La Réforme électorale

La profession de foi envers la proportionnelle est hypocrite.

Chronique d'André Savard


Depuis plus de trente ans, tous les partis politiques se disent en faveur d’un mode de scrutin dit proportionnel. Tout le monde est pour mais personne ne veut l’appliquer. À chaque semestre depuis des décennies, quelques groupes font une sortie, comptant fréquemment Jean-Pierre Charbonneau, ancien président de l’Assemblée nationale. On les laisse dire et on les laisse aller en paix car ils ont bien raison.
La profession de foi envers la proportionnelle est hypocrite. Si des gens comme Jean-Pierre Charbonneau y croient sincèrement, dans les couloirs, tous les partis politiques se disent : notre travail ce n’est pas de la tarte et on n’a pas l’intention de l’empirer.
Qu’a-t-on tant à redouter ? Les immigrants et les anglophones se concentrent à Montréal. Ils votent en bloc pour le parti Libéral. La portée de leur vote est diminuée en raison de ce confinement urbain dans le présent système. La proportionnelle mettrait un terme à cette situation. Pour être élu, les gouvernements devraient tenir compte encore davantage de ce vote, celui des immigrants et des anglophones, plus identifiés au tout canadien.
On craint donc que la proportionnelle mette en relief les lignes de fracture de la société québécoise. Comme il arrive plus de 40,000 immigrants par année dont plusieurs trouvent la langue anglaise et la citoyenneté canadienne plus utiles que tout le reste pour vivre en Amérique du Nord, le vote francophone serait de plus en plus frustré. Jusqu’à présent, en contrebalançant l’amoindrissement du vote francophone par le système électoral disproportionnel, on a cru trouver un gage de paix sociale.
Même les Libéraux gardent leur distance envers la proportionnelle. Au Québec, tous les politiciens craignent d’exacerber un sentiment d’aliénation chez les francophones. Un gouvernement libéral qui serait reporté au pouvoir avec l’appui en bloc de ses clientèles sans le support des francophones se verrait confronté à des problèmes de gouvernance grave. D’ailleurs Charest a déjà dégusté quand il a assumé son premier mandant entouré de la grogne des francophones.
Avec la proportionnelle, si le vote en bloc se perpétue, les francophones risquent fort d’envisager plus vite que ce ne serait souhaitable ce qui se trame, le grand mouvement de bascule qui, sinon, frappera par son évidence plus graduellement. Un jour, un parti fédéraliste ne dépendra plus des francophones pour se faire élire. Une prise de conscience trop hâtive de la part des concitoyens ne va pas au goût des Libéraux. Il est mieux en attendant de coffrer les autorités linguistiques dans les locaux de l’Office de la Langue Française où on peut facilement évoquer les devoirs de loyauté envers l’employeur pour faire taire les rapports.
On craint en outre de mettre les régions en rogne. Dans les cartons, on caresse bien des hypothèses dont les fermetures de comté. Plus une zone se dépeuplerait, plus le comté s’agrandirait afin d’atteindre le quota de population d’un comté montréalais. À quoi bon voter si le sort du gouvernement est décidé par la grande région montréalaise dira-t-on en Gaspésie? Et quel intérêt de voter pour un député dans un comté agrandi, si éloigné géographiquement qu’il n’appartient même plus à sa région propre?
Pour contrer le sentiment d’aliénation potentielle des régions, Jean-Pierre Charbonneau a soulevé la possibilité de constituer une chambre des régions. Il y aurait plusieurs types de députés, un certain nombre se rangeant parmi les députés représentant des comtés et des députés élus à titre de représentants de leur parti dont le rôle reste à clarifier. On ne sait trop comment se répartiraient les députés entre le parquet de la Chambre des régions et le lieu habituel des délibérations de l’Assemblée.
Il y a également le risque des gouvernements minoritaires. Pour calmer les appréhensions, on se dit qu’on a tort de transposer les comportements électoraux actuels et d’extrapoler ses résultats pour juger du système proportionnel. Si le vote est, selon la vulgate démocratique, l’expression de l’opinion de l’électeur, dans les faits, cette opinion se forme en fonction de l’environnement électoral. Elle est l’expression d’une adaptation
à ce que le mode de scrutin rend possible plutôt que l’expression d’une ferveur abstraite envers certaines idées.
Il serait par conséquent fort possible, pensent certains, que le vote plus canadien que québécois se tourne lui aussi partiellement vers d’autres formations, les Verts par exemple, et que le parti Libéral perde son monopole auprès d’eux. Ce raisonnement est peu convaincant. L’identification au Canada constitue la nouvelle règle du jeu pour un immigrant. Cela implique que, quel que soit le mode de scrutin, le parti Libéral n’a pas à craindre l’émiettement de ses clientèles spécifiques.
La perspective de voir Amir Khadir ou Françoise David faire leur entrée fera plaisir à plusieurs. Sondages à l’appui, avec sept pour cent des voix, cela donnerait la possibilité à Québec Solidaire de faire élire un ou deux députés sur la liste mixte, faute de pouvoir l’emporter au niveau des comtés.
Cependant, cela paverait aussi la voie à des figures libérales issues de l’ouest de Montréal, de bons partisans de la souveraineté canadienne sur le Québec. Une nouvelle cohorte de députés montréalais, pour la plupart des Libéraux, verseraient des larmes attendries en prêtant serment. Mathématiquement, plus ça va, moins on aura à plaire aux francophones.
En fait, avec la réalité démographique en sa faveur, le parti Libéral craint d’être débordé trop vite sur sa droite et de s’enferrer dans les bornes des jugements fédéralistes. Les groupes contre la loi 101 ne veulent entendre que leurs arguments mais, disciplinés, ils se font discrets parmi les militants libéraux. Lors des congrès du parti ils n’éclatent pas ouvertement sur la parquet car le parti dépend encore des francophones.
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Du côté des indépendantistes, d’autres raisons expliquent les réticences envers la proportionnelle. D’abord, comme il fut écrit dans cette chronique, le mouvement indépendantiste compte deux électeurs sur cinq, une juste moyenne dans le contexte occidental. L’appui à la souveraineté atteint parfois cinquante-cinq pour cent mais on a remarqué que le taux d’appui est inversement proportionnel à ses possibilités de réalisation dans l’immédiat.
Cela implique que pour faire l’indépendance du Québec, il faudrait se comporter comme un mouvement qui doit rallier une majorité par le biais de la cohabitation. Et pour s’entendre, il y aurait des « partenaires », nommément l’ADQ. Forcément, on devrait proposer une pratique de construction de l’Etat Québécois dans un contexte de cohabitation.
Serait-ce bien ? Le mouvement indépendantiste serait obligé de réviser la ligne de démarcation entre indépendance et tout ce que tout ce qu’on range très vite dans la catégorie de la « diversion politique ». Les lecteurs assidus de Vigile connaissent cette tendance du mouvement indépendantiste à honnir la diversion politique.
Des indépendantistes pensent que le développement du savoir constitue une garantie de libération. Que l’on fasse de l’indépendantisme un système de savoir cohérent, diffusé et appris de façon systématique, qu’en toute cohérence on trace la ligne de démarcation entre indépendantisme et les entreprises de diversion politique et voilà, on sera près du but. Ils écartent l’idée de revenir sur la question du statut du Québec alors qu’il reste à l’intérieur du Canada. L’indépendance ne serait pas un stade suprême qui arriverait au terme d’un processus à l’intérieur du système fédéral.
Pour ma part, je l’ai déjà écrit, cette approche qui se veut exta systémique s’interdit des prises sur le réel. Comme ces indépendantistes visent l’indépendantisme dans une sphère abstraite du système existant, il leur paraît à l’abri de la diversion politique. Cette approche peut passer pour un facteur d’agrégation de certaines clientèles à l’intérieur de leur mouvement et ils en déduisent qu’ils ont la clef pour se diriger vers une grande coalition de masse.
Pour le moment, le mouvement indépendantiste doit déplacer les critères du consensus dans la société québécoise. On doit pousser un nombre grandissant de francophones à ne plus s’identifier au fédéralisme et à prendre parti pour l’Etat Québécois. On doit déjà se considérer en cohabitation.
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Jusqu’à présent, les plans de représentation proportionnelle entraînaient une augmentation du nombre des députés ou la fermeture de comtés dépeuplés. Ils conduisaient à la non-représentation progressive de communautés naturelles en Abitibi ou en Gaspésie. La proportionnelle ce n’est donc pas pour demain peut-on dire… mais ça viendra. Les indépendantistes devraient réfléchir tout de suite au choc culturel que constituerait pour eux la modification du mode de scrutin.
Le Parti Québécois en adoptant le principe d’une Constitution québécoise, d’une citoyenneté amorce déjà un virage. Elle sert d’encouragement à un nouveau type d’action. Ce n’est pas parce qu’on essaie de créer un consensus pour outiller l’Etat Québécois que l’on contredit la souveraineté.
Nous en sommes à un stade où on doit s’attirer le plus d’appuis possibles. Le contexte futur de la cohabitation renforcera cette exigence. Criera-t-on dans certains milieux indépendantistes à la diversion ? Il faudrait leur rappeler le bon mot du philosophe Michel Foucault : « Vieux reproche groupusculaire : accuser ceux qui ne font pas la même chose que vous de faire de la diversion ».
Comme je m’envole pour les Europe, j’aurai au cours des trois prochaines semaines l’occasion de me pencher sur le système proportionnel à l’allemande. Au revoir et au plaisir de vous revenir.
André Savard


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    19 avril 2008

    Il y aune chose qui me semble-t-il n'a jamais été évoquée et qui pourrait clarifier la situation, puisque qu'un mode d'élection proportionnel ne semble pas acceptable pour les décideurs.
    Ce serait d'abandonner le scrutin uninominal à un tour, et le remplacer par un vote exigeant l'atteinte d'une majorité absolue de suffrage. À deux tours comme par exemple en France
    Cela exigerait des réalignements et surtout produirait des gouvernements qui disposent réellement d'une majorité pour gouverner.

  • David Poulin-Litvak Répondre

    14 avril 2008

    "Qu’a-t-on tant à redouter ? Les immigrants et les anglophones se concentrent à Montréal. Ils votent en bloc pour le parti Libéral. La portée de leur vote est diminuée en raison de ce confinement urbain dans le présent système. La proportionnelle mettrait un terme à cette situation. Pour être élu, les gouvernements devraient tenir compte encore davantage de ce vote, celui des immigrants et des anglophones, plus identifiés au tout canadien."
    Le problème, c'est que le seul politicologue qui a étudié cette question, M. Pierre Serré, dit précisément le contraire. L'influence des anglophones est plus grande de par le fait qu'ils contrôlent le PLQ, les députés de leurs circonscriptions sont indélogeables.
    Remarquez que notre mode de scrutin a deux avantages non négligeables:
    1- Il assure un gouvernement fort, souvent trop fort, car il ne représente pas la majorité de la population, mais quand même.
    2- Il permet, de temps en temps, de tasser un parti qui ne fait plus l'affaire (Union nationale), il permet donc une révolution rapide, par coup.
    Pour ces raisons, on peut espérer qu'un parti indépendantiste surgisse, fort, puis qu'il puisse profiter d'un gouvernement unipartisan pour mener la transition province-pays.
    Cependant, il faut être complètement idiot pour ne pas voir que l'inexistence politique de l'indépendantisme (pur et dur), et donc l'émasculation de l'indépendantisme québécois, est dû à un mode des scrutin qui évince les tendances qui s'éloignent du centre.