À tête reposée

La mort (politique) du Sphinx

L'affaire Morin. Légendes, sottises et calomnies

Cette semaine, à 76 ans, Claude Morin, ex-informateur de la GRC et ancien ministre des Affaires intergouvernementales sous René Lévesque, publiait sa énième tentative de justifier l'injustifiable.
L'affaire Morin. Légendes, sottises et calomnies (Éditions du Boréal) est un ramassis de demi-vérités, de contradictions et d'autojustifications radoteuses. Surtout, l'ancien agent double déverse son fiel amer sur deux journalistes réputés, Normand Lester et Pierre Duchesne, ainsi que sur l'auteur renommé Pierre Godin.
Selon Morin, même Loraine Lagacé, celle qui apporta les preuves de son double jeu à René Lévesque, aurait
« inventé » toute cette histoire !
En fait, depuis que Lester l'a pris la main dans le sac de la GRC en mai 1992, et que d'autres auteurs ont ensuite étayé et creusé la grande nébuleuse de son histoire, Morin ne cesse de répéter son « innocence » et d'attaquer ceux et celles qui, nombreux, bien informés et compétents, refusent d'acheter ses excuses cousues de fil « rouge feuille
d'érable ».
Mais cette fois-ci, ça suffit. Son dernier pamphlet est de trop. L'ancien informateur aura versé ses larmes de crocodile amer une fois de trop, et force est de constater que son capital de crédibilité est maintenant à zéro.
Cette semaine, il semble bien que nous ayons assisté à la mort politique, finale et sans retour, de celui que certains appellent le « sphinx », mais que les services secrets de la GRC connaissaient sous les noms de code de
« French Minuet » et « Q-1 ».
* * *
Impardonnable
_ L'histoire d'informateur rémunéré par la GRC de Morin est longue et complexe. Plusieurs livres, ou sections de livres, y sont dédiés. Le lecteur intéressé peut s'y référer aisément.
Pour ma part, je n'ai jamais eu ni n'aurai de pardon pour Claude Morin. Cela n'a rien à voir avec mes préférences sur la question constitutionnelle. Je considère tout simplement qu'en se mettant au service des intérêts politiques du gouvernement fédéral - à travers son bras avancé des services secrets de la GRC, dont une des missions centrales était la déstabilisation et l'infiltration du mouvement
« séparatiste » - Morin a trahi la cause qu'il disait défendre, son parti, son chef et son gouvernement.
J'y verrais la même absence de morale chez un informateur péquiste, s'il y en avait eu un, qui aurait réussi à infiltrer le PLC et serait devenu ministre des affaires intergouvernementales sous Trudeau. Trahir est trahir.
Personne ne peut être suffisamment naïf pour croire que la police d'un État fédéral aux prises avec un mouvement et un parti sécessionnistes conserverait sur son payroll un informateur qui ne lui rapportait pas ce qu'elle cherchait à obtenir.
D'autant plus que dans le cas de Morin, on parle ici d'un informateur ayant pris sa carte de membre du Parti québécois après la première élection générale à laquelle a participé le PQ (1970). Un homme qui, fort de sa réputation de « mandarin » de l'État, s'est vite rapproché de Lévesque. Un homme qui a réussi à convaincre Lévesque d'abandonner le cœur de son programme - une élection référendaire - au profit, désastreux, de l'étapisme et du
« bon gouvernement ».
Un homme qui s'est enfin retrouvé ministre des Affaires intergouvernementales et conseiller en chef de Lévesque sur les stratégies les plus cruciales de ce gouvernement sur la question constitutionnelle. De l'étapisme aux négociations catastrophiques de 1981 sur le rapatriement de la constitution, Claude Morin aura joué un rôle absolument central.
Ce qui, en passant, ne justifie en rien les choix opérés par Lévesque lui-même d'écouter un Morin plutôt qu'un Parizeau... Ni n'absout le gouvernement fédéral de Pierre Trudeau, qui a réussi ainsi à infiltrer le PQ jusqu'à son sommet même.
Mais rien, rien n'enlève à la responsabilité morale d'un homme qui choisit de faire le sale boulot d'informateur pour une force politique œuvrant à affaiblir, ou détruire, celle pour laquelle il travaille « officiellement ».
Je n'ai jamais acheté la ligne pathétique de Morin voulant qu'il ait joué le jeu de la GRC en cherchant à « duper » lui-même la police fédérale. Si cela avait été le cas, pourquoi Morin n'informait-t-il pas Lévesque de ce qu'il apprenait supposément de la GRC ?
En fait, Morin aura plutôt choisi de ne pas informer Lévesque de ses activités parapéquistes. Il a préféré en informer Marc-André Bédard, ministre de la Justice, sa chef de cabinet, Louise Beaudoin, de même que Jean-Roch Boivin, chef de cabinet de Lévesque.
Et pourquoi tout ce beau monde s'est gardé d'en informer leur premier ministre ? Voilà une question troublante qui hantera les annales du PQ encore longtemps.
Dans son troisième tome sur Parizeau, Pierre Duchesne révèle que même Marc Lalonde, ministre de la Justice et proche de Trudeau, le savait depuis 1978 et qu'il l'avait appris de Francis Fox, solliciteur général à Ottawa, lequel le savait avant.... Bien sûr ! Comment croire que l'entourage du même Trudeau n'eût pas été au courant de la présence d'une taupe au PQ qu'il avait probablement contribué lui-même à y placer ?
* * *
La vérité sort de la bouche des agents doubles... un jour
_ De toutes les frasques immorales de Morin, celle qui aura le plus amoindri les chances que le Québec soit indépendant un jour, fut sa concoction étapiste.
Rappelons seulement qu'avant le fameux Ve congrès de 1974, au Petit Colisée de Québec, où fut adoptée dans la controverse la stratégie étapiste, le programme du PQ stipulait qu'à la suite d'une élection où il aurait obtenu la majorité des sièges, le PQ engagerait le processus menant à l'indépendance avec l'obligation de tenir un référendum sur la nouvelle constitution d'un Québec indépendant.
Après avoir convaincu Lévesque de mettre le tout à la poubelle, le PQ, contre la volonté, entre autres, de Parizeau, se retrouva avec plusieurs « étapes » : une élection avec mandat de « bon gouvernement », la gouvernance elle-même, un référendum consultatif sur la souveraineté-association suivi, s'il était gagné, d'un second référendum devant ratifier le résultat des négociations tenues avec Ottawa.
Le PQ abandonna ainsi l'engagement de demander aux électeurs un mandat clair, honnête et transparent de faire l'indépendance. On connaît la suite de l'histoire.
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Le mensonge
_ Depuis que le masque de Morin a été levé par Lester, il n'a cessé de clamer que l'étapisme aura permis au PQ de
« gagner » l'élection de 1976 en rassurant ces pauvres petits Québécois si peureux de nature...
Quel mensonge !
Le fait est que dès sa deuxième élection générale en 1973, le PQ avait raflé un impressionnant 30 % des voix - un exploit que l'ADQ n'a pas réussi en plus de 10 ans d'existence. En 5 ans seulement, le PQ avait détrôné l'Union nationale comme alternative possible au Parti libéral.
Dans l'atmosphère volatile et très nationaliste s'étant implantée après la crise d'Octobre et l'échec de la Charte de Victoria de Trudeau en 1971, l'élection du PQ n'était plus qu'une affaire de temps.
Trudeau et tout le gouvernement fédéral le savaient. Le drame pour Ottawa était que, le jour où le PQ serait élu, il le serait sur un mandat clair découlant d'une élection référendaire.
Que ce fût en 1976 ou plus tard, avec ou sans étapisme, l'alternative crédible au PLQ qu'était devenu le PQ était destinée à prendre le pouvoir. Pour Ottawa, avec le programme originel du PQ, l'indépendance du Québec devenait tout à coup une possibilité on ne peut plus réelle.

Alors, que faire pour stopper cette machine ?
C'est précisément à cette époque, et dans ce contexte bien spécifique, que Morin a persuadé Lévesque d'abandonner l'élection référendaire pour l'étapisme... avec les résultats qu'on connaît.
Si Morin ne l'avait pas fait, ou que Lévesque l'avait rejeté, le Québec serait peut-être indépendant depuis 30, 25 ou 20 ans.
Et le Québec serait sorti du Canada comme il y est entré : sur un vote démocratique des élus, tenu dans son parlement.
* * *
Le référendum : clé d'un nouveau Canada ?
_ Pour certains, l'étapisme visait non seulement à empêcher une élection référendaire et l'effet de dominos qui s'en serait suivi, mais il visait aussi, si jamais, un jour, un référendum était quand même gagné par le camp du Oui, à faire dérailler le processus d'indépendance.
Pour Morin, et d'autres péquistes notoires plus autonomistes qu'indépendantistes, le référendum est vu comme un outil de rapport de force, de négociation, capable d'extirper du fédéral des concessions importantes. Entre la sécession du Québec et un nouveau deal plus autonomiste pour celui-ci, se disent-ils, Ottawa opterait logiquement pour le second, pour un nouveau rapport « d'égal à égal » - ce vieux fantasme nationaliste de « sortir » du Canada pour y entrer à nouveau comme partenaire égal et respecté...
Dans son dernier pamphlet, Morin confirme cette vision. Voici comment il voit l'outil référendaire : « J'en vins à la conclusion que le recours à un référendum positif, moyen jamais encore utilisé en matière constitutionnelle, pourrait, à l'intérieur du fédéralisme et à cause de la secousse politique qui s'ensuivrait, forcer Ottawa et le reste du Canada à faire des concessions qu'ils refuseraient autrement d'accorder. »
Évidemment, Morin dit parler ici d'une idée qui lui serait venue en 1969, en écoutant des mandarins fédéraux discourir sur les négociations de la Charte de Victoria (Morin faisait partie du comité de négociation fédéral-provincial). Ah, ah !, s'est-il dit. Voilà la manière de faire bouger Ottawa.
Mais c'est bizarre qu'il n'ait jamais communiqué plus tard cet euréka au premier ministre Jean-Jacques Bertrand ou, plus tard, à Robert Bourassa. En fait, dans son livre Gouverner le Québec (1995), Bourassa rappelle plutôt qu'en 1971, dans l'avion au retour d'Ottawa, face au désaccord général de son entourage contre la Charte de Victoria, Claude Morin fut le seul à conseiller à Bourassa de signer la Charte proposée par Trudeau.
Et si Bourassa avait signé, la constitution canadienne aurait été rapatriée avec la signature du Québec. La belle famille canadienne aurait été unie et le PQ serait éventuellement disparu de la carte politique...
Ce recours au référendum pour empêcher l'indépendance et la remplacer, en cas d'un Oui majoritaire, pour un nouveau deal avec et dans le Canada, est répandu chez les péquistes de type nationaliste-autonomiste. C'est d'ailleurs, j'en suis persuadée, la préférence d'un Lucien Bouchard, père spirituel de l'Accord du Lac Meech.
Dans la suite du documentaire Le Mouton noir (2003), le politologue et ancien conseiller de Lévesque, Daniel Latouche, exprimait cette vision parfaitement : « Moi, j'ai toujours fait partie des nationalistes mous, très mous. Et beaucoup d'entre nous étions pour la souveraineté parce qu'on voulait faire bouger les choses dans le reste du Canada. »
Est-ce assez clair ?
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Le dernier et ultime service rendu au fédéral
_ Dans son pamphlet, Morin pousse l'indécence encore plus loin. Dans sa nouvelle tentative de laver sa réputation pour la postérité, il va jusqu'à disculper et la GRC et le gouvernement fédéral.
Morin affirme maintenant que la seule « erreur » qu'il a commise aura été de croire que la GRC planifiait un coup fourré contre le PQ et les souverainistes, d'où sa décision de jouer leur jeu pour mieux savoir ce que le fédéral complotait...
C'est que, voyez-vous, Morin aurait fini par comprendre - tenez-vous bien ! - qu'il n'y a JAMAIS eu à Ottawa de stratégie d'infiltration antisouverainiste. Eh non, bon peuple. Rassurez-vous. Morin affirme maintenant que la seule raison de son recrutement comme informateur sur le payroll de la GRC était due à l'inquiétude d'Ottawa face à un possible noyautage du PQ par des ressortissants ÉTRANGERS ! Ça ne s'invente pas.
Et comme il n'y en avait pas, Morin ne leur aurait rien dit !
Elle est grosse comment, la poignée que Morin voit dans le dos des Québécois ?
Donc, si on suit la logique tordue de Morin, le gouvernement canadien aurait été le seul gouvernement central du monde à ne pas chercher à infiltrer un parti - et dans ce cas-ci, éventuellement un gouvernement - dont l'objectif est l'indépendance de ce même État central ?
Elle est grosse comment encore, notre poignée ?
En entrevue, Morin aura poussé sa dysfonction politique jusqu'à se dire maintenant avoir été un simple « consultant » pour la GRC. Et l'informateur d'ajouter sans rire : « Ma seule erreur, c'est de ne pas avoir compris qu'il n'y avait rien là ! »
Eh non, bon peuple. Rendormez-vous. C'était un simple cauchemar. Morin vous le dit : il n'y a jamais eu de stratégie antisouverainiste à Ottawa, il n'y a jamais eu d'infiltration du PQ, bref, y avait rien là ! Et si vous le croyez, j'ai de beaux condos de luxe à vous vendre au Mont-Orford....
* * *
Intolérable
_ Je ne souhaite aucun mal personnellement à Claude Morin. Je le trouve pathétique, par trop imbu de son auguste personne et dénué du sens moral le plus élémentaire.
Mais je lui souhaite une chose : d'avoir la sagesse, pour une fois dans sa vie, de comprendre qu'il est temps de faire montre d'un peu de décence et de se faire, enfin, discret.
Le manque scandaleux de décence morale dont il fait preuve à chacune de ses tentatives d'autojustification ne fait qu'endurcir le jugement qu'une bonne partie de la population porte sur lui. Un ami ou un parent devrait avoir la charité chrétienne de le lui expliquer.
Toutefois, chacune de ses sorties, aussi pénible soit-elle, a au moins un mérite. Elle rappelle jusqu'où le fédéral est prêt à aller pour empêcher l'indépendance du Québec.
À côté du recrutement d'un agent double, qui a infiltré le PQ jusqu'à son sommet, qui a contribué à monter la stratégie constitutionnelle du PQ et qui, de surcroît, était dans le secret des dieux du Conseil des ministres et du bureau du premier ministre, le programme des commandites, c'était de la bien petite bière...
Mais ce qui échappe à l'entendement, c'est comment René Lévesque et ses successeurs, à l'exception de Parizeau, ainsi que le conseiller péquiste Yves Martin, ont pu continuer à disculper Morin - certains mêmes prenant de ses conseils.
La déloyauté de Morin est sans pardon. Tout démocrate, quelle que soit son option constitutionnelle, devrait le comprendre en son âme et conscience.
On ne peut tout de même pas tolérer l'intolérable.




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