Portrait d'une fin d'année au Québec

Chronique d'André Savard


Le centième anniversaire du Canadien, il y a deux mois à peine, s’annonçait comme précurseur d’une grande émotion collective. Les analystes sportifs affirmaient que l’équipe se classait numéro un sur papier. Même certains bars intellos du Plateau Mont-Royal ont suspendu un grand écran en prévision. À Québec, si vous passiez au restaurant Chez Ashton prendre la fameuse poutine classique sauce piquante, on parlait aussi du Canadien.
À l’approche des Fêtes, le public déchantait. Le Canadien risquait de plafonner à la queue de la division. Jean Charest venait d’être réélu après avoir affirmé son intention de défendre la stabilité, bien cramponné et seul au volant avec ses acolytes fédéraux. Stephen Harper dépêchait dans les émissions d’affaires publiques sa cohorte de députés québécois, plus soumis que des mercenaires, pour justifier la fermeture du parlement. Rien donc pour la grande émotion collective, rien pour se sentir l’âme lyrique.
Comme l’événement qui fait le pont et donne au peuple l’impression de vibrer au diapason manquait, on a terminé l’année devant l’émission Tout le monde en parle. L’émission mettait côte à côte Chantal Peticlerc, Julie Couillard, Duceppe, Marois, Charest, Amir Khadir, des humoristes, une chanteuse. Ils étaient sur le même plateau. Ils représentaient la nation, cette famille élargie.
Chantal Hébert se joignit aux invités. C’est probablement à elle que fut posée la question la plus révélatrice, révélatrice car une majorité, des millions de gens, semblaient incertains de la réponse: est-il plus intéressant de couvrir les actualités à Ottawa ou à Québec?
Chantal Hébert répondit qu’il était bien sûr plus intéressant de faire du journalisme à Ottawa. Les enjeux y sont plus intéressants, les affaires traitées plus importantes. Et elle ajouta que Québec ne dépassait pas les responsabilités d’un parlement provincial, un fait lassant pour le journaliste qui voit large. Une telle réponse ne devrait rien apprendre à personne et briller par son évidence.
Pourtant on sait qu'un fait aussi patent ne frappe pas par son évidence au Québec. Les Québécois n’ont pas pris la mesure exacte des possibilités d’une province canadienne. Ce n’est pas seulement l’homme de la rue qui entretient des illusions à ce sujet. Vous pouvez lire en toutes lettres que le statut provincial ne constitue pas une limite dans plusieurs éditoriaux.
Au cours de la dernière campagne électorale, André Pratte a écrit que le fait que le Québec soit une province n’avait pas empêché Pauline Marois d’endiguer la crise du début des années 2000. Il est fréquent d’entendre que les meilleures intentions politiques sont réalisables sur la scène provinciale. C’est au point que les Québécois sont habitués de croire que le parlement provincial est de la première importance.
Les Québécois entendent dans les bulletins de nouvelles que leurs représentants provinciaux veulent obtenir un règlement à propos de tel ou tel dossier. Loin de les dissuader, ces querelles viennent les conforter dans l’idée que le parlement québécois a le pouvoir d’initiative. Le Fédéral apparaît comme une force d’appoint un peu lente mais qui finira par entériner les intentions du Québec.
On lit tellement année après année sur les miracles du pouvoir québécois que, pris dans les plis de l’habitude, nous nous méprenons totalement sur la condition de notre nation. Comme des analystes nous disent que le Québec a vu plusieurs de ses lois sociales copiées par les autres provinces canadiennes, les Québécois en viennent à croire que tout ce qui en vaut la peine débute au Québec. Les vraies choses se passent à Québec, se répètent les Québécois.
En somme, pas de mal de vivre, au contraire, car vivre fait du bien. Chantal Hébert peut bien dire qu’un parlement fédéral est bien moins limité qu’un parlement provincial. Jean Charest peut bien aspirer à une carrière de premier ministre au niveau fédéral, pas d’évidence assez évidente pour inspirer une opinion arrêtée. Le débat politique au Québec ressemble à un livre d’halluciné où la réalité s’enterre chapitre après chapitre.
Le Canadien ne fera pas les séries, du moins c’est à craindre, mais un unisson existe. Les rumeurs de Tout le monde en parle, d’Infoman et du Bye Bye passent en revue l’année. Une année commence avec deux gouvernements tout neufs mais pas nouveaux dans leurs intentions au Fédéral comme au provincial. Une autre année où, au Québec, on ne dira pas qu’on ne voit plus rien mais pas plus qu’il n’en faut.
André Savard


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1 commentaire

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    5 janvier 2009

    C'est sûr que ce qu'on appelera, le potentiel d'une province de l'ensemble canadien, est somme toute assez limité, car les gouvernements fédéraux sont, à la base, très centralisateurs!
    Mais ce qui est triste, c'est qu'au fond, les Québécois le savent, et le ressentent au fond d'eux-mêmes, que nous méritons mieux que d'être une province comme les autres, dans cet ensemble créé artificiellement, qu'est le Canada... sans faire ce qu'il faut, pour nous faire le cadeau à nous-mêmes, d'un vrai pays!
    À ceux qui disent (sans nécéssairement le penser, au fond) qu'en cette époque de mondialisation, l'idée de la souveraineté du Québec est caduque, obsolète, je réponds avec beaucoup d'assurance: justement, si nous pouvons nous ouvrir au monde, faire affaire directement avec des entreprises de partout ailleurs sur la planète; ou aller étudier en Europe ou faire un stage en Chine; ou voir nos enfants entrevoir la possibilité de construire une carrière internationale...
    ...dans un tel contexte, plein de toutes sortes de possibilités, vous voulez que nous nous limitions au Canada? Vous voulez être cantonnés, vraiment, à cette grosse ex-colonie fière de l'être, une espèce de république de bananes nordique, devenue «multiculturelle», parce que Trudeau ne pouvait imaginer de meilleur moyen pour combattre le nationalisme québécois?!? (le pauvre!)
    Vous tenez à ce qu'Ottawa puisse toujours avoir le dernier mot, nous enferme dans un cadre restrictif; qu'on nous étouffe? Qu'on nous dise comment administrer nos ressources? Qu'on tente en plus, souvent, de s'ingérer dans nos compétences provinciales, telles que reconnues par la fameuse constitution de 1982?
    «Amis» fédéralistes, je vous le dis: vous pouvez vous le garder, le Canadâââ ! Laissez-nous créer notre propre pays, à la mesure de nos ambitions; vous aurez toujours la possibilité d'émigrer, vous, à Terre-neuve, au Manitoba, ou au Nunavut, ou n'importe où ailleurs, en ce Canadâââ, ce «plusse meilleur pé-yays du monde», que vous aimez tant!