Le «coup de barre» de la ministre de l'Éducation pour sauver l'apprentissage du français de la déroute n'a de véritable envergure que lorsqu'on le mesure à l'étendue de la déconfiture laissée derrière. Au redressement promis manque toutefois l'essentiel: une sentinelle qui veillera à ce que les promesses se réalisent.
Dans l'univers tourmenté de l'éducation, rarement un plan d'action aura-t-il suscité une telle unanimité. Il faut en effet saluer les mesures dévoilées mercredi par la ministre Michelle Courchesne, qui visent à corriger les errements en français des élèves du primaire et du secondaire.
Interpellée par la dégringolade des résultats en français écrit, Mme Courchesne avait promis dès son arrivée en poste un examen réfléchi pour ce dossier délicat alliant langue et école. Habile et diligente, elle dévoile coup sur coup l'analyse et son verdict politique.
Celui-ci est satisfaisant. Les mesures annoncées ratissent large; surtout, elles saisissent le problème dans son ensemble au lieu d'opter pour des solutions temporaires, appliquées à un seul aspect des difficultés. De la révision des programmes à l'obligation d'excellence en français dans tout le réseau, la ministre vise les défaillances de la formation des maîtres, le manque crucial de ressources professionnelles, la formation continue des enseignants, les pratiques en classe, l'évaluation des élèves et leur cheminement.
Se faisant rassurante, elle insiste sur l'importance d'écrire un texte par semaine et d'inscrire la dictée aux pratiques régulières; certains n'auront pas manqué d'y voir -- encore! -- le retour d'une dictée pourtant jamais disparue, une des contrevérités les plus persistantes dans le féroce débat qui entoure la réforme de l'éducation.
Qu'on ne s'y trompe pas: certaines des volontés exprimées, dont, assurément, celles qui font symbole -- la dictée, la rédaction d'un texte par semaine --, sont percutantes car elles émanent de nulle autre que la ministre de l'Éducation. Mais ce message, si musclé soit-il, n'a pas force de loi. Rien dans la Loi sur l'instruction publique ni dans les règlements régissant la pratique ne peut transformer ces bons voeux en obligations. Espérons qu'ils soient entendus.
Toutefois, on peut vraiment apprécier la hauteur de ce geste politique en s'attardant au constat qui l'a forcé. Le plan d'action de la ministre Courchesne a beau avoir retenu toute l'attention des dernières heures, c'est bel et bien l'examen du groupe d'experts présidé par le linguiste Conrad Ouellon qui est le plus troublant.
Comment en arriver là?, se demande-t-on à la lecture du document. S'il est vrai que l'inquiétude pour la qualité de la langue ne date pas d'hier, certains égarements consternent.
Ainsi, le fait que les programmes doivent être (à nouveau) récrits pour gagner en précision. Que dans lesdits programmes, personne n'ait songé à graduer les éléments de connaissance à transmettre aux élèves, du plus important au moins capital, ne serait-ce que pour guider la pratique enseignante et assurer un socle commun aux enfants. Qu'on n'ait pas prédit la pénurie de professeurs de français. Qu'un examen uniforme pour les futurs enseignants ne soit toujours pas disponible. Qu'on n'ait pas vu les effets pervers de la mise à pied des conseillers pédagogiques, aujourd'hui appelés à revenir en renfort.
Voilà pourquoi on se désole que Michelle Courchesne n'ait pas jugé bon de retenir cette recommandation phare du rapport Ouellon qui appelle à la création d'un organisme indépendant chargé de l'application à long terme des mesures décidées en haut lieu, bien plus, en somme, qu'un éphémère comité de suivi.
Un bref retour en arrière atteste que les politiques ministérielles destinées à rehausser la maîtrise du français ont été nombreuses. La dernière en date: un «plan d'action pour la valorisation du français, langue d'enseignement», piloté en 2001 par l'ancien ministre François Legault. Plusieurs des mesures-chocs proposées cette semaine s'y retrouvent en toutes lettres. On les a pourtant perdues dans la joute politique.
Sans l'installation courageuse d'une vigie épiant le moindre risque de rechute, les plus beaux coups d'envoi peuvent rester vains. La qualité du français à l'école doit avoir son ange gardien.
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machouinard@ledevoir.com
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