La raison politique du budget

Que des indépendantistes québécois permettent à une coalition de tenir ensemble, c’est inacceptable au Canada.

Chronique d'André Savard


Le budget qui vient de faire l’objet de plusieurs fuites calculées ne fut pas rédigé en raison d’un désaccord sur un principe de budget. Harper croyait en l'autocontrôle des marchés. Il croyait que les servitudes du gouvernement faisaient plus de tort que de mal. N'importe. Ce budget n'a pas eu comme objectif de fond de refléter les convictions des uns et des autres sur l'économie.
Il ne fut même pas spécifiquement conçu pour répondre à un ralentissement économique. Stephen Harper a été très explicite sur le principe qui engageait son action lors de la fermeture du parlement. Des députés indépendantistes exerçaient des influences jugées indues par lui, des influences en soi contraires à la raison d’Etat au Canada.
Les analystes parleront du déficit projeté aujourd’hui, demain et après demain. On aura oublié la raison du déclenchement de cet exercice budgétaire. Stephen Harper a dit que les bons Canadiens étaient animés d’une réaction holiste alors que les séparatistes étaient animés d’un nationalisme corrosif. En vertu de ce principe, il fallait, selon le premier ministre du Canada, allouer les pouvoirs et décider des possibilités de rayonnement des décisions prises par les élus. Rappelons-le. C’est d’abord sur la base de ce principe et pour le défendre qu’on a repris l’exercice budgétaire après la fermeture du parlement.
Comme le disait Harper, le dilemme ne se posait entre droitistes et partisans de l’interventionnisme. Le premier ministre défendait un principe supérieur voulant que le pouvoir au Canada ne dépende pas du parlement. Si le pouvoir du parlement induit un doute politique jugé radical sur les droits souverains du Canada sur le Québec, on a le droit à des mesures pour le suspendre.
C’est aussi simple que cela. Et cela n’a rien de surprenant de la part du pays qui s’est voté une Constitution annexant le Québec et qui a voté ensuite une loi qui l’autorise à qualifier les majorités démocratiques au Québec. Vu du Canada, ceci est un moindre mal, le Canada se percevant comme l’accoucheur magnifique d’un avenir radieux.
Au Canada, les mesures antiquébécoises récoltent facilement l’assentiment de la population. Les Canadiens grandissent avec l’idée qu’une victoire du Québec représenterait une refondation des valeurs à l’envers. À la vertu d’être ensemble, on substituerait la séparation. À la démocratie, de nature intrinsèquement anglo-saxonne, on substituerait un totalitarisme en faveur de la race française. À la solidarité égalitaire des provinces, on substituerait un monde exaltée par les valeurs guerrières.
Aussi l’idée même que des représentants québécois qui n’obtempèrent pas au credo de “l’unité du pays” appuient une coalition fut perçue au Canada comme une vacillement de la raison. Pour les Canadiens, "le parlement est roi" est une notion qui doit se soumettre à des conditions. Si le “pays”, territoire unitaire découpé en unités administratives appelées provinces, forme la matrice du parlement et l’inspirateur jaloux des esprits, alors et seulement alors, le parlement est roi.
L’idéal démocratique au Canada ne prend absolument pas la forme d’un droit du Québec de se représenter. Les députés peuvent dire une chose mais comme le Québec est si représentable et à tant de titres divers, Stephen Harper a souligné, avant la concoction du budget, qu’il enverrait de ses représentants partager avec les Québécois des bulletins de dernière heure. Comme d’habitude, le Fédéral a décrété qu’il obtenait directement sa légitimité en fréquentant le multiple. C’est toujours mieux que le corps étroit d’une nation.
Le Canada s’est tellement répété de décennie en décennie qu’il était la rédemption messianique du nationalisme québécois que l’opinion publique canadienne, seulement à entendre le mot “séparatiste", décode dans le sens voulu par les élites canadiennes: front contre front, cosmopolitisme contre chauvinisme, générosité contre rapacité mangeuse d’hommes.
Ignatieff et Layton ont décrié l’usage que Stephen Harper faisait du mot “séparatiste” pour disqualifier la coalition. Ils devraient noter qu’ils ont travaillé à cette sacralisation du pays qui a mené le Canada à édicter une formule du vivre-ensemble et à la faire avaler de force au Québec. Le “pays” au Canada est utilisé comme une ruse de la raison, une façon de justifier le tassement du Québec au nom des fins dernières.
Mais la grandeur du déficit masquera le berceau bien politique de toute l’affaire. Harper n’a pas écrit un budget pour répondre à des circonstances économiques difficiles. Tout le monde fera “comme si”, en prenant bien soin de ne traiter que de données comptables. Les commentateurs chevronnés parleront économie et se perdront dans le détail.
Derrière ces chiffres budgétaires, il y a une raison supérieure, une climat moral à préserver, un pays unifié par l’idée qu’il restitue au “nous” disqualifié par le tribalisme québécois une nouvelle dignité d’un océan à l’autre. Que des indépendantistes québécois permettent à une coalition de tenir ensemble, c’est inacceptable au Canada. Au Canada, on sait que la collectivité québécoise et sa représentation souffrent d’une moralité douteuse. Il n’y a que la nation canadienne pour donner à la dimension collective une virginité intacte et combative… au Canada.
Au Canada, on est maître pour s’assurer mutuellement de son bon droit advenant l’abus des droits.
André Savard


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