«Tout ce qui traîne a tendance à se salir...»

La saleté accumulée

Victoriaville - 5 mai 2012


Qu'est-ce que m'avait dit le chef de la police de Montréal, en entrevue, il n'y a pas si longtemps? Attendez que je fouille dans mes notes...
Ah, oui. C'est ça.
«Tout ce qui traîne a tendance à se salir...»
Marc Parent parlait de la fatigue de ses troupes, après des semaines de manifs à Montréal, dont certaines très musclées. Il parlait du travail policier qui, forcément, dans l'épuisement, peut déraper, malgré l'entraînement et la retenue.
N'empêche que c'est une belle expression, très pertinente, qui cerne bien l'air du temps actuel. Tout ce qui traîne a tendance à se salir. Ce pourrait être le titre d'un documentaire racontant ce printemps québécois 2012, ce printemps érable de toutes les manifs.
Victoriaville, hier, avec ces affrontements violents, ces étudiants blessés et ensanglantés, ce groupe de salopards de casseurs qui battent bravement un flic recroquevillé sur lui-même?
Ces manifs montréalaises qui font de détestables escales d'intimidation devant les résidences personnelles d'un élu (Jean Charest) et d'un journaliste (Richard Martineau)?
Ce brasse-camarade entre rouges, verts et sans couleurs, autour des cégeps et universités?
Ces flics obligés de menotter des profs dans des cégeps, ces gardiens de sécurité qui jouent aux goons avec des profs d'université?
Ces tatas qui parlent de casser la gueule de Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la CLASSE, sur les médias sociaux?
Ce climat de merde, toxique?
C'est ça. C'est de la saleté accumulée.
C'est ce qui arrive quand, pendant des semaines, on laisse une situation pourrir. Quand, pendant des semaines, un gouvernement est aveugle et sourd à la colère d'une masse critique d'étudiants.
Ça se morpionne. Ça se gâche. Ça pourrit.
Jean Cournoyer, quand il parle du Québec, quand il parle de gouverner, est un de mes commentateurs préférés. On ne l'entend plus très souvent, mais ça ne donne que plus de poids à ses interventions. Sa lecture des événements est d'une lucidité assourdissante.
M. Cournoyer a été ministre sous Robert Bourassa, dans les années 70, des années de troubles sociaux de toutes sortes. On ne peut pas dire que M. Cournoyer soit un dangereux communiste espérant voir l'ordre établi renversé.
Que disait l'ancien ministre libéral du Travail, il y a une dizaine de jours?
Il a dit qu'il était grand temps pour le premier ministre du Québec de s'impliquer dans la crise.
M. Cournoyer était parmi les éminents Québécois qui ont signé, à la fin du mois d'avril, une lettre enjoignant au gouvernement de parler avec les étudiants. Je cite : «Jamais, dans des moments dramatiques, le gouvernement du Québec, l'État québécois, n'a-t-il opposé une aussi incompréhensible fin de non-recevoir aux groupes s'opposant à ses volontés.»
Ce n'est pas - contrairement à ce que certains esprits tordus pensent - excuser la violence des casseurs que de constater ce fait : l'inaction du gouvernement de Jean Charest, pendant des semaines, n'a rien fait pour calmer le jeu, dans la rue.
Au moment d'écrire ces lignes, pour la première fois, le gouvernement négocie vraiment avec les étudiants, qu'il a convoqués hier à 16 h, à Québec. À la table : le négociateur de Québec ainsi que la ministre Line Beauchamp et la présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne; les trois associations étudiantes, de l'autre.
Le hic, c'est que cette réunion aurait dû avoir lieu il y a des semaines. Elle aurait dû avoir lieu, tiens, quand les manifestations n'avaient pas encore été piratées par les amateurs du lancer du pavé. Après le 22 mars, par exemple, quand plus de 100 000 étudiants avaient défilé, pacifiquement, joyeusement, à Montréal.
Le hic, bien sûr, c'est que l'intransigeance des libéraux devant les étudiants a été payante, politiquement. Le sondage de La Presse l'a bien montré, hier. Devant le chaos, le peuple irrité se rallie derrière l'incarnation de l'ordre : le gouvernement.
C'est ici l'effet pervers de la saleté dont je parlais plus haut, un effet que peu d'entre nous avaient entrevu jusqu'à tout récemment : elle profite à celui qui l'a laissée là, sur notre comptoir collectif. Pour joindre notre chroniqueur : patrick.lagace@lapresse.ca


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