Jean Pelletier l'éminence

Chronique d'André Savard

Au décès d'un personnage public, l'usage veut que l'on fasse l'éloge du disparu. On a donc voulu rappeler que Pelletier avait travaillé à la reconnaissance de la ville de Québec comme fleuron du patrimoine mondial. Pour le reste, si Jean Pelletier est passé d'un monde à un autre, selon la formule consacrée, le monde qu'il quitte est bien en place, un peu grâce à lui.
À considérer Jean Pelletier, on a l'impression de voir un commencement et un recommencement perpétuel. Les raisons de Jean Pelletier sont celles d'Ignatieff, de Stephen Harper, de Jean Chrétien. Pour eux, le statut provincial du Québec constitue une mise en ordre, une juste proportion entre les intérêts universels et les intérêts particuliers.
Ils ne croient pas à la détermination obscure et préalable du système canadien. Pour eux, il n'y a pas domination, pas de préséance de la nation anglaise mais un partage soudain et sans cesse recommencé des différences au gré de la vie. Aussi ne voient-ils que propagande si on parle de l'assimilation des minorités francophones, de l'anglicisation de Montréal ou de la diminution de la représentation québécoise.
Jean Pelletier dirait que si quelqu'un a travaillé à la bonne représentation du Québec, c'est bien lui. Pour Jean Pelletier, il était normal qu’à Ottawa, on tienne le bon bout. Après tout, les démocraties provinciales étaient des bonnes filles de la démocratie nationale. La canaille risquait de gangrener la démocratie et il s’agissait pour l’élite canadienne de la vaincre. “La canaille est ce qu’elle est” semblait-il dire de toute sa hauteur. Nous la connaissons depuis longtemps”.
Homme pieux, Jean Pelletier était convaincu qu’on saluerait son âme et qu’on lui saurait gré d’avoir aidé l’élite canadienne à représenter l’Ordre et l’Etat, lesquels s’expriment de droit dans les deux langues officielles. L’Ordre et l’Etat sont le patrimoine du Canada, pensait Pelletier. Le Canada est une maison commune bénie par le Christ. Comme Ignatieff qui dit que le Québec lui appartient parce que ses grands-parents y sont enterrés, il voyait dans le Canada le vieux domaine des aïeux. Comme Trudeau, comme Chrétien, Pelletier croyait qu’un bon partisan de l’ordre existant du Canada avait droit à ce regard de propriétaire légitime et ce, d'un océan à l'autre.
Homme de pouvoir, veillant aux rouages de l’appareil d’Etat tant au plan des moyens financiers que de l’idéologie, il émanait de Jean Pelletier beaucoup de suffisance. Il laissera à plusieurs le souvenir d’un effronté bien pensant. Les éloges post mortem ont attribué ce trait à un emportement de zèle, une maladresse d’un homme derrière sa carapace... et on dit que cela n’engage nullement les principes qu’il a défendu.
Mais quels furent les principes que Jean Pelletier croyait défendre? Jean Pelletier fut convaincu que l’ordre existant était le grand rempart contre les forces de destruction. Comme tous les fédéralistes bon teint, le fait que le Québec cesse d’être une province du Canada équivalait à arroser d’un acide, brûler l’ensemble d’un corps indivis.
On ne sépare pas ce que Dieu a créé. Le Canada étant un pays constitué de provinces, si le Québec ne veut plus être une province, c’est donc que le pays est divisé contre lui-même, pensait-il.
Pelletier ne regarda pas au prix pour battre les "séparatistes" québécois. Jean Charest a donc qualifié de “géant” cet artisan des commandites, sans doute parce qu’il fut une des figures de proue de l’élite canadienne québécoise. C’est ainsi que les fédéralistes québécois se conçoivent et c’est sûrement justice à leur rendre que de les qualifier ainsi.
Jean Pelletier fut un des “représentants” de la province du Québec à Ottawa. On ne pourra pas dire qu’il fut un des représentants de la nation québécoise puisqu’il s’insurgeait contre sa mention dans les discours, les édits, les lois. Jean Pelletier fut un homme de décision c’est-à-dire qu’il ne fut pas tenu dans l’ignorance de ce que voulait l’élite canadienne pour le Québec d’un océan à l’autre.
Jean Charest a assisté aux voeux de l’élite canadienne. Comme elle, il a vu dans l’unité canadienne une entreprise de guerre sainte. En cela, il rejoint Stephen Harper qui dit que le Canada comme pays est un objet d’adoration: "Ce pays que j'adore".
Pendant la longue carrière de Jean Pelletier, des façons de raisonner furent instaurées par sa famille politique. Jean Pelletier fut solidaire de chacune d'entre elles parfois en manifestant ouvertement son appui, parfois par son oubli non accidentel des menées les plus sombres du camp fédéraliste.
Jean Pelletier fut solidaire des menées fédéralistes même avant sa nomination au Conseil privé. À la fin des années soixante-dix, Jean Pelletier n’a rien objecté quand les médias canadiens présentaient les expatriés de la loi 101 comme un massacre de misérables sans défense. Comme les autres apologistes du Canada, il n’y avait pas à lésiner quand on tentait de dessiner le “vrai visage” des séparatistes québécois.
Jean Pelletier était très à l'aise avec le système canadien tel qu'il est, très à l'aise avec le nombre des différences légitimes que ce système d'ouverture veut bien autoriser.
Aussi aura-t-il eu jusqu'à la fin de ses jours le sentiment d'être un être volontaire qui aura vécu dans le pays qu'il a voulu.
André Savard


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