Antoine Roy dit Desjardins

La terre des aїeux

Tribune libre - 2007


Mon ancêtre Roy, Antoine Roy dit Desjardins, arriva à Québec le 19 juin 1665, à l’âge de 30 ans, comme soldat de la compagnie de Froment du régiment de Carignan. Démobilisé, Antoine choisit de vivre dans la colonie, au lieu de retourner en France, et épousa à Québec en 1668, Marie Major, une fille du roi, dont il eut un fils unique, Pierre. Tonnelier de son métier et fils d’Olivier Roy maître tonnelier, Antoine vécut pauvrement sur une terre à Batiscan, comté de Portneuf. Lourdement endetté, il est mort à Lachine le 10 juillet 1684, assassiné par le mari d’Anne Godeby, sa logeuse et maîtresse présumée. Le meurtrier, Julien Talua dit Vendamont, huissier, fermier et receveur pour les Messieurs de Saint-Sulpice, les seigneurs de Montréal à partir de 1663, fut condamné à être pendu et son épouse adultère mise au ban perpétuel. Mais, peu après l’audition de sa requête en appel au Conseil souverain, Julien Talua bénéficia de certains privilèges qui lui permirent d’échapper à la pendaison, sans que soient connues ou même justifiables les circonstances exactes de sa disparition de la colonie (1).
Après le meurtre de son père, Pierre Roy-Desjardins s’établit temporairement à Québec en compagnie de sa mère, Marie Major (2), et après le décès de celle-ci à l’Hôtel Dieu de Québec en 1689, il vécut successivement à l’Île d’Orléans, Kamouraska puis finit ses jours à Repentigny, en 1734. Exerçant tour à tour les métiers de tonnelier, d’agriculteur et de charpentier, Pierre eut dix-neuf enfants de trois unions, dont dix-sept parvinrent à l’âge adulte. Une branche de sa descendance essaima à partir de Sainte-Anne-de-la-Pocatière vers le Bas-Saint-Laurent, notamment à Trois-Pistoles, Saint-Fabien de Rimouski, Cap Chat. Descendant des premiers colons de la paroisse de Saint-Fabien, les frères Isaac et Benjamin Roy, mon grand-père Fortunat Roy et son épouse Anna Lebel s’implantèrent pour leur part à Trois-Pistoles, le pays de mes racines.
Antoine n’était peut-être pas l’ancêtre exemplaire et vertueux dont on puisse rêver. Des recherches récentes indiquent clairement qu’Antoine aurait eu en France une épouse, Catherine Byot, et deux fils. Toutefois, les données historiques ne permettent pas de déterminer avec certitude si son épouse française et ses deux fils vivaient encore ou au contraire, étaient décédés, lors de son embarquement pour la Nouvelle-France. En supposant qu’Antoine ait été endeuillé par la disparition de Catherine et de leurs fils, à la suite d’une épidémie ou d’une guerre par exemple, on peut comprendre qu’il ait voulu tenter l’aventure et refaire sa vie en Nouvelle-France en s’enrôlant comme volontaire dans le régiment de Carignan qui offrait une telle opportunité, et en choisissant, après son licenciement, de rester dans la colonie pour y exercer son métier de tonnelier.
Parmi la vingtaine d’ancêtres ayant porté le patronyme « Roy » sous le régime français (3), les descendants d’Antoine Roy dit Desjardins, « Desjardins » étant le surnom de guerre pris par Antoine dans le régiment de Carignan, sont aujourd’hui parmi les plus nombreux en Amérique et comptent certains membres remarquables, dont Alphonse Desjardins, fondateur des Caisses populaires Desjardins. Pour discutable que fut la conduite d’Antoine – qui peut en juger ? – il n’en demeure pas moins que jamais justice ne lui fut rendue, pas plus qu’à ses descendants d’ailleurs.
L’aventure coloniale française
La plupart des ancêtres des québécois d’ascendance française établis en Amérique étaient de condition sociale modeste, des agriculteurs, des gens de métiers, des soldats, de simples manœuvres, quand ce n’étaient pas des coureurs des bois, des repris de justice expédiés dans la colonie pour expier leurs fautes, ou encore, comme on le sait aujourd’hui, des esclaves amérindiens et noirs au service de la noblesse, des marchands et du clergé (4). Le métier de tonnelier exercé par Antoine Roy-Desjardins était un noble métier essentiel à l’économie de l’époque et répondait à une foule de besoins pour le transport des denrées, leur conservation ou autres usages domestiques : tonneaux à vin, pour les alcools, la mélasse, le vinaigre et les salaisons, barils et barillets pour l’eau-de-vie, des baquets et seaux de toutes sortes, de toutes tailles, des cuves à lessiver, à tanner, à vendanger, des barattes à beurre, des baignoires…Toutefois, la colonie ne permettait probablement pas aux gens de métier comme Antoine de vivre décemment de leur art, en raison du faible accroissement démographique des débuts de la colonisation française, du monopole industriel et commercial exercé par les marchands de la métropole française et des guerres amérindiennes et coloniales entre la France et l’Angleterre pour la possession du continent.
Pour toutes ces petites gens, l’espoir d’une nouvelle vie en Nouvelle-France n’était donc pas une sinécure. D’une part, parce que la Terre promise, l’Amérique du Nord, était déjà occupée depuis fort longtemps par plusieurs nations amérindiennes, parfois rivales entre elles, Abénaquis, Algonquins, Attikameks, Cris, Hurons, Micmacs, Iroquoїens, Montagnais, Naskapis et Inuits (5). En faisant alliance avec certaines nations amérindiennes, les français se sont mis à dos par le fait même les nations ennemies de leurs nouveaux alliés, les Agniers par exemple, que les colonisateurs hollandais et britanniques armaient et soudoyaient allègrement contre les colons français. D’autre part, la politique coloniale de la métropole française n’a pas toujours été à la hauteur de ses prétentions. Les ressources humaines et matérielles ont souvent été insuffisantes, trop tardives ou accaparées par des administrateurs davantage intéressés par leur profit personnel que par le bien-être des gens sous leur responsabilité. Trop longtemps, ils n’ont vu dans la Nouvelle-France qu’un poste de traite, un comptoir commercial lucratif, au lieu d’une véritable entreprise de colonisation. Les conséquences de ce manque de vision font qu’aujourd’hui les « quelques arpents de neige » du grand visionnaire François Marie Arouet dit Voltaire (1694-1778) se résume effectivement au 242 km2 des Îles Saint-Pierre-et-Miquelon, alors que le Canada en compte 9 959 400 km2 !
La signature du Traité de Paris, le 10 février 1763, mit un terme à la dure guerre de Sept Ans (1756-1763) entre la France, l’Autriche, l’Angleterre, la Prusse, le Hanovre, la Russie, la Saxe, la Suède, l’Espagne et le Portugal. Cette guerre d’envergure mondiale par l’étendue des opérations militaires permit à l’Angleterre de devenir le premier empire colonial du monde, alors que la France dut renoncer à presque toutes ses possessions en Amérique et en Inde, mettant ainsi un terme à l’aventure coloniale française en Amérique du Nord et scellant définitivement le sort des quelque 70 000 colons français, déjà fortement minoritaires, relativement à la population de 1,6 million habitants des colonies de la Nouvelle-Angleterre. L’article 4 du Traité de Paris est on ne peut plus explicite à cet égard: «…Sa Majesté Très Chretienne renonce à toutes les Pretensions, qu’elle a formées autrefois, ou pû former, à la Nouvelle Ecosse ou l’Acadie, en toutes ses Parties, & la garantit toute entiere, & avec toutes ses Dependances, au Roy de la Grande Bretagne. De plus, Sa Majesté Très Chretienne cede & garantit à Sa dite Majesté Britannique, en toute propriété, le Canada avec toutes ses dépendances… De son cote, Sa Majesté Britannique convient d’accorder aux habitants du Canada la Liberté de la Religion Catholique…en tant que le permettent les lois de la Grande Bretagne. Sa Majesté Britannique convient en outre, que les Habitants François ou autres , qui auroient été Sujets du Roy Tres Chretien en Canada, pourront se retirer en toute Sûreté & Liberté, où bon leur semblera, et pourront vendre leurs Biens, pourvû que ce soit à des Sujets de Sa Majesté Britannique, & transporter leurs Effets, ainsi que leurs Personnes, sans être gênés dans leur Emigration…Le Terme limité pour cette Emigration sera fixé à l’Espace de dis huit mois, à compter du jour de l’Echange des Ratifications du present Traité.».
Aucun terme de ce Traité, bien que rédigé en vieux français, ne garantit la pérennité de la langue et de la culture françaises, et la liberté de culte de la religion catholique reste conditionnelle aux lois britanniques, alors que l’offre apparemment généreuse d’émigration est toute relative pour des gens implantés sur leurs terres, pour certains depuis la fondation de Québec, près de 150 ans plus tôt. D’ailleurs, à qui vendre ? À quel prix ? Pour aller où ? Dans ces conditions austères, on ne peut que s’incliner devant le courage et la détermination héroïque de nos ancêtres qui ont su s’enraciner sur cette terre et préserver leur héritage culturel français, sans réel support de la Mère Patrie, bientôt accaparée par la terrible Révolution française de 1789, les éternelles guerres de succession européennes et les rivalités inter coloniales se jouant sur d’autres continents. Il est à remarquer également que les amérindiens n’ont eu aucune voix au chapitre dans le partage des terres qu’ils habitaient depuis des lunes; les grands ne s’embarrassent pas de tels préjugés quand il s’agit de se partager le monde! Mais, chaque fois que des terres neuves et leurs ressources ont été « découvertes », occupées et exploitées par les différents colonisateurs en faisant fi des droits des premiers occupants, il s’en est suivi inévitablement des conflits violents et des morts par milliers. Les Premières Nations des Amériques, que ce soit l’Amérique du Nord, l’Amérique Centrale ou l’Amérique du Sud, ont toutes chèrement payé la venue sur leurs terres ancestrales de la « civilisation européenne ».

Un modèle de réciprocité culturelle
Vaincus mais souverains sur leurs terres, dans leurs villages et leurs villes, les descendants des premiers colons français comptent aujourd’hui au Québec, foyer national des français d’Amérique, 6 millions de personnes, sur une population totale de 7,5 millions, auquel s’ajoute 1 million de francophones canadiens localisés principalement en Ontario (500 000) et au Nouveau-Brunswick (300 000). De plus, 8 millions d’américains déclaraient avoir une ascendance française lors du dernier recensement effectué aux États-Unis. Cette masse ne peut s’éteindre du jour au lendemain pour peu que les francophones et francophiles assument eux-mêmes pleinement leur héritage culturel et se donnent les outils nécessaires pour en assurer la pérennité. Parmi les outils déjà existants, le Conseil de la vie française en Amérique (CVFA), organisme à but non lucratif fondé en 1937 et voué au développement et à l'épanouissement des communautés de langue et de culture françaises en Amérique joue un rôle essentiel à ce titre. Dans un mémoire remarquable à la Commission des états généraux sur la situation et l’avenir de la langue française en Amérique de mars 2001, le CVFA recommandait expressément au gouvernement du Québec de reprendre le leadership afin de rétablir, de consolider et de maintenir un dialogue fructueux avec la francophonie nord-américaine, et de rechercher activement les alliances naturelles avec l’Amérique latine, les pays francophones et hispanophones des Caraïbes, en vue de contribuer à préserver la diversité culturelle et linguistique face au monopole qu’engendre la course à la concentration des pouvoirs économiques et culturels dans le monde. L’avenir de la francophonie nord-américaine passe par la solidarité entre les communautés francophones et il revient au Québec, selon le CVFA, d’assumer ce rôle de figure de proue, puisqu’il est le seul État dont la langue commune est le français et dont le Gouvernement reflète cette réalité.
Toutefois, les travaux de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton) échelonnés de 1963 à 1971, la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982, la promulgation en 1988 de la Loi sur les langues officielles et les interventions ciblées du Secrétariat d’État ont fait du gouvernement fédéral un acteur incontournable en matière linguistique et culturelle. Cette évolution politique des dernières années ne peut être ignorée par le Québec tant qu’il demeure une partie constituante du Canada. La pérennité de la langue et de la culture françaises passe donc par la coopération des deux paliers de gouvernements dans le contexte actuel et ce, pour le meilleur intérêt des communautés francophones en Amérique. La question linguistique ne peut et ne doit être confinée à une politique nationaliste qui n’en finit plus d’aboutir nulle part !
À ce titre, l'École de langue de Trois-Pistoles constitue un exemple intéressant d’échange culturel et de réussite régionale en offrant des cours d’immersion française aux «… participants from all over Canada, the United States, Latin America, and other parts of the world, who wish to upgrade their education or pursue a professional or personal goal. » Depuis maintenant 75 ans, « The School is the oldest immersion program of its kind in Canada. Chosen in 1932 by The University of Western Ontario as the ideal location to facilitate the integration of French-language students into a French-speaking community, the lovely town of Trois-Pistoles, and its residents, have always been vital to the success of this unique educational experience. The same high standards for which The University of Western Ontario is known to prevail at Trois-Pistoles. (6) » Il faut saluer les visionnaires qui ont fondé cette École de langue et les administrateurs du Centre d'accueil, de développement et de formation en langues (CADFEL) de Trois-Pistoles qui travaillent d’arrache-pied à faire en sorte que la ville de Trois-Pistoles soit reconnue en 2008 comme un campus international d'immersion culturelle et d'apprentissage des langues. À travers ce projet, les responsables du CADFEL, un organisme à but non lucratif dont l'origine remonte à 1968, se font les promoteurs d'une vision nouvelle du tourisme d'apprentissage à travers le développement, la mise en œuvre et la promotion de séjours éducatifs dans leur région, réalisant par le fait même un modèle de coopération interculturel comme nous souhaiterions que le Canada le soit à tout point de vue.
Une histoire économique régionale houleuse
Région d’une beauté indicible, le Bas-Saint-Laurent, dont la côte s’étire entre le fleuve Saint-Laurent et les Appalaches, de Lévis Lauzon jusqu’au village de Sainte-Flavie, à l’entrée de la vallée de la Matépédia, a connu ses heures de gloire et ses misères qui ressemblent à une lente agonie sociale et économique. Selon l’Institut de la statistique du Québec, la population régionale des 15-34 ans a chuté de plus de 7 800 personnes, entre 1997 et 2006. La Commission jeunesse du Bas-Saint-Laurent prévoit que d'ici 2026, la baisse de la population des 15-34 ans va se poursuivre. Ces jeunes, en très grande majorité, quittent pour de bon leur région natale, pour étudier et occuper ensuite un emploi dans les grands centres urbains. Cette dramatique socio-économique n’est toutefois ni exclusive au Bas-Saint-Laurent (7) ni un phénomène nouveau. Entre 1850 et 1920, environ 760 000 québécois issus de presque toutes les régions du Québec ont émigré aux États-Unis, une émigration soit saisonnière, soit permanente pour plusieurs. Ma grand-mère maternelle a connu cet exode vers les filatures de la Nouvelle-Angleterre, à une époque où l’économie québécoise, trop axée sur une agriculture familiale de subsistance, l’exploitation primaire des ressources naturelles non transformées et une industrie manufacturière concentrée dans quelques secteurs intensifs en main d’œuvre peu scolarisée (chaussure, textiles…) ne permettait pas d’absorber l’excédent des travailleurs issus d’une démographie vigoureuse.
Les natifs du pays bas laurentien se souviennent sans doute du Bureau d'aménagement de l'Est du Québec (BAEQ), fondé en 1963 par la fusion de deux organismes déjà en place, soit le Conseil d'orientation économique du Bas-Saint-Laurent et le Conseil régional d'expansion économique de la Gaspésie et des îles-de-Ia-Madeleine. Les travaux du BAEQ s’inscriront dans le cadre d’une démarche fédérale ayant pour but de réaliser l’inventaire des terres du Canada et de planifier l'utilisation des ressources de l'agriculture, de la forêt, de la récréation (sic) et de la faune à la grandeur du pays. Un tel programme avait été recommandé en 1958, par le Comité sénatorial de l'utilisation des terres, et par la Conférence sur les ressources et notre avenir, en 1961. Sur les recommandations de ces organismes, le gouvernement fédéral approuvait, en 1963, le programme d'inventaire des terres du Canada, dans le cadre de la Loi sur l'aménagement rural et le développement agricole (ARDA), programme assorti de plusieurs centaines de millions de dollars dont une première enveloppe de 260,0 M$ pour le Québec.
Le plan d’aménagement et de développement du BAEQ dévoilé en 1966, impliquait le déplacement de près de 10 000 familles (65 000 personnes) disséminées dans une centaine de villages de la côte et de l'arrière-pays, et un ambitieux programme de formation professionnelle. « L'équipe d'animateurs avait comme fonction d'expliquer ce plan et de le faire accepter par la population. L'objectif était de fermer 85 villages jugés «économiquement non rentables et socialement non viables» et de regrouper 213 municipalités de l'Est du Québec en 25 villes de plus de 6 000 habitants. On laissait peu de choix aux gens. Ce plan de modernisation, au prix de fermetures, déportations et recyclages présentés comme seule solution de survie, allait fatalement déraper » (8) . Les populations concernées réagirent en créant les Opérations Dignité I et II (1970 et 1971) et l’association du J.A.L. (1973) des villages de Saint-Juste, Auclair et Lejeune placés en tête de liste des fermetures. Ces regroupements populaires sont autant d’exemples de tentatives de prise en charge par les populations concernées de leur développement social et économique. Pour assurer la survie de leurs villages dont l’économie dépendait largement de l’exploitation forestière, les citoyens de l’arrière pays proposèrent, entre autres mesures, la création de fermes forestières ayant comme principe de cultiver, de jardiner la forêt, au lieu de la raser, de la piller et ce, longtemps avant l’invention du concept aujourd’hui à la mode de «développement durable » et longtemps avant L’erreur boréale (1999) de Richard Desjardins qui reprenait sensiblement la même problématique des coupes à blanc. Ils furent aussi écoutés que les expropriés de Mirabel le seront, eux qui devront se battre pendant quinze ans (1969-1985) pour obtenir justice, des compensations adéquates et la restitution d’une bonne partie des terres expropriées en trop.
L’économie de Trois-Pistoles reposait elle aussi pour une large part sur l’exploitation forestière. D’importantes scieries, Daigle & Paul, Deschênes & Frères, Renouf-Pelletier et le « moulin » Duval roulaient le bois à l’année longue. Des goélettes acheminaient du bois de pulpe vers les papetières de la Côte Nord, de mai à Novembre. Toute cette activité liée à la forêt a disparu depuis belle lurette faute de ressources encore exploitables, comme a disparu la tannerie et la manufacture de chaussures, dont l’essentiel de la production, les fameuses bottes à drave réputées insubmersibles (!) étaient fièrement portées par les travailleurs forestiers qui s’en sont allés avec la ressource. C’est d’ailleurs mon père, Charles-Eugène Roy, qui a démoli une partie des installations de la fabrique de chaussures de la rue Martel à Trois-Pistoles, après y avoir œuvré pendant 45 ans. Tout se tient en économique et le jeu économique des gains et pertes ne profite pas également à tous.
Au temps de sa prospérité que j’ai eu le bonheur de vivre, la population de Trois-Pistoles atteignait 6 500 habitants, soit 2 200 personnes de plus qu’aujourd’hui. Cette donnée illustre sans équivoque 40 ans de développement économique régional et de PIB provincial en croissance! Les trous de mines à ciel ouvert, les territoires forestiers dévastés, les eaux poissonneuses du Saint-Laurent vidées de leur faune ne génèrent plus aucun emploi. Les travaux herculéens du BAEQ, l'Esquisse du Plan paru en 1965 comprenait 2 500 pages de texte et 40 Annexes techniques, le Plan lui-même publié en 1966, comptait dix cahiers totalisant 2 048 pages et 231 recommandations dictées par six grands objectifs d’aménagement du territoire n’ont pu infléchir le cours de l’histoire d’une économie de libre marché, globalement non planifiée. Les luttes passées pour assurer la survie des pays magnifiques du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Ïles-de-la-Madeleine se sont essoufflées avec le départ d’une bonne partie de la jeunesse et la désespérance crée par les éternels discours, études et politiques de développement économique régional.
Il faut le reconnaître honnêtement, les solutions ne sont pas simples. Les luttes d’aujourd’hui autour des ports méthaniers de Lévis et Cacouna, du mont Orford, du Suroît, du CHUM et des fusions municipales font écho aux luttes de tous les expropriés des territoires économiques d’hier et illustrent de façon éloquente le déficit démocratique criant auquel sont confrontés les citoyens qui souhaitent avoir prise sur leur destinée sociale et économique. Le parachèvement de la conquête des droits démocratiques, incluant la démocratie économique, s’impose d’emblée et passe en priorité par un processus politique le plus représentatif possible de la volonté populaire. Ceci étant acquis, la table sera mise pour que les citoyens s’approprient la définition, l’implantation et la réalisation des objectifs économique qui les concernent au premier plan. Lorsque les citoyens sentiront qu’ils ont pleinement prise sur la vie sociale et économique de leurs villages, de leurs villes et de leurs régions, la souveraineté ne posera plus problème, car elle sera déjà une réalité….Il faut savoir cependant que la démocratie est le régime politique le plus exigeant, quoiqu’il puisse être le plus gratifiant.
Yvonnick Roy

Québec

1 - Desjardins, Georges. Antoine Roy dit Desjardins (1635-1684), Éditions du Bien Public, Trois-Rivières, 1971.

2 - Desjardins, Sergine. Marie Major, Éditions Guy Saint-Jean, Laval, 2006.

3 - Association des familles Roy d’Amérique. Bulletin de liaison Les Souches, vol. 1, no.2, mars 1996.
4 - Trudel, Marcel et Micheline D’Allaire. Deux siècles d’esclavage au Québec ,Éditions Hurtubise HMH ltée, Montréal, 2004.

5 - Ministère du Conseil exécutif, SAGMAI. Nations autochtones du Québec, Gouvernement du Québec, 1984.
6 - http://www.uwo.ca.
7 - Ministère du développement économique, de l’innovation et de l’exportation, Portrait socioéconomique des régions du Québec, 2006.
8 - Bouchard, Roméo. Y a-t-il un avenir pour les régions? Éditions Écosociété, 2006.

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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    22 septembre 2007

    Manifestement, la question identitaire est sur tous les fronts ces jours-ci. Le débat que suscite la commission Bouchard Taylor expose à la vue de toutes et de tous de vieilles blessures. Jamais cicatrisées, elles reviennent nous affaiblir, nous rendre malades. Pourtant, on nous avait promis que le fond du problème était réglé. Que le sort de notre peuple était protégé par cette grande fédération canadienne. Que de mensonges!
    En lisant ce texte de Yvonnick Roy, je comprends que la vie de mes ancêtres était difficile, tordue et parfois injuste. Mais ce qui me frappe, c’est de voir que malgré tout, ces femmes et ces hommes ont su préserver ce goût de liberté et de justice jusqu’à moi. Tant de combats et tant d’efforts pour survivre! Il serait injuste pour mes aïeux de battre en retraite. Les moyens ont changé, mais les enjeux sont les mêmes, comprendre l’histoire c’est de mieux prévoir l’avenir!
    Jean Christian Roy, fier descendant de Antoine Roy dit Desjardins.

  • Archives de Vigile Répondre

    21 septembre 2007

    Les ancêtres

    Paroles et musique (1967) : Georges Dor
    -
    D'aussi loin que je me souvienne
    Ils étaient faits pour le bonheur
    Pour une vie trop quotidienne
    Et pour le pire et le meilleur
    *
    Je parle d'eux sans les nommer
    Car vous portez un peu leurs noms
    Je sais qu'ils étaient pauvres et bons
    Qu'ils étaient tous parents ensemble
    Et qu'ils savaient tenir le coup
    Du mois de janvier au mois de décembre
    Et qu'ils aimaient prendre un p'tit coup
    Et qu'ils aimaient aussi la danse
    *
    Je les revois grandeur nature
    Enlacés pour danser la gigue
    Et les croix de leurs signatures
    Me font signe de leur fatigue
    *
    Je parle d'eux pour me convaincre
    Qu'il s n'ont eu ni tort ni raison
    Que survivre c'était déjà vaincre
    Et il fallait bâtir maison
    Mais le jour des morts est passé
    Fini le temps des survivants
    Je ne veux pas d'un beau passé
    Pour me consoler du présent
    *
    Les yeux faits pour la vigilance
    Courbés entre l'arbre et le vent
    Ils se taisaient mais leur silence
    Nous a servi de paravent
    *
    Je parle d'eux par habitude
    Ce que j'en dis c'est pour conter
    L'histoire de leur servitude
    Et pour enfin me révolter
    Contre la peur et la quiétude
    Et c'est pour enfin récolter
    Ailleurs que dans la solitude
    Ce pour quoi ils ont patienté
    *
    D'aussi loin que le temps nous vienne
    Ils nous vient un peu des aïeux
    Leurs noms se mêlent à nos poèmes
    Fini le silence des vieux
    *
    Venez voir un peu les ancêtres
    On a continué l'univers
    Le jour se lève à nos fenêtres
    Et les sapins sont toujours verts
    Dans notre vive appartenance
    À cette terre et à ce temps
    Nous n'aurons pas votre patience
    Et nous serons payés comptant
    _______________________
    P.S.: ce serait agréable si la musique de cette chanson Les ancêtres de Georges Dor accompagnait la lecture de cette page mémorable de Yvonnick Roy relatant un passage de l'histoire des Canadiens-français.

  • Hélène Béland Répondre

    21 septembre 2007

    Merci...Pour cette mémoire qui sommeille en chacun de nous. J'ai toujours eu besoin d'un pays, mais jamais autant qu'à ce jour de septembre 2007.
    J'attends ce pays à l'image de ce que je suis et que je souhaite transmettre. J'ai besoin de dire, à qui veut bien tendre l'oreille encore, même si les mots me manquent, avec mes sens, mes gestuels, mon accent, la tournure de ma parlure, ma passion, ma raison, mes émotions, mon vécu, mes appris...et même mon âme laïcisée aux couleurs d'un automne judéochrétien d'ici: à quel point il serait bon de crier haut et fort: OUI je le veux ce pays de mes aïeux. Je veux ses fleurs de lys, sa langue, sa culture, du sirop d'érable jusqu'à l'ours polaire, son humour, son histoire, ses contes et ses légendes, sa musique et son rythme du champ de maïs jusqu'au plus rigoureux de ses hivers...il y a si longtemps que j'attends mon pays du Québec. Donnez-moi un pays avant de mourir.
    Qui osera encore me dire de me taire pour mieux me convaincre ensuite que je suis majoritaire mais que je me comporte en minoritaire sur ma terre. Suis-je donc indigne d'elle...?Pourquoi pense-t-il encore cela de moi? Vous qui passiez votre existence à lire, alors que nous, nous trimions aux champs pour vous nourrir.