la paix en promettant la formation d'une commission, présidée par Gérald Larose, qui avait finalement recommandé le maintien du libre choix.
En juin 2005, le congrès s'était tenu au moment où le PQ détenait 20 points d'avance sur les libéraux et où la souveraineté atteignait un sommet de 55 %. Bernard Landry pouvait raisonnablement espérer être en mesure de tenir un autre référendum dans un premier mandat, ce qui permettrait peut-être de faire l'économie d'un renforcement de la Charte.
Les délégués au congrès de 2011 consacreront plutôt le principe d'un référendum «au moment jugé opportun». La souveraineté serait peut-être le meilleur amendement à la loi 101, comme le disait Camille Laurin, mais on risque de l'attendre encore longtemps.
Les chiffres de la promotion de 2005 utilisés dans l'étude Curzi démontrent clairement le lien entre la langue d'études au cégep et la langue utilisée au travail, peu importe le groupe linguistique auquel appartenaient les étudiants.
Le tiers des francophones qui ont fait leurs études collégiales en anglais utilisent principalement l'anglais au travail. Inversement, 100 % des anglophones qui ont fréquenté le cégep français utilisent surtout le français.
Les données n'étaient pas disponibles dans le cas des allophones, dont 40 % choisissent de passer à l'anglais au collégial, même après avoir étudié en français au primaire et au secondaire, mais les mêmes causes produisent généralement les mêmes effets. Inévitablement, leurs choix linguistiques auront une incidence sur le statut des langues, aujourd'hui et dans l'avenir.
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Il y a dix ans, la commission Larose estimait que ce débat présentait une «dérive potentielle», dans la mesure où il faisait reposer le sort du français au Québec sur l'attitude d'une minorité d'étudiants, fils et filles d'immigrants.
Vue sous cet angle, la Charte de la langue française n'aurait jamais été adoptée en 1977. Soit, le collégial ne lui avait pas été assujetti, mais on espérait qu'une fois engagés dans le réseau français, la quasi-totalité des élèves y demeureraient.
Manifestement, la force d'attraction de l'anglais avait été sous-estimée. Les auteurs de la Charte n'avaient pas prévu non plus que, 33 ans plus tard, le Québec serait encore une province canadienne.
Mme St-Pierre a raison de dire que la situation du français est meilleure qu'il y a 30 ans, mais il faut avoir la mémoire courte pour attribuer une part du mérite aux libéraux, qui ont tout fait pour empêcher l'adoption de la loi 101 et qui l'ont appliquée le plus mollement possible depuis, ce qui ne semble pas être à la veille de changer.
Au-delà des chiffres et des tableaux, qui traduisent simplement une réalité que chacun peut constater dans son quotidien, le message que l'étude de M. Curzi envoie à la population et surtout à ses collègues du PQ tient dans la dernière phrase de son préambule: «La vraie question est de savoir si la volonté d'agir est là.»


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