La lutte contre le crime organisé essuie un dur coup

Un enquêteur affecté à l’opération «SharQc» vendait des informations aux Hells

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La pieuvre plonge ses tentacules au coeur de la police

Hollywood n’aurait pas imaginé un scénario aussi tordu. L’un des principaux enquêteurs de l’opération « SharQc », Benoit Roberge, travaillait d’arrache-pied à faire condamner les Hells Angels impliqués dans la guerre des motards… tout en leur vendant des informations pour ruiner les enquêtes à venir.

Son arrestation cause une commotion, dont le système judiciaire ne prend pas encore la pleine mesure. Accusé deux fois de gangstérisme, d’entrave à la justice et d’abus de confiance, l’ex-enquêteur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) compromet les chances de succès des deux mégaprocès issus de l’opération « SharQc ». La Couronne devra se passer de ses services. La défense ne se gênera paspour réclamer l’arrêt des procédures ou, à défaut, l’exclusion de témoins délateurs. « Il ne sera plus utilisable dans les procès. On devra trouver un nouveau témoin expert. Ça va compliquer encore plus les procès », dit une source proche des mégaprocès.

Comme si le dossier n’était pas assez délicat, l’épouse de M. Roberge, Nancy Potvin, est procureure au Bureau de lutte au crime organisé (BLACO). Elle a notamment été impliquée dans le projet « Loquace », sur un réseau d’importateurs et de distributeurs de cocaïne formé de membres et associés des… Hells Angels.

Mme Potvin a interrompu ses vacances pour revenir d’urgence à Montréal lundi soir. Le porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), René Verret, est avare de commentaires sur son statut. « Des mesures de sécurité » ont été prises à l’interne pour « préserver l’intégrité de l’institution », a-t-il dit. Il refuse même de fournir le nom du supérieur hiérarchique qui devra évaluer le dossier de Me Potvin.

Celle-ci n’est pas visée par cette enquête, qui réserverait encore de mauvaises surprises. Selon nos sources, des policiers de la Sûreté du Québec (SQ) pourraient devoir répondre de leurs gestes dans cette affaire.

À la solde des Hells

Selon des informations obtenues par Radio-Canada et TVA, Benoit Roberge aurait donné des informations à René Charlebois, un membre en règle des Nomads, sur les enquêtes en cours et les techniques utilisées par les policiers. Leur collaboration remonterait à janvier 2010.

René Charlebois et Benoit Roberge se sont croisés dans le mégaprocès issu de l’opération « printemps 2001 ». M. Roberge était à l’époque le contrôleur d’un agent source qui s’est suicidé avant son témoignage, Dany Kane. Celui-ci était parvenu à infiltrer les Rockers (club-école des Hells Angels Nomads), en filmant même leurs réunions.

Charlebois a été condamné à une lourde peine de pénitencier pour trafic de drogue, complot pour meurtre et gangstérisme à la suite de son procès. En 2004, il a écopé d’une deuxième peine de prison à vie pour le meurtre de l’agent source Claude DeSerres.

Il s’est évadé du pénitencier de Mont-Saint-François le 14 septembre dernier, à deux ans et demi de sa date d’admissibilité à une libération conditionnelle. Sa cavale a pris fin le 26 septembre. Il s’est suicidé dans un chalet, au terme d’une courte confrontation avec les policiers.

L’enquête sur Benoit Roberge a commencé après la mort de Charlebois, selon nos informations.

Un cas de gangstérisme

Vêtu d’un t-shirt vert, l’air préoccupé, l’accusé de 50 ans a comparu brièvement au palais de justice de Montréal, lundi après-midi. Il a été arrêté par le Groupe tactique d’intervention, samedi soir à Brossard, en compagnie d’une relation des Hells Angels.

La salle d’audience était bondée, ce qui témoigne de l’intérêt élevé des médias pour l’affaire. Son enquête sur remise en liberté a été fixée au jeudi 10 octobre prochain. D’ici là, il restera détenu.

Quatre chefs d’accusation ont été déposés contre lui : avoir participé aux activités d’un gang (article 467.11 du Code criminel), avoir commis des infractions au profit d’un gang (467.12), entrave à la justice et abus de confiance. À elles seules les deux accusations de gangstérisme sont passibles de peines maximales de 5 ans et de 14 ans de pénitencier.

Le porte-parole de la SQ, Michel Forget, a commenté l’arrestation de Benoit Roberge en matinée. « Le message est clair : toute infiltration des enquêtes criminelles sera réprimée », a-t-il dit.

Ni la Fraternité des policiers de Montréal ni l’état major du SPVM n’ont voulu commenter cette arrestation. Benoit Roberge a quitté le SPVM en mars dernier, bien que son départ ait été officialisé en août.

Au cours des dix dernières années, il a été prêté par le SPVM à l’Escouade régionale mixte de Montréal (ERM). Auparavant, il s’était fait les dents au sein de l’escouade Carcajou, chargée de réprimer la première phase de la guerre des motards, au milieu des années 90.

M. Roberge est un proche des enquêteurs de la SQ Gaétan Legault et Hugo Blackburn. Leurs méthodes dans l’encadrement des délateurs ont été sérieusement remises en question par des avocats de la défense, sans que la justice donne suite à leurs récriminations.

Depuis sa retraite, M. Roberge était chef du Service de renseignement pour Revenu Québec. Il a été provisoirement relevé de ses fonctions. Revenu Québec a offert sa pleine collaboration aux enquêteurs. M. Roberge a été recruté à Revenu Québec par Yves Trudel, un ancien officier de la SQ qui a travaillé au sein de Carcajou.


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