L'ancien premier ministre n'est pas seulement menacé d'une enquête en profondeur sur ses liens avec le douteux Karlheinz Schreiber. Il vient en plus de se faire mettre officiellement en disgrâce dans son propre parti par Stephen Harper lui-même.
Que dira Brian Mulroney à tous les membres des puissants conseils d'administration où il siège, maintenant que son allié politique, le premier ministre du Canada, vient de jeter un gros nuage de soupçons très officiels sur sa réputation?
«Je n'ai pas parlé de cette décision avec M. Mulroney et je crois qu'il est de mon devoir et de celui des membres du gouvernement de n'avoir aucune relation avec M. Mulroney tant que cette affaire n'est pas résolue», a dit M. Harper en annonçant vendredi qu'il nommerait un conseiller indépendant pour qu'il lui dise quelle action entreprendre.
Voici donc Brian Mulroney persona non grata dans son propre parti. Cela s'appelle se faire sacquer pour de bon.
Rupture, réconciliation, rupture
Les choses n'ont jamais été simples entre Stephen Harper et Brian Mulroney. M. Harper a démissionné du poste de conseiller dans le cabinet d'un ministre conservateur en 1986, dégoûté par la politique de M. Mulroney. Il s'est joint au Parti réformiste et a été un virulent critique du gouvernement Mulroney.
Mais tout ça était loin derrière. M. Harper avait fait la paix avec M. Mulroney, dont il a accepté les conseils pour faire une percée au Québec en 2006. Brian Mulroney faisait partie du comité de transition du nouveau gouvernement Harper. Et les Mulroney ont été invités à Ottawa quelquefois.
Oh, il y avait cette affaire Airbus, mais n'était-ce pas une marotte de journalistes? Les libéraux avaient présenté leurs excuses à Brian Mulroney en 1997 pour avoir laissé plané des soupçons à son sujet. La GRC avait déclaré en 2003 que l'enquête était close et Brian Mulroney, hors de cause. Affaire classée.
Brian Mulroney a publié ses mémoires sous haute surveillance médiatique, cet automne. Il y règle ses comptes et écrit l'histoire à la première personne en y plaidant sa cause avec brio. N'a-t-il pas été un grand premier ministre, après tout?
Mais tout vient de dérailler, et Brian Mulroney est maintenant marqué au fer rouge, quoi qu'il arrive.
Le citoyen et le premier ministre
Ce ne sont plus les pugnaces journalistes de CBC(1) et du Globe and Mail qui remettent en question son intégrité. C'est le premier ministre du Canada.
Stephen Harper, qui a fait de l'intégrité un de ses chevaux de bataille, n'a pas l'intention de se faire torpiller à cause des manœuvres passées de Brian Mulroney.
Or, depuis deux semaines, les journalistes du Globe et de CBC sont revenus à la charge avec de nouvelles révélations.
Vendredi, on a appris dans le Globe que non seulement M. Mulroney a reçu 300 000$ en argent comptant de Schreiber après avoir quitté le pouvoir, mais que tout cela pourrait avoir été arrangé pendant les derniers jours de M. Mulroney comme premier ministre.
Ce n'est donc plus seulement le citoyen Mulroney qui, à tout le moins, a manqué incroyablement de jugement. C'est potentiellement l'intégrité de la fonction de premier ministre qui est en cause.
Deuxième problème, cet argent venait indirectement d'Airbus, même si M. Mulroney l'ignorait. Troisième problème, M. Mulroney a dissimulé les faits et a induit tout le monde en erreur, personnellement ou par son porte-parole, Luc Lavoie.
Quatrième problème, le gouvernement du Canada a versé 2,1 millions à M. Mulroney en remboursement de frais d'avocats et de relationnistes, avec des excuses, pour atteinte à sa réputation. Mais les versements et l'origine de l'argent n'étaient pas connus. Cet argent a-t-il été versé à tort, vu ce qu'on a appris depuis 10 ans?
Harper nommé
À ce jour, on ne sait pas quelle fut la véritable contrepartie de ces 300 000$. Schreiber poursuit même M. Mulroney en Ontario pour cette somme, disant qu'il n'a rien fait en échange.
Et puis, cinquième problème: vendredi, on a appris que Schreiber avait remis une lettre à Brian Mulroney en 2006 pour qu'il la remette personnellement à Stephen Harper au cours d'une rencontre privée cet été-là. M. Harper dit que M. Mulroney ne lui a rien remis du tout. Mais cette fois, c'en est trop: il n'a pas l'intention d'être associé, même vaguement, à une histoire qui ne le concerne pas du tout. Ce que veulent faire les députés d'opposition à Ottawa.
Voilà assez de raisons pour couper les ponts avec Brian Mulroney.
Enquête ou pas?
Difficile de prévoir ce que recommandera le conseiller indépendant. La semaine dernière, une enquête judiciaire était carrément exclue par le premier ministre. Plus maintenant. La donne a changé et, à partir de maintenant, le premier ministre sera surtout préoccupé par une chose: la réputation de son gouvernement.
Sans le sou
Le 23 juin 1993, deux jours avant que M. Mulroney ne quitte le pouvoir, une rencontre a lieu au lac Harrington, résidence d'été du premier ministre, entre celui-ci, son ancien conseiller Fred Doucet et Schreiber. M. Mulroney a besoin d'argent, apparemment. Schreiber, qui s'est ouvert des portes et des amitiés profitables en versant de l'argent à des politiciens et à des hommes influents (dont Helmut Kohl, ex-chancelier allemand), accepte de l'aider.
Fin juillet 1993, Schreiber ouvre un compte de banque à Zurich, en Suisse, qu'il nomme «Britan». Il y verse 500 000$ et en retire une première tranche de 100 000$, qu'il verse en billets de 1000$ à M. Mulroney dans un hôtel de Mirabel.
Cet argent, même si M. Mulroney l'ignore, et même s'il n'a rien eu à voir avec l'achat d'Airbus par Air Canada, vient entre autres d'Airbus. Des commissions à hauteur de 20 millions ont en effet été versées à Schreiber par Airbus après la vente de 34 avions à Air Canada (un contrat de 1,8 milliard). Schreiber en a distribué à certaines personnes, dont le défunt lobbyiste Frank Moores. Et en 1993, il en reste, apparemment.
Il y eut deux autres rencontres dans des hôtels, à Montréal en décembre 1993, et à New York en décembre 1994, où M. Mulroney a reçu les deux autres paiements de 100 000$.
M. Mulroney a promis par communiqué de collaborer pleinement avec la personne que nommera le premier ministre pour trouver la manière de tirer toute cette affaire au clair.
Dire qu'il avait réussi habilement à mettre cette affaire derrière lui. Dire qu'il était de retour dans l'antichambre du pouvoir, auréolé de sagesse et d'amitiés partout dans le monde. Dire que ce devait être, avec ses mémoires, l'automne de sa réhabilitation historique.
Cela ressemble un peu plus chaque jour à l'automne de son humiliation.
(1) Voir, sur le site de CBC, le reportage de Fifth Estate, qu'on peut visionner en entier: «Mulroney: the Unauthorized Chapter». Le site comprend aussi le détail, scène par scène, de tout le feuilleton, et des documents.
- source
La mise au ban de Brian Mulroney
Difficile de dire ce qui est le pire pour Brian Mulroney en ce moment.
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