La question à 5 milliards de dollars

Le Québec et la question environnementale


Robert Dutrisac - Cela tient dans seulement 7 des 323 pages du rapport du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). Quelques pages qui mettent le gouvernement Charest dans l'embarras. Non seulement Québec ne connaissait rien des conséquences environnementales de l'exploitation du gaz de schiste avant de s'en faire l'ardent promoteur, mais il a agi sans en comprendre les arcanes financiers. Ces quelques pages démontrent que le gouvernement libéral a été pris de court devant l'éclosion de cette industrie.
Le BAPE a constaté que l'État a cédé à vil prix les droits d'exploration pour le gaz de schiste, délivrant des permis visant 10 millions d'hectares (!) pour des périodes de cinq ans et renouvelables annuellement par la suite. Ces droits procurent à l'État des revenus de un million de dollars par année.
Or, le BAPE a évalué que Québec aurait pu toucher 5 milliards de dollars par année pour ces permis s'il avait appliqué la même méthode de tarification que l'Aberta. L'organisme s'est même montré conservateur dans son évaluation: s'il avait pris l'exemple de la province voisine, la Colombie-Britannique, c'est 30 milliards de dollars par année que Québec aurait pu empocher.
«C'est de la fabulation», a répondu Jean Charest à une journaliste de Radio-Canada qui, au fin fond de l'Abitibi où le premier ministre se trouvait, lui demandait pourquoi le gouvernement se contentait d'un million alors que ce sont 5 milliards qui auraient pu lui revenir.
C'est sans aucun doute la première fois qu'un premier ministre accuse des commissaires du BAPE de fabuler. On aurait dit que le premier ministre répliquait à une affirmation de l'opposition officielle.
Le fait est que les commissaires du BAPE, qui ne se distinguent pas habituellement par leur imagination délirante, ne sont pas des fabulateurs. Dans la toute récente aventure du gaz de schiste, le Québec a laissé de l'argent sur la table. Beaucoup d'argent. En raison d'un mélange d'ignorance et d'inertie.
Certes, il est vrai que ce n'est pas l'ensemble des droits pour les 10 millions d'hectares qui trouverait preneur dès la première année. Ce n'est que graduellement que l'État pourrait encaisser des revenus de cinq milliards par an. Mais ils seraient au rendez-vous lorsque la filière atteindrait la maturité.
La preuve que les droits d'exploration exigés au Québec pour le gaz de schiste sont ridiculement bas, c'est que déjà certains détenteurs de ces droits pourraient les revendre à 500 $ l'hectare par année, empochant ainsi un profit aussi rapide que facile de 10 000 %. D'ailleurs, même le gouvernement Charest s'en est rendu compte, puisqu'il entend revoir ce régime de droit pour instituer un système d'enchère, comme en Alberta et en Colombie-Britannique. La ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Nathalie Normandeau, planche là-dessus.
Les redevances
Il n'y a d'ailleurs pas que les droits qui posent problème: les redevances aussi. Ainsi, sous le régime actuel, l'État québécois toucherait de 10 % à 12,5 % sur les ventes de gaz, sans égard au prix du carburant. Dans la conservatrice Alberta, les taux de redevances varient de 5 % à 36 % (ils ont été d'un maximum de 50 % avant d'avoir été réduits, récemment), en fonction du prix du gaz naturel, rapporte le BAPE. En Colombie-Britannique, on se montre plus gourmand quant au minimum (9 %), mais moins en ce qui concerne le maximum (27 %). Le ministre des Finances, Raymond Bachand, est appelé à revoir les redevances applicables.
Il y a toutefois un hic. C'est la transition: les sociétés gazières ont obtenu leurs droits d'exploration pour une période, rappelons-le, de cinq ans, des droits qui sont renouvelables. En théorie, le gouvernement peut par simple décret changer la donne. Or, il peut difficilement changer les règles du jeu du jour au lendemain sans compensation: les compagnies qui se sentent lésées pourraient intenter des recours. Sur le plan juridique, ce n'est pas simple, et la transition pourrait prendre plusieurs années. Des juristes de l'État — revenus au travail après l'imposition de la loi spéciale — travaillent à démêler cet écheveau juridique.
Déjà, Nathalie Normandeau a indiqué que le projet de loi sur l'exploitation des hydrocarbures qu'elle devait déposer ce printemps ne sera présenté que dans deux ans, après que l'évaluation environnementale stratégique, recommandée par le BAPE, sera achevée. Le régime des droits d'exploitation pourrait être modifié avant cette échéance par voie de règlement. Mais la ministre pourrait choisir d'attendre l'adoption de son projet de loi pour ce faire. Aucune décision n'a été prise à ce sujet.
En plus des contraintes environnementales, ce sont les considérations économiques qui viennent tempérer l'empressement du gouvernement Charest à développer l'industrie du gaz de schiste. Le BAPE a démontré que le régime de droits et redevances qui s'applique à cette filière est une farce.
À son corps défendant, le gouvernement Charest devra prendre son temps. Heureusement, rien ne presse: le gaz de schiste que recèle le sol québécois ne s'échappera pas.


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