La guillotine de Philippe Couillard

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N'est pas révolutionnaire qui veut

Quand nous discutons de politique ensemble, ce qui arrive très souvent, mon jeune frère, depuis quelques mois, ramène toujours la même question sur le tapis : quelles sont, exactement, les motivations de Philippe Couillard ? Depuis l’élection de ce dernier, le 7 avril 2014, nous n’entendons plus parler que de compressions. Or couper, comme on dit pour aller vite, ne peut pas constituer un programme politique valable. Bien gérer les finances publiques est certes un devoir pour un élu, mais un premier ministre ne peut pas, insiste à raison mon frère, se contenter d’avoir une telle mission terre à terre comme idéal. Que cherche, alors, notre nouveau premier ministre ? Pour essayer de trouver réponse à cette difficile question, j’ai lu Philippe Couillard. La naissance d’un chef, un portrait du politicien signé par le journaliste Alec Castonguay, anciennement du Devoir et maintenant à L’actualité.
Bienveillant à l’égard du premier ministre qu’il a suivi de près pendant la course à la chefferie du Parti libéral du Québec, d’octobre 2012 à mars 2013, et pendant la campagne électorale de 2014, Castonguay ne cite aucune source hostile à Philippe Couillard. Pour faire connaître l’homme, il lui laisse la parole, ainsi qu’à ses proches. Aussi n’apprenons-nous rien de nouveau, dans ce livre, sur les liens entre Couillard et Arthur Porter, sur le compte bancaire dans un paradis fiscal qu’a détenu le médecin québécois alors qu’il pratiquait en Arabie saoudite ou sur ses négociations, en 2008, pour se faire embaucher par une firme privée du domaine de la santé, alors qu’il était encore ministre. Rien de grave, laisse dire Castonguay à celui qu’il qualifie d’« homme calme et idéaliste ». C’est peut-être le cas, mais c’est un peu court.

L’ours au pouvoir

N’y a-t-il donc rien à tirer de cet ouvrage à la limite de la complaisance ? Cette conclusion serait injuste. Ce livre contient peut-être, en fait, la clé de l’engagement politique de Philippe Couillard, échappée au milieu du portrait chaleureux d’un homme méconnu.

Fils d’un « fier libéral » qui était professeur de biologie à l’Université de Montréal (UdeM) et d’une géographe d’origine française favorable aux idées indépendantistes de Bourgault dans les années 1960, père de trois enfants dans la vingtaine — une avocate, un étudiant en médecine et un officier des Forces canadiennes —, Philippe Couillard, nous rappelle Castonguay, a été admis en médecine, à l’UdeM, à 17 ans et a obtenu son diplôme à 22 ans, avant de se spécialiser en neurochirurgie. C’est un solitaire, surnommé « l’ours », qui aime citer Hugo et Racine et placer des phrases en latin dans les courriels qu’il échange avec le Dr Juan Roberto Iglesias, l’ami qu’il a nommé secrétaire général du gouvernement.

Couche-tôt et lève-tôt, le premier ministre n’est pas croyant et ne suit plus le hockey des Canadiens de Montréal depuis que cette équipe compte peu de joueurs québécois. Répugné par le « lançage de boue » en politique, il refuse de jouer à ce jeu. « Les attaques personnelles, non merci », dit-il. C’est à son honneur.

Pour être intéressantes, ces informations ne nous donnent cependant pas la clé que l’on cherche et qui nous ferait comprendre ce qui anime Philippe Couillard. Dans Le Devoir du 6 octobre 2014, Antoine Robitaille, en éditorial, révélait que « la bible de Philippe Couillard » était The Fourth Revolution : The Global Race to Reinvent the State (Penguin Press), un essai récent de deux des patrons de la revue The Economist qui plaide pour un État « maigre ». Ce serait donc ça, « les idées » auxquelles se réfère sans cesse le premier ministre. L’idée, en fait : réduire la taille de l’État.

La clé

Or, dans son portrait, Alec Castonguay révèle, pour sa part, que Couillard est fasciné par l’Empire français sous Napoléon Bonaparte et, voici la clé, par la guillotine, dont il est « un spécialiste » ! Au début des années 1990, alors qu’il est neurochirurgien en Arabie saoudite dans un centre médical mis sur pied par une entreprise pétrolière, Couillard est membre d’un club d’histoire, dans le cadre duquel il présente une conférence sur la guillotine, une machine promue par un médecin français. Eh oui ! Sa conférence sera si populaire que l’historien amateur sera invité à la reprendre devant 200 soldats ingénieurs américains, en poste en Arabie saoudite, un pays qui applique encore la peine de mort. Ça ne s’invente pas, comme on dit.

« Une société qui codifie la mise à mort, qui l’inflige à ses citoyens, mais qui ostracise ceux qui exécutent cette tâche, c’est un phénomène intéressant », dit Philippe Couillard pour expliquer sa fascination pour cette affaire, révélatrice, continue-t-il, des « contradictions de l’humain ». Deux minutes de réflexion psychanalytique suffisent, il me semble, pour comprendre ce qui se dit aussi — le sens caché — dans cette formule : une société qui vote pour sa mise à mort symbolique, économique et sociale, qui l’inflige à ses citoyens, mais qui ostracise ceux qui exécutent cette tâche, c’est un phénomène bien québécois.

Bourreau de la social-démocratie québécoise (pour équilibrer le budget, il ne compte que sur les compressions, jamais sur l’augmentation des revenus de l’État par les impôts) et du projet national québécois (il a évoqué la Constitution, avant de décréter qu’il n’en serait plus question), Philippe Couillard craint-il que son utilisation intempestive de la guillotine de l’austérité se retourne contre lui et ses troupes ?


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