La raison d'État et le projet sécessionniste québécois

Derrière le scandale des commandites et la Loi sur la clarté : la raison de l’État canadien

Tribune libre - 2007


La publication récente du rapport Grenier a permis à nouveau de révéler à quel point les forces fédéralistes étaient prêtes à tout pour parvenir à
leurs fins lors du dernier référendum. En réaction, de nombreux
souverainistes (voir, entre autres, [la lettre de Richard Weilbrenner parue
dans l’édition du 6 juin du Devoir)->7073], sont montés aux barricades,
scandalisés par les malversations et autres gestes illégaux mis au jour
dans ce rapport : ainsi, il existerait à Ottawa des gens malicieux,
capables de tout pour sauver le Canada, y compris même, de bafouer la
démocratie québécoise!
Mais cessons donc de jouer à la vierge offensée! Ce que dévoile cette
enquête, ce n’est pas tellement que l’establishment canadien tient à son
Canada – et de cela, on n’en peut point douter –, mais qu’il est de la
nature même de tout État, menacé de morcellement, de tout faire en ses
moyens afin de maintenir son intégrité territoriale. Et cette fin justifie
amplement tous les moyens. Il ne s’agit point ici de justifier les
exactions commises dans le rouage de cette logique, mais de voir la réalité
en face. Il existe une raison d’État, qui est celle qui veut que, tel un
organisme vivant, tout État cherche à prospérer et se maintenir en vie.
Derrière le scandale des commandites et la Loi sur la clarté : la raison
de l’État canadien

Les actions sur lesquelles le rapport Grenier est venu jeter un éclairage,
faut-il le rappeler, ne sont qu’un épisode parmi d’autres, non moins
célèbres.
Ainsi, à la suite de la défaite du Oui en 1995, le camp fédéraliste,
Stéphane Dion en tête, avait alors promulgué la Loi sur la clarté. Sous
couvert de venir encadrer les règles régissant la sécession d’une province
de la fédération canadienne, cette loi constitue ni plus ni moins qu’un
déni du droit le plus fondamental pour la nation québécoise, celui de «
disposer d’elle-même ». En effet, en remettant en cause la règle de la
majorité – 50 % plus 1 ne serait plus suffisant –, cette loi a pour
conséquence de refuser le « droit à l’autodétermination des peuples »,
lequel ne peut être que la libre expression démocratique de ce peuple.
On se rappellera aussi que dans le cadre de ce qui est devenu le «
scandale des commandites », les forces fédéralistes, Chuck Guité, Alfonso
Gagliano, Jacques Corriveau et les autres, s’étaient donnés pour objectif,
d’« acheter » l’allégeance de la population québécoise par le biais d’une
propagande d’État. Contrairement à l’opinion répandue au Canada, le
scandale des commandites était bien plus qu’un simple scandale « comptable
», celui du détournement de fonds publics. Rarement aurons-nous vu, dans
l’histoire récente, pareille stratégie déployée de la part d’un pays
démocratique auprès d’une partie de sa population.
Ce qu’illustrent ces deux événements et ceux éclairés par le rapport
Grenier, ce sont tous les moyens auxquels sont prêts à recourir les
fédéralistes pour contrer le mouvement souverainiste. Aussi, les
fédéralistes estiment-ils que pour faire face à cette menace qui pèse sur
l’État canadien – ce vaste ensemble disjoint risque littéralement
l’éclatement si le Québec devait se séparer –, sont-ils disposés à recourir
à tous les moyens imaginables. À la guerre comme à la guerre!
Mais, tous les acteurs de ces différents scandales ne sont pas, tel que
certains se plaisent à les imaginer, de sinistres personnages
machiavéliques assoiffés d’une haine anti-séparatiste, voire
anti-québécoise. Car en vérité ce ne sont que de simples pions dans un
mécanisme qui les dépasse tous, qui est celui de la raison d’État. Ce ne
sont là que des serviteurs, lesquels sont au service non pas des
gouvernants, Jean Chrétien et consorts, mais à plus haut niveau; ils sont
des pièces dans l’engrenage qu’est l’État lui-même. De par la nature de sa
constitution, cette organisation politique qu’est l’État, est faite pour
durer. Aussi, tout ce qui peut représenter une menace à son intégrité, sera
inévitablement par lui vivement combattu. Derrière cette série de
scandales, se dévoile toute la raison d’État dans toute sa force.
Pour se convaincre de la teneur de cette loi d’airain, on peut souligner
comment celle-ci se déploie sur la scène internationale. Comment en effet
expliquer autrement le peu de soutien dont font montre tous les États de la
planète lorsqu’il est question de soutenir un droit pourtant si fondamental
pour un peuple, celui du droit à l’autodétermination? Pourtant prêts à tout
pour assurer partout sur Terre le respect des droits de l’homme, pour
sauvegarder les espèces en voie de disparition, voire pour préserver
l’écologie de notre planète – et c’est tant mieux –, les États sont
généralement des plus timides lorsqu’il s’agit de défendre le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes. Car dans ce droit inaliénable, ce qu’ils
voient, c’est une menace à leur intégrité. En effet, la naissance d’un
nouvel État n’étant toujours possible que par le biais d’une sécession,
donc au prix de la partition d’un État déjà existant (par exemple, la
Catalogne devenant pays devrait faire sécession de l’Espagne, le Sahara
occidental du Maroc, le Tibet de la Chine, etc.), l’application de ce droit
implique donc toujours un bouleversement de la configuration interétatique
au niveau mondial. Tous les États de la Terre, ils sont un peu plus de 200,
forment en quelque sorte un « club sélect » au sein duquel plus aucun
nouveau membre ne peut être admis, puisque cela exigerait que ces derniers
consentent à voir morceler l’un des leurs. S’il existe bien une solidarité
sur cette Terre, ce n’est pas celle entre les peuples, ni entre les classes
sociales, mais entre les États!
L’avenir du mouvement indépendantiste québécois
Ainsi, ce que nous enseignent ces différentes affaires, c’est que le
mouvement indépendantiste québécois, s’il peut un jour espérer parvenir à
sa fin, doit comprendre ce à quoi il doit inévitablement faire face, car
cette logique de l’État est une force implacable. Ajoutons à cela le fait
que le nationalisme, comme principal véhicule idéologique de l’option
indépendantiste, n’est plus aujourd’hui sur la scène internationale (on
devrait dire interétatique) très à la mode – à l’ère de la mondialisation,
du rapprochement des peuples, de la libéralisation des échanges, et tout le
tralala, la question nationale apparaît, entend-on dire, désuète – on peut
aisément comprendre tous les efforts qui devront être consentis pour que
cette partie de l’Amérique française forme un jour un pays.
Or, la victoire, lorsqu’elle viendra, sera d’autant plus méritée, qu’elle
aura été acquise par la voie, qui n’est certes pas la plus expéditive ou
garante de succès, mais assurément la plus digne pour un peuple, celle
démocratique.
Danic Parenteau

Professeur adjoint

École d’études politiques, Université d’Ottawa
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2 commentaires

  • Gaston Boivin Répondre

    20 juin 2007

    Comment peut-on à la fois affirmer: - "....mais qu'il est de la nature même de tout Etat, menacé de morcellement, de tout faire en ses moyens afin de maintenir son intégrité territoriale. Et cette fin justifie amplement tous les moyens." et - "Il ne s'agit point de justifier les exactions commises dans le rouage de cette logique mais de voir la réalité en face. Il existe une raison d'état, qui est celle qui veut que, tel un organisme vivant, tout Etat cherche à prospérer et à se maintenir en vie." Il y a là une contradiction évidente: Si cette fin justifie les moyens, comment peut-on par ailleurs ne pas justifier les exactions commises? Avouez à ce propos, monsieur Parenteau, que l'ambiguité de votre texte a quelque chose d'insidieux! Vous est-il venu à l'esprit que si la raison d'état n'a ni conscience, ni morale, ni lois justes à respecter, elle mène directement aux pires exactions, dès l'instant où elle utilise tous les moyens. En fait, elle mène dès lors au terrorisme d'état. Que plusieurs états, actuellement, soient d'une lâcheté évidente en fermant les yeux sur les injustices et les horreurs, dont sont victimes, souvent depuis plusieurs décennies, certaines collectivitée et nations, c'est une évidence même, mais cela ne peut en rien les justifier mais démontre uniquement que ces états ont abandonné leurs consciences et leurs valeurs morales pour plaire aux puissances de ce monde qui, justement, en certaines occasions, pratiquent un terrorisme d'état! Réalisez-vous qu'en affirmant qu'un état est justifié d'employer tous les moyens pour empêcher le morcellement de son territoire et qu'en assimilant le tout à la raison d'état, ce que vous acceptez, c'est le bien-fondé même du terrorisme d'état et qu'en ce faisant, c'est le terorisme tout court que vous cautionnez, car il n'y a aucune différence entre les deux terrorismes: Tous deux répondent à la même philosophie: La fin justifie tous les moyens, peu importe les méthodes employées, la conscience, la morale et les conséquences sur la vie, la société des êtres vivants et sur leur environnement, incluant la vie humaine! Quand, par ailleurs, vous affirmez que les nationalismes ne sont plus à la mode, vous répétez-là une sottise que s'évertue à repandre depuis quelque temps, dans ses médias, la Gescabéatitude. Depuis quand l'existence et l'affirmation d'une nation sont-elles l'affaire d'une mode? Vous rendez-vous compte également, lorsque, poursuivant dans la veine de votre affirmation selon laquelle l'état menacé de morcellement de son territoirre était justifié d'utiliser tous les moyens pour s'en prévenir, vous écrivez dans le septième paragraphe de votre texte ("Mais tous les acteurs de ces différents scandales ne sont pas, tels que certains se plaisent à les imaginer, de sinistres personnages machiavéliques assoiffés d'une haine anti-séparatiste, voire anti-québécoise. Car en vérité, ce sont de simples pions dans un mécanisme qui les dépasse tous, qui est celui de la raison d'état. Ce ne sont que des serviteurs, lesquels sont au service non pas des gouvernants, Jean Chrétien et consorts, mais à plus haut niveau; ils sont des pièces dans l'engrenage qu'est l'état lui-même...."), que vous employez alors la même dialectique que celle utilisée à Nuremberg par les criminels de guerre nazis pour se défendre des crimes contre l'humanité dont on les accusait et qu'indirectement, vous cautionnez, par vos propos, une certaine facon d'être, dont l'histoire conserve d'horribles souvenirs. Depuis quand l'esclave doit-il abandonner ou ignorer son désir de se libérer et le sentiment de révolte qu'il engendre et qui le motive au profit du propre désir qu'a le maître de maintenir sur lui sa domination au nom même de la force qu'engendre la prédominance qu'il exerce sur lui? Les indépendantistes québécois ne sont pas des imbéciles: Ils savent très bien que l'état canadien se veut le véhicule de l'expression d'une nation majoritaire anglo-saxonne et non pas celui d'une nation minoritaire francaise et qu'il est prêt à toutes les bassesses pour tenter d'empêcher l'expression de cette nation minoritaire francaise, et surtout pas sous la forme d'un état indépendant. De grâce, monsieur Parenteau et tous les autres, ne nous demandez pas au surplus, de consentir à cette tentative et surtout pas de la considérer comme légitime puisque nous avons notre propre légitimité! À l'oppression, il n'y a qu'une seule réponse, savoir le non-consentement à celle-ci, c'est à dire la résistance et la révolte! Crier cette résistance et cette révolte, c'est d'abord refuser de consentir à sa propre mort, c'est ensuite affirmer son existence et son droit à l'existence, mais surtout, c'est par ce cri amplifier le mouvement vers sa libération! S'en priver pour regarder béatement s'exprimer, comme normales, sans réagir les forces de la dominance, c'est comme assister à son propre enterrement! Monsieur Parenteau, avec ce que vous avez dit de la raison d'état et de la légitimation des moyens qu'elle accorderait, je suis surpris de vous voir conclure que c'est par la démocratie que la victoire viendra! Non à toute forme de terorisme. Oui à la démocratie. Vive le Québec libre de toute oppression. L'indépendance du Québec, un jour, nous y parviendrons!

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    19 juin 2007

    M. Parenteau,
    Quelle diatribe convaincante! En développant de façon aussi claire le principe de la raison d'État contre les velléités nationalistes, vous nous conduisez inéluctablement vers la solution inespérée: le peuple qui se secoue du joug majoritaire. Hélas, comme les curés d'antan, vous flanchez en conclusion: "...la victoire, lorsqu'elle viendra, sera d'autant plus méritoire..." et c'est la grâce que je vous souhaite, Amen, concluait tous les sermons.