La "province nationale soumise" enfin reconnue

Chronique d'André Savard

Au lendemain de la présentation de la motion par Stephen Harper voulant que le Québec forme une nation dont l'existence est conditionnelle à l'unité du Canada, la menace était jugée néanmoins fort grave dans les chaumières canadiennes. Les analystes objectaient que si une nation implique une collectivité avec une culture spécifique, un vouloir-vivre commun, un territoire, alors toutes les provinces étaient des nations. Comme du temps de Mike Harris au cours duquel on avait désamorcé la différence québécoise en parlant des autres différences, du saumon du Pacifique jusqu'au western dans l'ouest, on ergotait sur le Canada, rassemblement de provinces nationales.
On parlait de «pas historique » bien que la pensée canadienne circulait dans la même assiette qu'hier ou avant-hier. La résistance soulevait des arguments calqués sur ceux des objecteurs de conscience canadiens à l'époque de Meech. Le vieux réflexe balayait toutes les paroles de reconnaissance. D'ailleurs le texte de Harper était emballé de telle manière que cette motion ressemblait à un énoncé de propriétaire.
En premier lieu, Harper attaque les intentions du Bloc : « Pour le Bloc, il n'est pas question du Québec en tant que nation, l'Assemblée nationale s'est déjà prononcée là-dessus. » Est-ce à dire que pour Stephen Harper la résolution de l'Assemblée nationale ait valeur effective? Stephen Harper, il y a quelques mois à peine, présentait la résolution de l'Assemblée comme une lubie sans conséquence juridique et statutaire. Et tout à coup, il semble sous-entendre que cette reconnaissance par le gouvernement québécois a vidé la question. Si on suit l'argument de Stephen Harper contre l'énoncé du Bloc, le premier ministre canadien croit dans l'effectivité de l'Assemblée nationale.
Le discours de Harper enregistre volte-face sur volte-face. Dans son discours du 14 juillet, Stephen Harper présentait l'Angleterre comme pays fondateur du Canada, inspirateur de la liberté canadienne, colonialiste magnanime. Les francophones se profilaient comme des figurants, une première phase migratoire qui avait hautement profité du pardon de la couronne britannique. Dans le discours de Harper au parlement reconnaissant notre province nationale soumise aux conditions canadiennes, Harper donne tout à coup 400 ans au Canada. Il a été fondé par Champlain nous dit-il.
Stephen Harper change d'idée au gré de la nécessité stratégique. En voyant dans le Canada une création des francos, le premier ministre canadien espère les tenir comme les premiers responsables. « Champlain et ses compagnons ont travaillé fort, dit-il, parce qu'ils croyaient dans ce qu'ils faisaient, parce qu'ils voulaient préserver leurs valeurs, parce qu'ils voulaient construire un pays durable et sécuritaire. Et c'est exactement ce qui s'est réalisé il y a presque 400 ans, la fondation de l'Etat Canadien. »
Une telle vision identifie totalement les francos au système canadien. Ils n'ont plus de position spécifique. Fondateur du Canada, cet Etat n'a cessé de servir leur intention première. Dans son discours, Harper a voulu démontrer que par leur lignée d'origine les francos sont indissociables du Canada. La reconnaissance de la province nationale soumise au Canada uni veut nous soustraire encore plus à tout système spécifique qui nous permettrait de nous repérer.
De là toutes les bizarreries du discours de Harper qui fait des francos les fondateurs de l'Etat Canadien et qui veut les mettre à jamais en relation de dépendance par rapport à l'avenir de cette création : « Est-ce que les Québécois forment une nation indépendante du Canada? demande Harper. La réponse est non et elle sera toujours non. »
[Dans son discours du 14 juillet sur le rôle providentiel de l'Angleterre, Harper en venait à soutenir que l'Angleterre et ses descendants avaient construit le régime suprême pour les francos->1249]. Une telle prétention était si grosse que même en pleine phase de révisionnisme et de nation-building, Harper en a senti le caractère insoutenable à long terme. Harper a donc préféré fuir un mensonge trop grand par cette motion de reconnaissance. Si on suivait la logique de son discours anglophile prononcé en Angleterre le 14 juillet, l'Angleterre endossait toute la responsabilité du Canada tel qu'il est. Le peuple québécois n'avait plus qu'à accepter une responsabilité dont il n'était pas l'auteur comme les autres populations immigrantes appelées à venir ultérieurement.
Pour faire endosser aux Québécois la responsabilité du Canada dans sa forme unitaire actuelle, Harper a finalement été obligé de soutenir un autre point de vue dans ce discours appuyant sa motion sur la reconnaissance de notre province nationale. Selon son nouveau point de vue, l'Etat canadien n'a fait que servir en toute loyauté un noyau d'intentions originelles remontant à Samuel de Champlain.
Mais Harper tombe dans un paradoxe aussi grand que le mensonge que contenait sa première vision anglophile. Les francos sont les fondateurs de l'Etat Canadien mais la créature a préséance sur le créateur. C'est très tiré par les cheveux.
La nation québécoise existe mais c'est une lune sans autorité, dénuée d'autodétemination. Comme une lune, elle est régie par un système. Les Québécois n'ont pas la maîtrise de la situation et il n'y pas de situation québécoise en tant que telle : « Ils savent qu'ils ont participé à la fondation du Canada, à son développement et à sa grandeur », ajoute Stephen Harper. « Parce que les Québécois depuis Cartier et Laurier jusqu'à Mulroney et Trudeau ont dirigé ce pays et des millions comme eux ont contribué à le bâtir ».
Tous ceux dont Harper cite les noms ont-ils dirigé ce pays ou ont-ils été dirigés par lui? Ils ont tous fait ce qui leur paraissait normal pour répondre aux exigences de la situation canadienne et affirmer sa primauté. Trudeau voulait totalement écarter la nation québécoise du système des références. Avec la motion de Stephen Harper, la nation québécoise entre comme référence soumise a priori aux lois, aux conséquences, à la vérité et aux causes, aux plans d'un Canada uni. La nation québécoise est d'emblée placée en position de mensonge et d'hypocrisie. La nation québécoise est chargée d'une tâche officielle unique, celle d'assurer l'unité du Canada, sa préséance sur elle. La démonstration concrète de son existence ne peut se faire qu'à travers les institutions du Canada uni.
La « reconnaissance » de notre nation qui vient d'avoir lieu est un chef d'œuvre d'humour noir. La nation québécoise y est comme une grosse méduse sans squelette, enchâssée, et à laquelle on inculque un modèle qui n'a pas à être décidé par elle. « Au sein du Canada uni » veut signifier tacitement que la nation québécoise n'outrepasse pas le mécanisme intégré. Il y a une telle contradiction entre cette soi-disant reconnaissance nationale et la primauté du Canada uni qu'elle fournira aisément des munitions aux souverainistes.
Avec cette motion, le Fédéral vient de statuer que la nation québécoise opère derrière les lignes canadiennes. Maintenant les fédéralistes vont devoir soutenir carrément que le mécanisme intégré est efficace et le meilleur garant de l'épanouissement national québécois. Ils regretteront peut-être le passé au cours duquel il leur suffisait de prétendre que la nation canadienne se contrôlait par elle-même sans distinction de quelque ordre, langue, origine et culture. Ils vont d'ailleurs, pour compenser, revenir fréquemment sur l'idée que le Fédéral est l'équivalent local de l'Esprit Universel. Les discoureurs fédéralistes en viennent là naturellement quand ils veulent se faire croire que leur Etat national est le régime suprême des nations.
Les témoignages sur la vie de nation derrière les lignes canadiennes ne sont pas uniquement le fait des chroniqueurs politiques d'ailleurs. Dans le livre La Nouvelle Communication qui regroupe plusieurs textes de théoriciens éminents, il s'en trouve un fort symptomatique du devenir possible d'une « nation dans un Canada uni » : « En étudiant une communauté d'indiens Kutenai, dans le sud-ouest du Canada, y lit-on, Birdwhistell s'aperçoit que la gestualité des Indiens bilingues change quand ils passent du kutenai à l'anglais. Birdwhistell interprète ce changement comme une imitation de l'homme blanc. » Le texte poursuit en reprenant les études de Birdwhistell à l'université de Saint-Louis sur les gestes accompagnant l'expression d'une langue. Et Birdwhistell conclut dans son étude: « Il semble qu'en changeant de langues, l'homme change aussi de langage corporel ».
Etre une communauté linguistique à part constitue une différence importante en Amérique du Nord. Ce devrait être un cliché que de le constater. Mais le parlement canadien a beau adopter une motion, le bon citoyen canadien, bien enveloppé par les rets de l'idéologie nationale, se demande quand même comment le mot « nation » peut bien s'appliquer aux Québécois. Les Québécois ne sont que les porteurs d'un code, un effet de la traduction. Les bons citoyens canadiens n'ont pas fini de se répéter dans leurs journaux : Si les Québécois représentent une nation, n'importe quelle province en représente une.
André Savard


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