La tribu

Affaire Jan Wong et The Globe and Mail


À force de lire des bêtises sur le Québec dans les journaux torontois, une question vient spontanément à l'esprit: imaginez si le Québec était indépendant, quelles horreurs nos amis canadiens écriraient-ils sur nous?
Les plus «crinqués» d'entre eux iraient probablement devant le Conseil de sécurité pour demander l'envoi des Casques bleus pour protéger les minorités linguistiques et culturelles du Québec contre la tyrannie de la majorité de cannibales.
Imaginez s'ils ne se sentaient plus liés par ce sentiment patriotique, s'ils n'avaient plus peur d'offusquer les Québécois et de donner des armes aux souverainistes. Périodiquement, un journaliste canadien débarquerait ici pour observer la tribu, comme Jan Wong, du Globe and Mail, le fait déjà depuis quelques années.
Ce qui est ironique, c'est que sont les mêmes gens qui nous supplient de ne pas partir, et qui font de l'hyperventilation à la seule idée que le Québec pourrait un jour quitter la fédération canadienne, qui colportent les pires préjugés sur la tribu québécoise. Pourquoi tenez-vous tant à nous si nous sommes aussi abjects? À moins que les Jan Wong de ce pays se sentent investis du devoir de sauver les minorités des griffes des ogres québécois-francophones-blancs-catholiques-séparatisses.
Heureusement, rassurez-vous, l'immense majorité des journalistes de l'outre-Outaouais sont plus mesurés que Mme Wong et ce qui se disait en début de semaine entre journalistes parlementaires aux Communes n'était pas particulièrement flatteur pour elle.
Mme Wong ne trouvera pas beaucoup d'alliés chez ses collègues. Pas plus chez les politiciens, à commencer par Stephen Harper. Le premier ministre conservateur, qui a bien besoin de faire remonter sa cote au Québec, a sauté sur l'occasion pour dénoncer par communiqué officiel (ce qui est rarissime) les «absurdités» de Mme Wong.
Ce n'est pas la peine de s'attarder longuement sur Jan Wong, une dame qui multiplie, par provocation et par ignorance, les pires conneries sur le Québec. Mais pour un journaliste professionnel, il est choquant de constater que des collègues comme Mme Wong, qui ne parlent pas français, qui ne connaissent pas le Québec et qui sont visiblement bourrés de préjugés, se permettent de débarquer au Québec une fois de temps en temps, comme des météorites attirés par la force gravitationnelle d'un événement médiatique, qui s'en éjectent après quelques jours seulement et tirent des conclusions sociologiques, politiques et culturelles définitives sur cette étrange tribu.
Dans son désormais célèbre papier de samedi dernier, Jan Wong écrit: «Les gens de l'extérieur ne peuvent comprendre à quel point plusieurs décennies de luttes linguistiques ont été aliénantes dans cette ville jadis cosmopolite.» Elle aura au moins raison pour le début de ce paragraphe: les gens de l'extérieur ne devraient pas étaler de grandes conclusions sociologiques sur une société qu'ils ne connaissent pas.
Parce qu'il est là, le problème: les journalistes du reste du pays qui écrivent n'importe quoi sur le Québec ne nous connaissent pas. Pas plus que la majorité des journalistes québécois ne connaissent les autres sociétés distinctes, de Terre-Neuve ou de Colombie-Britannique, notamment, direz-vous avec raison, mais il semble que nous soyons moins prompts à publier des âneries sur nos compatriotes des autres provinces.
Pour rester dans le mode «imaginez si», imaginez si un leader souverainiste, André Boisclair ou Gilles Duceppe, disait du Canada anglais le dixième de ce que Mme Wong ou Barbara Kay ou Diane Francis peuvent dire du Québec.
Ce n'est pas la première fois, bien sûr, que sont publiées dans les journaux anglophones des bêtises sur le Québec, mais il semble que l'on se gêne de moins en moins pour associer peuple québécois et racisme.
Il est ironique de constater que pendant que des intellectuels canadiens anglais, comme Michael Ignatieff ou Jeffrey Simpson, débattent du concept de nation québécoise, d'autres parlent du peuple québécois comme d'une tribu de dégénérés, racistes, intolérants et dangereux pour ses minorités.
On est loin, du moins pour certains compatriotes, de la reconnaissance de la nation du Québec dans la Constitution, comme le suggère Michael Ignatieff.
Imaginez un peu toutes les sottises que l'on pourrait lire des Jan Wong de ce pays si la question devait faire, en effet, l'objet d'un débat national.
Pire encore, imaginez le délire si nous devions avoir un troisième référendum sur la souveraineté.
Comme il n'est pas impossible que nous ayons, en effet, un autre référendum, il serait utile -et même nécessaire- que les médias du reste du pays fassent preuve de rigueur intellectuelle et ne s'amusent pas à publier n'importe quoi juste pour vendre de la copie.
Nous sommes ici sur un terrain extrêmement émotif. Et suggérer que la majorité francophone du Québec est intolérante est aussi irresponsable, aussi incendiaire que d'affirmer que le OUI a perdu à cause de l'argent et du vote ethnique.


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