Le rapport Baker-Hamilton

La politique nationale américaine à l'ombre de l'Irak

Rapport Baker-Hamilton

L'entrée en matière du rapport Baker-Hamilton est sans équivoque: «Il n'y a pas de formule magique pour résoudre le dilemme irakien.» La guerre en Irak, dont la durée a dépassé celle de la Deuxième Guerre mondiale pour les États-Unis, a fait des dommages dans l'opinion publique: en atteste l'élection quasi référendaire du 7 novembre dernier, qui a porté les démocrates à la tête des deux chambres.

Le diagnostic de la commission est saisissant: avec plus de 2900 morts et 21 000 blessés du côté américain, le coût total de la guerre pourrait s'élever à 2000 milliards de dollars. Or, souligne le rapport, malgré les fonds alloués, des moyens essentiels manquent cruellement: c'est ainsi que l'ambassade américaine à Bagdad ne dispose que de six personnes parlant couramment l'arabe alors même que les agences de renseignement s'appuient sur moins de dix experts seniors de l'analyse des insurrections.
Il faut ajouter à cela le spectre du «mensonge» qui plane sur l'opération en Irak depuis ses débuts: la commission a ainsi révélé que les chiffres officiels des incidents en Irak et la méthode de comptage des attaques minoraient la réalité de la violence en Irak. La «nouvelle approche» préconisée par la commission est un désaveu de l'administration Bush et un appel à la réconciliation... en sol américain.
Une guerre de légitimités
La commission Baker-Hamilton veut avoir le même retentissement que la Commission sur le 11-Septembre et, tout comme cette dernière, elle s'est adjoint les services de la firme de relations publiques Edelman. Ainsi, la diffusion du rapport sur quatre sites Internet choisis et en librairie dès sa parution répond à une entreprise de légitimation.
Bien médiatisé, le travail de la commission a été mis en scène pour convaincre. Les médias d'abord. L'opinion publique ensuite. Et le président surtout: les dix «sages» ne pouvaient pas se permettre de ne pas être entendus.
La stratégie de marketing a donc pour objectif de fonder la légitimité et l'indépendance politique de la commission. En effet, il y a une volonté délibérée des commissaires de s'extraire de l'atmosphère délétère qui a marqué la campagne électorale de l'automne afin de n'être instrumentalisés ni par un camp ni par l'autre.
C'est d'ailleurs dans ce sens qu'a abondé le président Bush dès la sortie du rapport, arguant du fait que les tiraillements politiciens avaient fini par «lasser la population». Il avait pourtant lui-même alimenté cette polarisation en affirmant que la politique démocrate en Irak mènerait à la «victoire des terroristes et la perte de l'Amérique».
Dès lors, en préconisant la coopération entre la présidence républicaine et le Congrès démocrate, la commission presse les législateurs de faire preuve de bonne volonté et consacre, si besoin était, la défaite de la présidence impériale. Ce qu'en fera le président Bush est donc déterminant. Pour son héritage, qu'il laissera aux livres d'histoire. Mais aussi, et surtout, pour l'élection présidentielle de 2008.
Grandes manoeuvres
Les grandes manoeuvres ont commencé. Depuis le 8 novembre, le spectre de la campagne 2008 plane sur les deux partis. Du côté républicain, John McCain peut se satisfaire des conclusions Baker-Hamilton car plusieurs corroborent ce qu'il a préconisé jusqu'à présent. Il bénéficie d'un mouvement sur lequel il lui faut capitaliser: le comité de prospection qu'il a formé doit évaluer ses chances et surtout rassembler des fonds.
Sa plus grande rivale du côté démocrate, Hillary Clinton, forte de 67 % de votes aux élections de novembre dernier, a profité de la tribune offerte lors de l'audition de Robert Gates pour se démarquer sur la question irakienne. Depuis quelques mois, son discours avait pris, pour contrer l'image de «démocrate libérale» qui est la sienne, des relents militaristes et sécuritaires (elle a voté en faveur de la guerre en Irak) afin de ratisser dans l'électorat traditionaliste et républicain.
Le rapport Baker, en effectuant un retour aux bases idéologiques du Parti démocrate (le multilatéralisme et la diplomatie), lui impose un repositionnement notable de sa stratégie préélectorale. Et ce, d'autant plus que deux candidats peu marqués sur les affaires internationales, d'ailleurs tout à fait susceptibles d'incarner la rupture avec le discours partisan et polémique autour de la question irakienne, semblent se distinguer: Rudolph Giuliani chez les républicains et Barak Obama chez les démocrates.
L'aspiration de l'opinion publique américaine à un renouvellement des élites est patente, comme en témoigne le fait que la surprenante franchise de Robert Gates lors des auditions devant la Commission des forces armées du Sénat ait été chaleureusement saluée par les éditorialistes. C'est pour cela que les démocrates, en remportant le Congrès, ont hérité d'un cadeau empoisonné. Et le rapport Baker-Hamilton est clair: les démocrates ne peuvent plus se cantonner à une critique acerbe et véhémente de la politique de Bush car ils ont désormais le devoir d'agir.
Le président peut-il faire volte-face? Candide à son tour (ou cynique, c'est selon), James Baker a répondu hier qu'il «l'avait déjà fait». D'autant que le succès des recommandations de la commission consacrerait celui des pragmatiques (comme Baker) sur les idéologues (néoconservateurs): la démission la semaine dernière du bras droit de Rumsfeld, Stephen Cambone, directeur du renseignement militaire et faucon néoconservateur, va dans ce sens. On comprend mieux l'âpreté avec laquelle des dogmatiques comme Robert Kagan et William Kristol ont dénoncé ce rapport, qu'ils voient comme «un échec parfait».
Les républicains sont donc divisés sur la question irakienne... mais les démocrates le sont plus encore. Ce que les auditions promises par Joe Biden, futur président démocrate de la Commission sénatoriale sur les relations extérieures, mettront sans doute en évidence.
Élisabeth Vallet

Docteure en droit et chercheuse à l'Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand de l'Université du Québec à Montréal


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