François Schirm, qu'on surnommait affectueusement le général ou le colonel, je ne me souviens plus très bien, est décédé il y a quelques jours. Il ne verra donc pas de ses yeux, comme tant d'autres militants partis avant lui, la réalisation du projet pour lequel il a lutté et donné une grande partie de sa vie, dont plus de quinze ans dans un pénitencier fédéral, ce qui n'est pas rien.
En 1964, après une première vague d'actions du Front de libération du Québec et les arrestations massives qui suivirent, Schirm tente de réorganiser le mouvement de libération nationale et met sur pied l'Armée révolutionnaire du Québec. Pour faire la guerre, ça prend des armes et, fin août 1964, il y a cinquante ans presque jour pour jour, il attaque une armurerie, l'International Fire Arms, aux coins des rues Bleury et Ontario.
L'opération tourne mal, des policiers qui patrouillaient le secteur arrivent sur les lieux et il s'ensuit un échange de coups de feu au cours duquel un employé est tué accidentellement par la police, de même que le gérant de l'établissement, pris dans un feu croisé. Schirm, blessé à la jambe, est arrêté de même que Cyriaque Delisle. Le troisième membre de l'ARQ, Edmond Guénette, réussit à s'enfuir mais il sera arrêté quelques jours plus tard.
Au terme du procès pour meurtres, les trois révolutionnaires seront condamnés à être pendus. La peine de mort existait encore au Québec à cette époque. Schirm, Guénette et Delisle seront transférés dans la cellule des condamnés à mort, à la prison de Bordeaux. De leur fenêtre, ils pouvaient voir l'échafaud sur lequel ils monteraient. L'attente dura quelques années, suffisamment longtemps pour que l'un d'eux perdent complètement ses cheveux, en raison du stress.
Pendant ce temps, la solidarité s'organise et des pétitions sont lancées pour exiger que leur peine de mort soit commuée en emprisonnement. Internet n'existait pas, il est bon de le rappeler, et toute cette mobilisation exige beaucoup de temps et de déplacements. Des intellectuels français sont sollicités. Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, entre autres, signeront la pétition.
Finalement, grâce à la pression de l'opinion publique, leurs sentences sont commuées en emprisonnement à perpétuité, même si la Chambre des Communes, à Ottawa, refuse encore une fois d'abolir la peine capitale. Il faudra attendre l'arrivée de Pierre Elliot Trudeau, alors ministre de la Justice dans le gouvernement libéral de Lester B. Pearson (eh oui, il avait tous les défauts du monde mais il faut lui rendre justice sur ce point), pour que la peine de mort soit abolie (de façon temporaire dans un premier temps, sauf pour la mort d'un policier).
Schirm obtiendra une libération conditionnelle en 1979. Ce citoyen apatride, sans aucun passeport, avait auparavant refusé d'être déporté car il n'avait aucune patrie où se réfugier, sauf ce Québec pour lequel il avait risqué sa vie et tout donné. S'il partait, il ne pourrait plus jamais revenir. Il ne sortira jamais du Québec. Il n'avait ici aucune famille pour l'accueillir, sa femme étant partie en Argentine avec sa fille toute jeune quelque temps après la condamnation de son mari.
Or, pour sortir de prison, quand on a une sentence à vie, ça prend un parrain. Yvon Deschamps accepta généreusement de l'héberger quelque temps chez lui, dans sa maison de Westmount. Le temps qu'il réapprenne à vivre en société, qu'il réapprenne à être responsable et à penser par lui-même, sans permission à demander. Quinze ans de prison, ça laisse des traces et le pénitencier n'est pas exactement l'endroit idéal où l'on apprend à vivre de façon responsable. Traverser simplement la rue devient une opération périlleuse, c'est vous dire.
François s'attela à l'écriture d'un livre autobiographique. Il sera accompagné, dans sa démarche littéraire, par Andrée Yanacopoulo, veuve de l'écrivain Hubert Aquin. Le livre, Personne ne voudra savoir ton nom (en allusion à la chanson de Raymond Lévesque, Bozo les culottes), sera publié aux éditions Quinze, en 1982. Sorti de prison un an plus tôt, je travaillais alors à la maison d'édition de Victor-Lévy Beaulieu, VLB éditeur, et j'aurais bien aimé pouvoir le publier.
L'entrevue qu'il donne à la radio de Radio-Canada international, à l'occasion de la parution de son livre, trouvera un écho inespéré. Sa fille, Sylvie, qui se trouve avec sa mère en Argentine, écoute l'entrevue que son père, qu'elle ne connaît pas ou si peu, donne à l'autre bout du monde. Elle apprend que son père serait des plus content de retrouver la trace de sa fille qu'il a perdue de vue alors qu'elle n'avait que trois ans. Pour elle, c'est une véritable révélation. Peu de temps après, Sylvie, qui ne parle presque plus le français, quitte l'Argentine et sa mère et revient chez elle au Québec, à la rencontre de son père. Ce sera, pour le père et la fille, le plus beau moment de leur vie. Sylvie deviendra avocate et se spécialisera en droit de la famille. Elle s'occupera de François jusqu'à son décès.
Le «général» n'a jamais abdiqué.
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