La Cour Suprême et la loi 104

Coup de poignard contre la majorité francophone

Loi 104 - Les écoles passerelles - réplique à la Cour suprême

Au jugement de la Cour suprême au sujet du droit à l'instruction dans la langue de la minorité, on a surtout retenu que les amendements à la Charte de la langue française (CLF), adoptés en 2002 par l'Assemblée nationale, qui visaient à limiter le recours à des «écoles passerelles», ou des écoles privées non subventionnées, pour permettre l'accès au réseau scolaire public ou privé de langue anglaise, ont été jugés inconstitutionnels et contraires à l'article 23(b) de la Charte canadienne des droits et libertés.
La Cour, tout en ne contestant pas les buts de ces amendements, juge que les mesures adoptées sont excessives par rapport aux objectifs. Elle invalide donc les articles 73(2) et 73(3) de la CLF.
Une incompréhension
J'ai eu beau lire et relire ces deux articles, il n'y est pas fait mention de la distinction entre le caractère public ou privé de l'établissement d'enseignement que les parents ou les enfants ont fréquenté. C'est plutôt à la suite de l'alinéa 5 que la CLF précise qu'il n'est pas tenu compte de l'enseignement en anglais reçu au Québec dans un établissement privé non subventionné.
La Cour n'explique pas pourquoi elle juge inconstitutionnels les deux alinéas qui ne font qu'indiquer que pour avoir accès à l'école anglaise il faut que l'un des parents, ou l'un des frères ou soeurs, ait reçu «la majeure partie» de son enseignement en anglais dans le parcours scolaire au primaire ou au secondaire.
C'est sur cette disposition que la Cour suprême s'était prononcée dans l'arrêt Solski en 2005 pour conclure à la constitutionnalité des articles qui sont aujourd'hui invalidés. Dans cet arrêt, la Cour indiquait que l'on devait plutôt interpréter de manière qualitative l'adjectif «majeure». Elle précisait aussi que l'on devait tenir compte du temps passé dans une école anglaise privée non subventionnée. Le jugement que la Cour vient de rendre aurait normalement dû porter sur la clause interprétative de l'article 73 au lieu de déclarer inconstitutionnels les articles 73(2) et 73(3).
Constitutionnaliser une astuce
Au-delà de cette incompréhension, le jugement est lourd de conséquences puisqu'il déclare inconstitutionnels les correctifs apportés par l'Assemblée législative visant à empêcher le détour par des écoles privées non subventionnées pour avoir accès à l'enseignement en langue anglaise.
La Cour reconnaît d'ailleurs que ceux qui contestaient la CLF n'avaient reçu aucun enseignement en langue anglaise au Canada et que, par conséquent, ils ne satisfaisaient pas aux critères de la Charte canadienne pour que leurs enfants puissent être admis dans les écoles anglophones du Québec. Néanmoins, ils avaient inscrit leurs enfants dans une école privée non subventionnée pour ensuite demander que leurs enfants soient admissibles à l'enseignement public ou subventionné en anglais (par. 9).
Manifestement, ils ont eu recours à une «astuce» afin de contourner aussi bien la CLF que la Charte canadienne. Cela me semble aller à l'encontre aussi bien de l'esprit que de la lettre des deux chartes.
Mais la Cour est peu sensible à cette réalité, bien qu'elle rappelle que l'article 23 «vise particulièrement les communautés linguistiques minoritaires dans l'ensemble du Canada», à savoir la minorité anglophone du Québec et les minorités francophones ailleurs au Canada (par. 25). Toutefois, elle a adopté une interprétation large et libérale de la Charte, de telle sorte qu'il lui importe peu que les parents aient eu le droit d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise dans la mesure où, selon elle, l'article 23 «vise la langue d'instruction de l'enfant, plutôt que celle des parents, bien que ces derniers demeurent en définitive les titulaires des droits garantis» (par. 24).
En d'autres mots, peut-être que les parents n'avaient pas le droit d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, mais en en faisant un détour par les écoles non subventionnées, ils ont permis à leurs enfants d'obtenir un droit qui leur est reconnu par la Charte canadienne.
Il est donc possible de faire indirectement ce qui leur serait directement interdit. Ce faisant, c'est l'intention initiale des législateurs, à savoir permettre l'enseignement en anglais pour les enfants issus de la minorité linguistique anglophone du Québec, qui est remise en cause. Cette décision doit être dénoncée sur toutes les tribunes puisqu'elle vient porter un coup de poignard à l'une des dispositions les plus importantes de la Charte de la langue française.
Acheter un droit perpétuel
Une fois ce droit acquis pour l'enfant, il ne reste plus à la Cour qu'à s'assurer que cette astuce soit encadrée. On revient donc à l'arrêt Solski et à l'évaluation qualitative de la signification à donner à la notion «majeure partie» de l'enseignement en anglais.
En dépit du fait que la Cour reconnaisse que le développement d'écoles passerelles «pourrait devenir éventuellement un mécanisme permettant de manière quasi automatique de contourner les dispositions de la CLF» (par. 43), c'est bien cette dynamique qui est maintenant encouragée par la Cour suprême du Canada. Ce sera maintenant aux fonctionnaires du ministère de l'Éducation d'évaluer le temps passé dans chaque programme, l'étape des études à laquelle le choix de la langue d'instruction a été fait, les programmes qui sont offerts ou qui l'étaient dans ces établissements et l'existence ou non de problèmes d'apprentissage ou d'autres difficultés.
Ce sera peut-être plus long que du temps des «écoles passerelles», sûrement plus onéreux pour les parents qui veulent contourner la CLF, mais ce sera tout à fait constitutionnel. Ce n'est, ni plus ni moins, que le retour au libre choix pour ceux qui, francophones ou allophones, voudront y mettre le prix.
Il est inutile de revenir sur les motifs ayant entouré l'adoption de l'article 23 de la Charte canadienne qui visait, pour l'essentiel, à réduire la portée d'une des plus importantes dispositions de la CLF. La Cour suprême poursuit cette oeuvre et nous rappelle qu'au Québec, c'est le régime linguistique canadien qui prévaut, avec une vision individuelle des droits qui tend systématiquement à mettre de côté leur caractère collectif.
Cela démontre, une fois de plus, qu'il est difficile de plaider en faveur de la Charte de la langue française devant les tribunaux canadiens. Cela démontre surtout que l'on ne saurait compter sur la Cour suprême du Canada qui se montre insensible au destin de la majorité francophone du Québec.
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François Rocher, Professeur titulaire à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa


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