La nouvelle phase de la crise financière, – la crise de l’euro revenue à un paroxysme avec une nouvelle phase paroxystique de la crise grecque, mais aussi l’“incident” de la banque JP Morgan, avec une perte de $2 milliards et au-delà suite à des opérations “à risque”, – engendre une nouvelle poussée de réflexions de fond sur la crise générale, ou “crise haute” étendue à la crise financière. Cette fois, la réflexion commence à atteindre les limites du Système lui-même, donc le Système lui-même, donc notre civilisation, ou “contre-civilisation” comme nous la désignons. On en prend ici deux exemples, de deux textes d’analyse qui ne concernent effectivement que la crise financière mais qui tendent à s’élargir à la vision globale et civilisationnelle.
Paul Craig Roberts, d’abord, qu’il nous est souvent arrivé de citer. Roberts, cet ancien adjoint au secrétaire au trésor de l’administration Reagan, a toujours été pessimiste depuis qu’il s’est installé comme commentateur des évènements crisiques sur l’Internet, depuis le 11 septembre 2001. Jusqu’ici, sa vision critique portait essentiellement sur l’effondrement du système de l’américanisme. Avec ce texte du 20 mai 2012, qu’il met en ligne sur son nouveau site à l’enseigne de l’“Institute of Political Economy” qu’il a créé (également sur Infowars.com le 21 mai 2012), Paul Craig Roberts franchit un pas de plus, l’ultime pas en vérité pour notre cadre actuel, qui est la fin de la civilisation actuellement en place… «In the end, the financial crisis could destroy Western civilization.» Roberts développe une longue analyse, avec diverses références qui conduisent à d’autres textes intéressants. Il met en évidence l’extraordinaire corruption du Système, y compris la corruption statistique qui empêche d’apprécier la situation telle qu’elle est et constitue une sorte d’aveuglement volontaire qui prévient toute tentative de réforme (!), voire de défense du Système («The way the government has rigged the measure of unemployment, it is possible for the US to have a zero rate of unemployment and not a single person employed or in the work force.»)…
Paul Craig Roberts s’attache notamment à une interview de Simon Johnson, ancien chef économiste du FMI qui, en commentant l’affaire JP Morgan Chase, constate que la dérégulation de Wall Street a abouti d’une façon inexorable qu’on croirait finalement fatale, à une situation sans issue. Il s’agit du cas fondamental dont nous connaissons bien l’esprit ; il s’agit d’un processus systématique de concentration qui conduit à la répétition de la même crise, avec renforcement constant des mêmes puissances faussaires et malignes aux dépens de l’économie générale, de la situation sociale, de la cohésion et de la survie des populations, avec le renflouement régulier de ces puissances malignes dont le Système est à la fois le démiurge et l’otage, aux dépens du budget central ainsi détruit inexorablement et entrainé par une dette pathologique, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’essentiel survienne. Le tout est bloqué, verrouillé hermétiquement par les connexions entre la finance et le monde politique.
«Simon Johnson says: “I think it [deregulation] is a recipe for disaster.” The problem is, Johnson says, that correct economic policy is blocked by the enormous donations banks make to political campaigns. This means Wall Street’s attitudes and faulty risk models will result in an even bigger financial crisis than the one from which we are still suffering. And it will happen prior to recovery from the current crisis. Johnson warns that the Republicans will distract everyone from the real crisis by concocting another “crisis” over the debt ceiling…»
Paul Craig Roberts conclut sur l’“ironie suprême”, qui est que le Système poussant ses principes à l’extrême, produit sa propre mort en produisant des dégâts irréversibles autour de lui. Il s’agit par conséquent de la logique suicidaire désormais classique pour nous, de cette logique qui fait s’enchaîner en cumulant les effets, c’est-à-dire en transmutant sa propre dynamique, cette dynamique de surpuissance transmutée dans le cours de son activité en dynamique d’autodestruction. Conclusion de Roberts : effectivement, la destruction de la “civilisation occidentale”.
«It is ironic that the outcome of financial deregulation in the US is the opposite of what its free market advocates promised. In place of highly competitive financial firms that live or die by their wits alone without government intervention, we have unprecedented financial concentration. Massive banks, “too big to fail,” now send their multi-trillion dollar losses to Washington to be paid by heavily indebted US taxpayers whose real incomes have not risen in 20 years. The banksters take home fortunes in annual bonuses for their success in socializing the “free market” banks’ losses and privatizing profits to the point of not even paying income taxes.
»In the US free market economists unleashed avarice and permitted it to run amuck. Will the disastrous consequences discredit capitalism to the extent that the Soviet collapse discredited socialism? Will Western civilization itself survive the financial tsunami that deregulated Wall Street has produced? Ironic, isn’t it, that the United States, the home of the “indispensable people,” stands before us as the likely candidate whose government will be responsible for the collapse of the West.»
Dans son texte, Paul Craig Roberts renvoie à une autre analyse qui nous semble particulièrement intéressante de Rob Urie, sur CounterPunch le 19 mai 2012. Rob Urie est présenté comme « an artist and political economist in New York», ce qui est un mariage de fonctions particulièrement intéressant pour saisir l’essence même des évènements. L’intérêt de son analyse, qui s’articule également autour de l’“incident” JP Morgan, est qu’elle conduit au constat effectif du suicide (dynamique d’autodestruction), lorsque l’auteur définit le capitalisme dans sa phase finale d’effondrement actuel comme «The Suicide Machine». Urie rappelle, ou révèle on ne sait, qu’en mars 2010, Andrew Haldane, Executive Director for Financial Stability à la Banque d’Angleterre, estimait que la crise financière coûterait entre $60.000 milliards et $200.000 milliards… Encore n’avait-il pas pris en compte, Haldane, les destructions catastrophiques que le Système impose à l’environnement (global warming ou pas, qu’importe) pour pouvoir survivre, pour tenter de ne pas s’effondrer. Le Système n’a donc à offrir, dans ses plus ambitieuses propositions de “reprises”, qu’une multiplication de catastrophe en catastrophe… Ironie, encore, pour que le diable songe au moins à en sourire.
«This establishes a paradox—the existing economic (and political) order isn’t working. But, as political leaders on the right and what passes for the left these days claim, failing to sustain it would entail massive human costs in terms of unemployment, bankruptcy, poverty, divorce, suicide and the dissolution of our public institutions. Ironically, add increasing environmental destruction to this list and it well describes current conditions under the existing order. Apparently the best that defenders can offer is that things could be a lot worse…»
D’où sa péroraison, à partir de la démonstration faite par l’“incident” JP Morgan, concernant “la machine suicidaire”, et en mode turbo certes («a full-blown suicide machine »). Il intègre cet “incident” dans un contexte général de dégradation systématique (environnement, notamment) qui tient au fonctionnement même du Système, et conclut alors que l’“incident” montre que la crise financière n’est pas résolue et que cette crise vient du dedans, du système financier lui-même avec toutes ses conséquences de fonctionnement ; ainsi, arrivant à l’observation fondamentale qu’il s’agit effectivement de tout un système, – le Système, pour ne pas le nommer, – complètement engagé dans sa course suicidaire.
«For all of the money that the banks have been allowed to create and pay out to the purported rocket scientists who build their risk models, the particular model under discussion in J.P. Morgan’s case (VAR, value-at-risk) is a work of rare idiocy. The question that it attempts to answer is: how badly can things go for one day, week, month etc. assuming (1) no other banks run into similar problems and (2) everything goes back to normal in the next period. What makes use of this model so questionable is that both of these assumptions are behind every spectacular financial collapse in modern history that didn’t involve outright theft (e.g. Ponzi schemes).
»Ultimately the particulars of J.P. Morgan’s losses are so much noise. What they point to is an economic system designed to self-destruct. Add increasing environmental degradation in the face of global warming to structural financial fragility and what capitalism appears to have created is a full-blown suicide machine. And to invert Mr. Haldane’s premise—the $60 trillion in lost production (minimum) was never going to go to us anyway. The trajectory since the 1970s had it going to corporate executives, bankers and machines (automation).
»The challenge for reformers and re-regulators is that the system is the problem. Companies pollute because they individually prosper while we collectively pay the costs. Banks take risks that are internally rational while they are systemically catastrophic. Environmental and financial crises cannot be solved with capitalism intact. In fact, when global warming and bank crises are considered, there is little evidence that capitalism ever produced any profits net of externalized costs. And the consolidation of wealth that capitalism produces undermines all attempts at remediation. Capitalism itself is a suicide machine.
»What made J.P. Morgan’s loss news is the recognition that the financial crisis hasn’t been resolved. And again, this crisis isn’t from without. It is endemic to the system we are being told we must save. As Mr. Haldane has it, even if the crisis had been resolved, we would still collectively be out more than $60 trillion anyway. And the only way toward those trillions is through increasing environmental catastrophe. By appearances, the current order is in the process of imploding of its own weight. And while dislocations create fear, they also create openings for other possible futures.»
… Par conséquent, on notera les deux dernières phrases de la conclusion, où successivement parlent l’analyse financier et “l’artiste” : le Système est en train d’imploser sous son propre poids, et sous le poids de tous ses vices qui tiennent à sa substance même ; même si cette perspective est effrayante, elle est absolument nécessaire pour espérer “espérer autre chose”. Comme disait évidemment le vieux Caton (“delenda est…”), le Système doit être détruit. Après, on verra, et c'est après seulement qu'on verra...
Mis en ligne le 22 mai 2012 à 05H52
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé