La Caisse de dépôt et l'avenir des stratégies d'investissement

Chronique d'André Savard

Lorsqu’il parlait du haut des banquettes de l’opposition, Jean Charest estimait le premier ministre du Québec personnellement responsable des rendements négatifs de la Caisse de dépôt (et exonéré de ses rendements positifs). Il avait donc très hâte de déclencher des élections en 2008. En tant que premier ministre, il ne veut plus se faire rappeler sa perception jadis épique du rôle du premier ministre.
La Caisse de dépôt ressemble à un fond mutuel grand format c’est-à-dire qu’on y achète des actions de compagnies. S’il y a rendement sur les actions on en tire des dividendes ou encore, on peut revendre les actions avec profits. C’est grosso modo le plan de la Caisse comme celui de la plupart des régimes d’épargne retraite.
Un tel calcul est valable si on voit les marchés boursiers comme un reflet d’une économie globale qui, à moyen terme, poursuit sa croissance. Est-ce toujours le cas? Certes, les économistes les plus optimistes prévoient une reprise de la croissance au second semestre de 2009 et une récession plutôt modérée au premier semestre. Même en adoptant ce scénario optimiste, il est temps à travers le monde de se poser ouvertement des questions sur l’impossibilité de penser le monde en termes de croissance économique continue. Et il faudra se demander si à long terme cela n’aura pas des conséquences extrêmes sur les marchés boursiers.
Si vous suivez un peu les actualités de la finance, vous avez remarqué que dès qu’il y a hausse de cinq pour cent à la bourse, on annonce des “prises de profits”. Cela signifie que des acquéreurs se délestent de leurs actions achetées à prix moindre pour engranger un profit immédiat. Cette pratique est courante de nos jours, depuis en fait l’avènement de l’Internet comme outil accessible de masse au tout début des années 2000.
Auparavant, il n’y avait que les courtiers, les pieds bien sur le parquet de la bourse, qui vendaient et achetaient. Ils étaient pour la plupart les émissaires d’investisseurs importants ou mandataires de fonds mutuels. Maintenant, avec l’Internet, n’importe qui peut suivre en temps réel les fluctuations des actions des compagnies. Par le biais d’un service spécialisé, vous pouvez commander de vendre vos actions achetées le matin même.
Le résultat c’est que beaucoup de gens sont sur la brèche, essayant de prendre au bond l’action qui monte. La bourse, sous le coup de cette pratique de plus en plus répandue, se transforme davantage en système pyramidal. On compte sur l’argent neuf pour que les premiers arrivants retirent leurs mises et un profit : exactement le principe d’un système pyramidal.
Il arrive qu’un directeur de fonds mutuels habitués aux rouages de ce système finisse par avoir du mal à tracer une ligne de démarcation entre cette spéculation journalière et la gestion de ses fonds. S’il y a un bon coup de panique en bourse et que beaucoup de clients retirent leurs mises, il ira chercher dans les liquidités de ses nouveaux clients pour rembourser. Et c’est ainsi qu’il se retrouve avec un trou de quelques billions de plus en plus difficile à dissimuler.
Pour contrer cette mauvaise tendance, on lit dans les pages financières à propos de meilleures règles pour encadrer l’activité boursière. Obama s’en fait le chantre. On essaie de prévenir avec un bon plan une crise de confiance de la part du public. Toutefois le mal touchant la bourse dépasse de loin les malversations des fraudeurs et la mentalité typique d’un système pyramidal.
Quand la bourse reste basse, à moins de la moitié de sa valeur par rapport au sommet atteint, comme c’est le cas du Nasdaq par exemple depuis six ans maintenant, on parle “d’éclatement de la bulle”. On dit que cette fixation à un bas niveau procède d’un retour à une plus juste évaluation des titres.
Or, on est dans le domaine de la spéculation. Le ressort même de la spéculation est de faire monter la valeur pour en retirer un profit maximal. Le spéculateur considère avec amusement la valeur réelle d’une compagnie, de même que de celles de denrées comme le riz ou le pétrole car tout ce qui apparaît nécessaire peut devenir objet de spéculation. Sans exagération de la valeur, il n’y a pas de spéculation et pas de marchés boursiers.
Si les spéculateurs ne parviennent plus à faire monter les enchères comme ils y parvenaient si bien jusqu’au début des années 2000, c’est parce qu’ils manquent d’enchérisseurs. Les baby boomers touchaient leur héritage de la part d’une génération qui avait eu les moyens de faire des économies. Ils mettaient donc les économies de leurs parents et les leurs à la bourse. Ça contribuait bien à faire monter les enchères.
En 2000 comme en 2003, bien des gens ont perdu la moitié de leurs économies dans l’effondrement des titres boursiers. On ne se reconstruit pas un portefeuilles en criant “ciseau”. À force de lessiver des fortunes personnelles et des fonds d’Etat, les marchés boursiers finissent périodiquement par se trouver à court de joueurs.
On compte alors sur le passage des années et la création de nouveaux riches. Ou encore, on espère que ceux qui ont subi une sacrée "tonte de cheveux" reviendront si jamais leurs cheveux repoussent. Mais le doute s’insinue. Les marchés boursiers tels qu’ils sont, même mieux encadrés, conviennent-ils à ce qu’on appelle pompeusement des “stratégies d’investissement”?
On s’est abrité derrière la maxime “les marchés ne mentent jamais”. S’il y a montée des enchères puis chute soudaine, on a coutume d’entendre le terme “correction”. Et on nous dit qu’un plus juste rapport à l’objet réel vient de s’exprimer. Désormais la bourse croîtra en vérité et représentera le vrai tableau de la croissance économique laquelle, par nécessité, sera au rendez-vous.
Le message est le même et il porte chaque fois car ceux qui ont un petit pécule en profite pour entrer dans le marché. Comme dirait Harper et ses “représentants québécois”, Verner, Blaney et compagnie, c’est l’occasion des bonnes affaires. On peut faire confiance aux marchés désormais car ils auraient repris leur fonction représentative de l’économie.
Évidemment, c’est faux. Un système basé sur le profit et les enchères ne peut pas éviter l’enflure. Fatalement, les marchés boursiers indiquent des valeurs spéculatives et non des valeurs réelles. Certes on peut miser sur l’avenir. Certes, on peut affirmer qu’il y aura une nouvelle vogue pour les titres liés au bâtiment, à l’acier, à l’électronique. Dire si Sony ou Réno-Dépôt en profiteront plus que leurs concurrents demeure cependant une devinette.
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Lorsque Jean Charest a été élu une première fois, après avoir ouvertement prêché l’interventionnisme du premier ministre auprès de la Caisse de dépôt, il a beaucoup parlé de réviser le mandat de la caisse. Seulement, Jean Charest n’a pas été plus loin que les titres des journaux. On lisait quotidiennement dans les articles traitant du krach de 2003 qu’il résultait d’un surinvestissement des gestionnaires dans les titres de technologie.
Comme Charest est un homme qui s'illustre parmi nos classes dirigeantes démissionnaires, il a pensé qu’une gestion “prudente”, entendez un délestage des titres technologiques et l’acquisition de titres dans des secteurs plus traditionnels, pourrait suffire. Il suivait la bonne légende néo-libérale voulant que quiconque trouve les bons fondements ne peut pas faire autrement que s’enrichir.
En fait, il faut se questionner plus profondément que Charest en est capable. Est-ce juste de rendre l’avenir des fonds de pension tributaire des marchés boursiers? On dit que les marchés ne mentent pas et qu’au final, ils ne peuvent que croître puisque que les sociétés humaines, dans leur consistance , leur matérialité, s’amplifient. Les sociétés devenant plus grosses, l’argent produit grandit aussi.
C’est vrai que les sociétés finissent par grossir mais ce n’est plus l’unique principe de formation des règles. Un nouveau système de fonctionnement basé sur la rareté des ressources et la déperdition des écosystèmes commence déjà à poindre. Si son existence n’est pas manifeste dans la pratique du capitalisme, il colore déjà l’horizon intellectuel.
Avec la crise alimentaire et les limites du développement industriel se pose la question entourant la croissance. Il est fort probable qu’on en vienne à définir une notion de civilisation matérielle qui aurait une évolution extrêmement lente. Reste à voir si ce nouvel horizon intellectuel combiné à la rareté des nouvelles fortunes ne fera pas mentir ceux qui voyaient dans la progression éternelle des marchés boursiers une loi naturelle.
Le prochain directeur de la Caisse de dépôt aura besoin de voir large. Il s'agit de savoir si les bons vieux schèmes entourant les stratégies d'investissement tiendront toujours dans l'avenir.
André Savard


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