Bien que le Québec n’ait pas signé la Constitution canadienne et qu’il se soit déclaré nation, il n’y a pas aujourd’hui de position du Québec. Jean Charest, déjà qualifié de « premier ministre du Québec le plus fédéraliste jamais connu » par Stephen Harper a amplement mérité son titre. La position du Québec à présent, c’est la position des provinces puisque toutes veulent des accommodements particuliers.
Le Québec veut un encadrement du pouvoir de dépenser, un respect des juridictions, bref une organisation un peu moins volontariste de la part du Fédéral. Il veut déplacer quelque peu le point de jonction entre l’autorité du Fédéral et celles des provinces. On dit généralement que c’est « la position du Québec » parce qu’il entre dans une certaine classe de revendications provinciales.
Le point de vue québécois ne prend pas pour base la fidélité à la nation québécoise et la légitimité particulière, l’exception croissante qui devrait l’accompagner. La prétention québécoise a été circonvenue, entre autres, par cette idée que dans le monde contemporain cette fidélité à la nation se voyait remplacer par des fidélités moins contraignantes : la fidélité à un projet professionnel, la fidélité groupusculaire, à ses penchants ou à ses hobbys.
Lorsque les délibérations de la Commission Bouchard-Taylor se poursuivaient, les espoirs touchant une Constitution québécoise s’exprimaient abondamment dans les médias. Ces espoirs demeuraient dans la foulée de cette commission. Souvent la Constitution souhaitée se voulait un « projet rassembleur », entendez apolitique, une réitération des belles valeurs que les groupes de notre société désirent transmettre.
Dans cette optique, la Constitution se voulait une réponse à l’émiettement progressif et à la désaffiliation, un trait noté en fait dans la plupart des sociétés occidentales. Conçue de cette façon, la Constitution du Québec ne se pencherait pas sur le vide, la béance institutionnelle qui frappe la nation québécoise. Son gouvernement est un simple vis-à-vis, un instrument plus ou moins performant dans le cadre de ses juridictions, susceptibles de comparaisons, de bancs d’essai.
Les bulletins télévisés canadiens censés en faire l’analyse sont comparables à un interminable audit comparatif, calqué sur la chronique boursière ou le palmarès des administrations. Sur ceci ou sur cela, c’est mieux en Alberta, plus cher en Ontario, et le secteur de l’emploi est plus en croissance au Québec mais il a du retard à rattraper.
Tout est arrangé et s’il y a du retard, aucune province ne veut se faire dire que c’est à cause d’elle particulièrement. Le Québec ne sort pas vraiment de cette logique de l’engagement sectoriel provincial. Nos gouvernants ont renoncé à donner une dimension institutionnelle et constitutionnelle à la nation québécoise.
Bien que le Québec n’ait pas signé la Constitution canadienne, il n’a jamais promulgué sa propre Constitution nationale. Bien que le Québec se soit déclaré gouvernement national de la nation québécoise, sa position n’est pas qu’il soit le premier fondé de pouvoir de la nation québécoise. Le respect des juridictions provinciales est l’unique critère qui lui permet d’invoquer un pouvoir d’arbitrage, lequel d’ailleurs appartient aux instances canadiennes.
La vocation d’un Etat national est de triompher du temps en donnant un contenu un futur et en promulguant les attaches généalogiques de la nation qu’il représente. « Attaches généalogiques » signifient dans le présent contexte le pouvoir de transmission de la langue, de la culture puis, conséquemment, celui d’anticiper et de donner ses chances à l’avenir. La vocation d’un Etat national est de prévoir et d’assurer le libre arbitre de la nation qu’il représente.
La nation québécoise ne profite pour le moment d’aucune instance qui s’acquitte de ce rôle. Une Constitution québécoise devrait donc clairement statuer la responsabilité entière de l’Etat québécois, ses devoirs de premier fondé de pouvoir de la nation. Il n’y a pas de position du Québec qui compte actuellement parce que le Québec ne place pas le seuil de l’arbitrage de son côté et qu’il ne conteste en rien le degré de holisme de la société canadienne. Par sa passivité, le Québec place sa confiance dans la continuité des institutions canadiennes qui sont les seules à s’actualiser et à faire leurs preuves.
Il n’empêche qu’à peu près tous les premiers ministres du Québec parlent du sens de l’Etat. Même Jean Charest rappelle aux membres de son gouvernement lors de leur investiture qu’ils vont occuper les hautes fonctions du seul Etat français d’Amérique. Mais alors pourquoi cet Etat se définit-il par son allégeance à la reine et à Michaëlle Jean, masque vivant de l’Empire, plutôt que par son allégeance à tous les citoyens de la nation québécoise?
Pour ce faire, il faudrait d’abord qu’existe une citoyenneté québécoise. Il faudrait aussi que le Québec rapatrie le pouvoir de remplacer la fonction de lieutenant-gouverneur par celle de représentant du peuple québécois. Et il faudrait agir désormais en fonction d’un principe : l’expression de la volonté libre du peuple québécois a préséance sur toute contrainte législative imposée unilatéralement et non approuvée par cette population.
Au Québec, nous sommes pris dans un piège comme si nous devions absolument être différent sans dissidence. Entre la légitimité canadienne et le point Omega de l’indépendance, vu comme une haute forme de catéchèse, nous négligeons le support de l’opinion publique tel qu’il s’offre aujourd’hui.
Le juriste André Binette a écrit un article sur l’obligation de négocier en cas de vote unanime d’une législature provinciale dont il a déjà été question dans cette chronique. Il y a possibilité de poser des gestes fondamentaux mais on semble trop souvent croire qu’il vaut mieux s’expédier au ramassage des patates.
Au plan des institutions, les représentants québécois, encore plus que la population, paraissent énormément gênés de faire apparaître du nouveau. Des indépendantistes viennent conforter cette thèse, plus ou moins volontairement, en affirmant que le vrai destin québécois ne commencera que le jour de l’indépendance. Les moyens de la liberté, ça se prépare.
Pour faire suite au débat sur la Constitution nationale du Québec, il ne faut surtout pas se laisser arrêter par le désaccord des uns. L’idéal de l’unité est fréquemment ennemi de l’action. Pourquoi? Parce que l’exigence de l’unité conduit à accorder un veto à tous pour tout.
L’exigence de l’unité conduit un mouvement à accorder plus d’importance aux fidélités groupusculaires en son sein qu’à tout le reste. Ceux qui croient en une Constitution nationale pour le Québec devraient écrire à leurs élus en évoquant l’importance d’une vraie position québécoise. Aussi, les indépendantistes qui croient qu’une reconnaissance formelle, statutaire, institutionnelle, de même que l’instauration d’une république au Québec, faciliteront l’évolution des comportements, ne devraient pas attendre avant de faire pression auprès des élus de toutes les tendances.
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3 commentaires
Michel Guay Répondre
13 septembre 2008Rendu à ce point la nation Québecoise à besoin d'un choc violent pour constater la position provincialiste de Charest et celle de Dumont .
La position canadian de Charest est claire car de nation à nation de tous les premiers ministre du Québec, charest nous a relégué à un contre onze avex son organisme coloniale de son Conseil de la confédération .
Le but de Charest , Dumont et de tous les fédéralistes est d'angliciser le Québec avec nos impôts en laissant Ottawa violer la loi 101 comme ils ont collaborés à la détruire
Avec les fédéralistes au pouvoir la position du Québec est d'attendre sans faire trop de vagues en souhaitant une mentalité fédéralistes irréversible grâce à l'immigration et au nombre de plus en plus élevé d'anglicisés .
À moins d'un éveil à la base qui obligerait les partis indépendantistes à s'unir pour réaliser notre décolonisation, le Québec deviendra de plus en plus anglicisé et canadian.
Archives de Vigile Répondre
9 août 2008Bonjour M. Savard,
je suis complètement d'accord, vous avez les mots appropriés. Je suis déçu que ça ne suscite pas de commentaire de la part de nos collègues, sauf Mme Lachance. Ça ne les intéresse pas ? Ils sont d'accord avec Mme Lachance ? Pourtant, en ce qui me concerne, même si d'autres options méritent aussi qu'on les considère sérieusement, le positionnement officiel du Québec, chose que nous n'avons jamais faite, c'est probablement l'acte le plus concret et le plus faisable actuellement. Nous n'avançons pas, nous en sommes encore au même point, à peu près, qu'en 1982.
Le système anachronique et désuet du parlementarisme britannique sert bien nos politiciens. Manifestement, ils tiennent beaucoup à ce que rien ne change fondamentalement. Le PQ veut faire la souveraineté du Québec, pas l'indépendance ; le PQ propose de faire cela en respectant toutes les règles, en étant plus catholique que le pape. Et c'est bien ce que veut entendre la population. L'utopie est entretenue depuis peut-être 40 ans.
Depuis que j'y entends quelque chose en politique, absolument toutes les propositions (mode de scrutin, Constitution, …) ont été rejetées. Le PQ est toujours trop occupé à autre chose. Il est alors difficile de faire confiance à ces mêmes gens qui nous disent vouloir faire la souveraineté, ce petit changement de régime qui ne fera pas mal. Moi, j'appelle cela nous faire niaiser. C'est pourquoi, même si j'ai des réserves, le nouveau parti PI mérite sa place dans l'échiquier.
Il faut formaliser nos prétentions, n'avoir plus à les expliquer et les justifier. Il faudrait que ça aille de soi. Si nous existions officiellement, avec une position connue de toute la planète, ce genre de choses irait de soi. Ce serait un bond qualitatif dans le discours, une référence claire et conforme à la réalité. L'emprise des maitres sur nos esprits (télé, journaux, publicités) en serait fortement affectée. Pour l'instant, "le Québec ne place pas le seuil de l’arbitrage de son côté", comme vous dites.
Je disais en décembre 2006 (texte: les Québécois ne sont pas vraiment ambivalents) "Par exemple, l’exercice de concevoir démocratiquement une première Constitution du Québec, qui serait effective sans attendre l’indépendance et qui remplacerait le régime politique anachronique qui régule notre vie, cet exercice, bien qu’il puisse prêter flanc aux revendications partisanes de toutes sortes, serait surtout un révélateur pour les Québécois de la tâche qu’ils ont à accomplir, c’est-à-dire devenir citoyens responsables."
Aujourd'hui, je crois qu'un tel exercice serait trop dangereux, il pourrait briser nos chances, nous emprisonner. Il nous faut plutôt une Constitution virtuelle, authentique (non liée à une autre), quelque chose qui sera approprié complètement lors de l'acquisition de l'indépendance. Quelque chose, aussi, qui existe et est la référence automatique, et qui agit comme bouclier trivial dans les procès d'intentions des fédéralistes. Quelque chose qui est utilisable immédiatement. Une Constitution québécoise, c’est de la matière, des arguments dans le combat des idées quand on cherche à convaincre qu’on est toujours empêché d’être.
Je pense à certains collègues sur Vigile qui nous diraient que voilà de bien beaux vœux pieux. Pour Mme Lachance comme pour d'autres aussi, il faut s'employer exclusivement à mettre des indépendantistes au pouvoir. Très bien, comment on fait ça ?
Si la population du Québec se prononçait avec force, d'une manière ou d'une autre, en déclarant envers et contre tous son existence et son intention de prendre sa place, tout serait ensuite plus simple. Là il serait possible d'avoir des politiciens (pour qui les gens votent en majorité) convaincus, motivés et travaillants.
Les Québécois qui ont une opinion politique, en majorité, veulent croire que le Canada des 2 ou 3 nations est possible, et qu’on y arrivera en trimant dur, en chiennant, en travaillant plus fort que les autres. Comme si ç'était normal d'avoir à travailler plus fort que les autres, étant donné notre infériorité au départ ??? Sentez-vous cela comme moi ?
Les Québécois tiennent absolument à leur statut de Canadiens. Les Québécois ne se voient pas disparaître, et pire que ça, ils ne veulent pas le savoir. Alors la stratégie voulant qu'on demande directement aux gens "Voulez-vous que le Québec devienne un pays indépendant ?", cette stratégie-là, ça mène à un score de 30%. Vraiment, s'entêter à ne pas discuter de ce problème, se faire des accroires et inciter tout le monde à foncer aveuglément comme soi-même en espérant que le mouvement entrainera le mouvement, c'est suicidaire. A 2 reprises, les Québécois n'ont pas dit NON aux propositions que leur faisait le PQ, les Québécois ont dit NON 2 fois à l'indépendance. C'est ça la réalité.
Je travaille pourtant, quand même, à la naissance du Québec, un Québec indépendant. Je suis favorable au nouveau parti, le PI. Je pense même que je voterais pour eux s'il y avait un candidat dans notre comté. Mais je ne me fais aucune illusion, ça ne serait qu'une rebuffade au PQ. Le PI, potentiellement, peut aider à nommer les choses, formaliser le problème. Mais il sera longtemps l'épouventail utile au PQ, et dans l'opinion publique, la grosse brute qui bouscule tout le monde. Power Corporation aura tôt fait de le comparer au parti de Le Pen en France. Si on ne s'attaque pas au problème du désintéressement des Québécois, le PI ne fera que s'inscrire dans la "game", comme les autres. D'où vient cette idée bizarre que les Québécois diraient OUI en majorité à la question claire de la séparation du Canada ? Cette nécessaire séparation, nous le savons, c'est une réalité. Mais les Québécois ne le savent pas, et ne veulent pas le savoir.
Considérant l'état atrophié de la conscience politique collective des Québécois, et avec en tête la nécessité de poser les termes du problème, de nommer les choses, voire de déclarer la guerre, avec cette nécessité en tête, je sollicite directement les personnes qui écrivent souvent sur Vigile, en chroniques régulières ou en tribune libre. Je sollicite l'avis de tout le monde, donnez votre avis à M. Savard. Mais puisque les messages sont rares, et parce que c'est important, j'ose demander à M. René-Marcel Sauvé de bien vouloir nous donner son avis, ici. Je demande la même chose à Bernard Desgagnés, Ivan Parent, Thérèse-Isabelle Saulnier, Fernand Couturier … J'aimerais entendre l'avis de tous ceux qui participent à Vigile. Il me semble que votre avis est nécessaire : est-ce une bonne idée, pour le Québec, de prendre position ? J'ai hâte de lire l'avis de Bernard Frappier.
Archives de Vigile Répondre
7 août 2008Les indépendantistes n'ont pas de temps à perdre à faire pression auprès d'élus qui ne croient pas en l'indépendance. Ils feraient bien de s'organiser pour mettre des indépendantistes au pouvoir.
Histoire de se concentrer sur ce qui est vraiment important pour eux, et d'arrêter de se disperser sur des considérations secondaires.