La laïcité de l'État et croyances religieuses

Laïcité — débat québécois



Le récent débat sur le niqab a mis en lumière la confusion qui existe, au Québec, dans l’analyse de cette question : pour expliquer son point de vue, on a parlé de société pluraliste, de laïcité ouverte ou stricte, de neutralité publique, d’interculturalisme, etc. Tenons-nous en, pour essayer d’y voir clair, au débat entre les exigences de la laïcité de l’État et celles du respect des croyances religieuses.
La laïcité de l’État concerne les institutions publiques et leur fonctionnement. Elle se fonde sur la séparation entre l’Église et l’État et vise à ce que, d’une part, celui-ci soit pleinement autonome à l’égard des instances et des pratiques religieuses et que, d’autre part, la force publique ne favorise aucune religion. Historiquement, le Québec n’a jamais été un État complètement laïque même si, depuis la Révolution tranquille, il a évolué dans ce sens. Mais il y aurait encore plusieurs gestes à poser pour compléter cette évolution : il faudrait notamment remettre en question la reconnaissance du mariage religieux, l’acceptation du serment au lieu de la déclaration solennelle, le subventionnement des écoles religieuses, l’existence du droit paroissial et du pouvoir des évêques de constituer des sociétés civiles, sans parler de la présence du crucifix dans les tribunaux, les salles municipales et à l’Assemblée nationale. Par contre, la laïcité de l’État, en soi, a peu à voir avec le port du niqab ou de tout autre signe religieux par les citoyens québécois, si ce n’est dans l’exercice d’une fonction publique. On peut, en effet, considérer, bien que ce soit contestable, que la laïcité de l’État exige que ceux qui le représentent ne puissent s’identifier à une religion particulière. Il serait donc souhaitable, pour régler cette question, que la loi québécoise définisse clairement quels sont les représentants de l’État qui doivent s’abstenir de manifester leur appartenance religieuse par des signes extérieurs (juges? policiers? fonctionnaires faisant affaires avec le public? enseignants ? ou autres?). Mais pour le reste, le port du niqab par des citoyennes québécoises ne concerne en rien la laïcité de l’État québécois.
Venons-en maintenant au respect des croyances religieuses. Posons d’abord comme principe que ce n’est pas parce qu’une pratique est prescrite ou encouragée par une religion qu’elle doit nécessairement être acceptée par l’État. Au contraire, certaines de nos prescriptions légales et certaines de nos valeurs fondamentales l’emportent incontestablement sur toute croyance ou pratique religieuse. On pense, par exemple, à la polygamie qui est défendue par notre Code criminel. On pense également à l’excision ou à la fibulation qui sont également contraires à nos lois. On pense aussi à la non-reconnaissance des tribunaux religieux en matière de relations familiales ou sociales. Toutes matières qui sont encouragées, voire même prescrites, par certaines religions, mais qui ne sont pas acceptées chez nous. Par contre, même si elle est également une mutilation imposée qui devrait normalement soulever de sérieuses interrogations, la circoncision de jeunes enfants mâles est permise.
Qu’en est-il donc du port du niqab ? S’il doit être défendu au Québec, ce n’est pas parce que le Québec serait un État laïque, mais parce que cette pratique contreviendrait à une de nos lois ou de nos valeurs fondamentales. Est-ce le cas ? Personnellement, je crois que oui parce que cette pratique est contraire à la recherche de l’égalité entre les hommes et les femmes qui est devenue, chez nous, un des accomplissements majeurs et des fondements de notre vie en société et qui est reconnue par nos Chartes. La femme québécoise n’a pas toujours été l’égale de son pendant masculin : par exemple, elle n’a acquis le droit de vote qu’en 1940, le droit de pratique juridique qu’en 1941, la pleine capacité civile qu’en 1964, la capacité d’être jurée qu’en 1971, l’autorité parentale qu’en 1977, le droit à l’avortement qu’en 1988, et la parité salariale qu’en 1996. Cette égalité de droit, d’ailleurs, n’est pas encore devenue une égalité de fait dans plusieurs domaines, notamment dans la direction des grandes entreprises. Mais les Québécoises sont fières des progrès accomplis et personne ne voudrait revenir en arrière. C’est pourquoi toute manifestation publique d’une pratique comme le port du niqab qui est clairement discriminatoire à l’égard de l’égalité de la femme devrait être proscrite, non seulement à l’école mais également dans tout lieu public. Nous avons le droit, comme Québécois, de dire à tous que nous ne tolérons aucune manifestation publique d’un asservissement ou rabaissement de la femme, quels qu’en soient les motifs, religieux ou autres. Le Québec devrait d’ailleurs inscrire une telle prohibition dans sa loi dès qu’il aura pu récupérer sa juridiction sur le droit criminel.
Ces considérations valent-elles pour le port du hijab, ou voile islamique ? Tout dépend du jugement que l’on porte sur le degré d’asservissement de la femme que cette pratique implique. On peut soutenir que, au Québec, le port du hijab par une femme adulte a de bonnes chances d’être volontaire et de ne pas être un signe d’asservissement. Il peut, cependant, en être autrement des toutes jeunes filles auxquelles les parents pourraient ne pas laisser d’autres choix. C’est pourquoi on peut justifier la défense de porter le voile aux écolières du primaire et du secondaire. Cela, dans le but de leur permettre, ensuite, de prendre par elles-mêmes la décision de porter ou non le hijab.
Pour le reste, il me semble que les Québécoises et Québécois devraient être libres de porter publiquement, s’ils le souhaitent, tout habit religieux ou tout appareil vestimentaire ou signe extérieur manifestant leurs convictions religieuses.


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