Rapatriement de la Constitution, 30 ans après (1)

La mémoire de 1982: entre l'amnésie, l'acceptation et le refus

Depuis trois décennies, le Canada de 1982 reste inachevé.

30e du rapatriement de 1982



Les tenants du Oui au référendum de 1995: Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Mario Dumont. Aujourd’hui, à la lumière des blocages liés à la rigidité de la formule d’amendement, des tentatives avortées de réforme constitutionnelle et des silences sur cet enjeu depuis l’échec référendaire de 1995, les options sont plus limitées.
Premier de trois textes
Cela fait maintenant trente ans que la proclamation de la Constitution a été signée en grande pompe sur la colline parlementaire à Ottawa. La joute politique qui a précédé cet événement solennel a été marquée par le refus du gouvernement du Québec d'adhérer à cette nouvelle Constitution qui modifiait la formule d'amendement et enchâssait une Charte des droits et libertés. Cette «anomalie» a donné lieu à une décennie de pourparlers qui visaient entre autres à faire en sorte que le Québec souscrive à la Constitution. Ces débats se sont conclus par deux échecs retentissants, ceux de l'accord du lac Meech en 1990 et l'entente de Charlottetown en 1992. Depuis trois décennies, le Canada de 1982 reste inachevé.
En préparation au colloque qui se déroulera à compter de demain et jusqu'au 14 avril à l'UQAM sur les 30 ans du rapatriement, un sondage a été commandé à la firme Léger Marketing. Ce sondage a été réalisé entre le 5 et le 12 mars 2012 auprès de 2039 répondants canadiens (dont 1002 du Québec). Certains résultats étonnent, d'autres confirment des tendances déjà observées.
Une amnésie relative
Dans l'ensemble, les Québécois et les Canadiens sont relativement amnésiques quant aux événements entourant le rapatriement de 1982: un tiers des Québécois seulement ont été en mesure de nommer l'enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés comme une des modifications importantes apportées à la Constitution; la moitié des répondants sait que la conférence fédérale-provinciale de 1981 portait sur le rapatriement et 54 % sont au courant du fait que le Québec n'a pas reconnu cette Constitution. Compte tenu du fait que les acteurs politiques rappellent à temps et à contretemps que le Québec n'a pas adhéré à la Constitution de 1982, ces données étonnent et reflètent probablement un manque d'intérêt pour les débats politiques pour bon nombre de citoyens.
Évidemment, la connaissance de la non-adhésion du Québec à la constitution de 1982 s'accroît en fonction de l'âge (65 % pour les plus de 55 ans, contre 47 % pour les moins de 35 ans), de la scolarité (68 % pour les détenteurs d'un diplôme universitaire, contre 47 % pour les détenteurs d'un diplôme collégial ou moins), mais surtout en fonction du genre puisque, chez les femmes, la connaissance est de 30 % inférieure à celle des hommes. La mémoire de 1982 est donc à géométrie variable, ceux qui ont été témoins des débats constitutionnels en ont conservé souvenir.
Entre le statu quo et l'indépendance
Les pourparlers constitutionnels ont commencé sous l'impulsion du gouvernement unioniste de Daniel Johnson à la fin des années 1960 sur le thème «Égalité ou indépendance». Aujourd'hui, à la lumière des blocages liés à la rigidité de la formule d'amendement, des tentatives avortées de réforme constitutionnelle et des silences sur cet enjeu depuis l'échec référendaire de 1995, les options sont plus limitées.
En présupposant qu'il soit impossible de modifier la Constitution de manière à satisfaire une majorité de Québécois, nous avons demandé si le Québec devrait se retirer de la fédération canadienne pour devenir un pays indépendant ou s'il devrait plutôt rester dans la fédération canadienne sans que la Constitution ne soit modifiée. Les réponses montrent qu'un clivage important marque les opinions des Québécois francophones et non francophones: 54 % des francophones du Québec choisiraient la première option, alors que 83 % des non-francophones préfèrent le statu quo. Le choix de se retirer de la fédération canadienne grimpe à 64 % parmi les Québécois francophones qui savent que le Québec n'a pas adhéré à la Constitution de 1982.
Dans les deux cas, la variable identitaire joue un rôle majeur. Ainsi, 73 % des francophones qui se définissent comme d'abord ou seulement québécois opteraient pour l'indépendance, cette proportion est de 55 % chez ceux qui affichent une identité duale. À l'inverse, le statu quo constitutionnel est privilégié par 66 % des francophones qui se perçoivent comme étant d'abord ou seulement canadiens, ainsi que par une très forte proportion de Québécois non francophones qui ont une identité duale (74 %) ou canadienne (92 %).
Pourtant, les Québécois adhèrent à certains éléments du Canada de 1982, nommément les dispositions relatives au bilinguisme (90 %) et au multiculturalisme (68 % pour tous les répondants et 64 % pour les francophones). Toutefois, les Québécois francophones rejettent à 69 % l'interprétation des droits individuels inscrits dans la Charte qui aurait pour effet de diminuer les pouvoirs du Québec en matière de langue et de culture.
En bout de piste, les données de ce sondage confirment l'impasse dans laquelle se trouve l'enjeu de la réforme constitutionnelle. Trente ans après le rapatriement, 58 % des Québécois et 64 % des répondants du reste du Canada s'entendent sur le fait qu'aucun changement constitutionnel ne pourra satisfaire le Québec. À moins d'un revirement de situation imprévisible, l'idée de voir le caractère national du Québec enchâssé dans la Constitution oppose clairement une majorité de Québécois au reste du Canada, tout comme celle de voir les pouvoirs de l'Assemblée nationale s'accroître. La voie d'une réforme constitutionnelle mutuellement satisfaisante semble pour l'instant bloquée. On comprend pourquoi les politiciens «fédéralistes» qui lisent et interprètent l'évolution de l'humeur de l'électorat à travers les sondages évitent cet enjeu inextricable.
Le rapatriement a laissé de profondes plaies qui ne sont pas à la veille de se cicatriser. D'où les stratégies qui promeuvent l'amnésie collective (on ne parle plus de Constitution parce que «le fruit n'est pas mûr»), ou bien qui mettent l'accent sur la possibilité de réformer le fédéralisme sans passer par la voie constitutionnelle ou encore qui cherchent à minimiser l'importance de la non-adhésion du Québec à la Loi constitutionnelle de 1982. Peu importe la voie privilégiée, le Canada de 1982 reste une oeuvre incomplète et sa légitimité demeurera fortement entachée parmi les francophones québécois.
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François Rocher, professeur titulaire à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa


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