Agences de notation

La grogne gagne la banque centrale et l'OCDE

Crise de l'euro




La dénonciation des agences de notation n'est plus que de la rhétorique politique européenne. Les rangs des accusateurs se sont élargis hier pour inclure la Banque centrale européenne (BCE), mais aussi pour englober l'ensemble des pays industrialisés, par la bouche du secrétaire général adjoint de l'OCDE. Les agences sont accusées d'alimenter la crise par une décote préventive, voire de l'aggraver par des jugements a priori. Leur oligopole reste dans la mire des gouvernements européens.
Mercredi, les dirigeants européens ont, dans une rare unanimité, dénoncé l'action déstabilisatrice des agences de notation. Réagissant à la dégradation spectaculaire du Portugal par l'agence Moody's, qui a ramené la cote du pays au rang des obligations de pacotille, les Européens ont qualifié le geste d'«insultant», d'«irrationnel», d'«illogique», d'«indécent», d'«immoral», de «criminel». Tant pour l'Allemagne, pour la Grèce, pour le Portugal, pour la France que pour l'exécutif de l'Union européenne, le temps est venu de «briser l'oligopole des agences de notation» et de «limiter leur influence».
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a été plus loin en accusant ces agences d'encourager la spéculation au sein de la zone euro et il a menacé de sévir contre elles. L'idée de créer une agence européenne aux côtés des S&P, Moody's et Fitch a été renforcée.
Le clan des dénonciateurs s'est élargi hier pour englober la Banque centrale européenne et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Sortant de sa traditionnelle neutralité, le président de la BCE a joint sa voix aux critiques hier, lors d'une conférence de presse annonçant une nouvelle hausse du taux directeur de la banque centrale. «Il est clair qu'il y a, dans le fonctionnement des agences de notation de crédit, un élément de procyclicalité qui n'est pas optimal, a dit Jean-Claude Trichet. Il est également clair qu'une structure de petit oligopole n'est pas [...] désirable au niveau de la finance mondiale.»
Cette remise en question du rôle des agences déborde désormais du cadre de la zone euro. Pour l'OCDE, il est devenu sans équivoque que les agences «aggravent la crise», en produisant des «prophéties» qui s'«autoréalisent», a dénoncé le secrétaire général adjoint et chef économiste de l'OCDE, Pier Carlo Padoan.
Le responsable de l'organisation représentant les pays industrialisés en a rajouté dans une entrevue publiée par un quotidien italien. «Ce n'est pas vrai qu'elles transmettent des informations: elles expriment des jugements, entraînant une accélération de tendances déjà à l'oeuvre. C'est comme pousser quelqu'un qui est au bord d'un ravin. Elles aggravent la crise.»
M. Padoan de souligner, à larges traits: «Les pays ont besoin de temps pour que les plans d'assainissement produisent leurs effets, que les économies recommencent à croître, que les taux baissent. Les marchés réagissent en revanche au jour le jour, ils ont un horizon rapproché et ne semblent pas croire à ces politiques.»
Il estime que «l'euro n'est pas en danger» et se dit «convaincu que la crise se résoudra avec un renforcement des institutions européennes».
Faisant la sourde oreille au plan d'austérité annoncé par le Portugal, Moody's a abaissé de quatre crans la cote de ce pays, estimant qu'il aura besoin d'un deuxième plan d'aide avant de pouvoir revenir sur les marchés d'emprunt. Cette nouvelle cote reléguait le Portugal au même rang que celui de la Grèce, dans la catégorie spéculative, rendant prohibitif son coût de financement et celui de l'assurance inhérente.
Ce qui a amené la France à se joindre au mouvement de protestation. «Le gouvernement portugais a pris des mesures de redressement extrêmement courageuses», a déclaré la porte-parole du gouvernement français, Valérie Pécresse. «Il faut surtout laisser le Portugal travailler et ne pas porter des jugements hâtifs sur la situation portugaise qui risqueraient de compromettre ce plan de redressement.»
«La France considère que l'effort de régulation des agences de notation, qui a démarré en 2008, doit se poursuivre, et c'est dans cette direction que nous allons oeuvrer», a-t-elle renchéri.
Moody's persiste et signe
Faisant fi de ces accusations, Moody's a plutôt attisé le feu hier en annonçant une baisse de la cote sur la dette, garantie par le gouvernement, de quatre banques portugaises. Moody's a diminué de trois niveaux la cote sur la dette, garantie par le gouvernement, de Caixa Geral de Depositos (CGD) et de la banque BES, de Baa1 à Ba1, tandis que les banques privées Millennium BCP et Banif ont perdu quatre niveaux, passant de Baa1 à Ba2.
Critiquée la veille pour avoir prévenu que le plan concocté avec le secteur privé pour venir en aide à la Grèce pourrait s'apparenter à une situation de défaut, l'agence S&P s'est pour sa part défendue d'appliquer à la Grèce des critères extrêmement sévères. «Ces allégations n'ont aucun fondement et sont factuellement fausses. Elles reposent soit sur la méconnaissance des faits, soit sur des motivations politiques qui négligent ces fait», a répondu Torsten Hinrichs, directeur de S&P pour l'Allemagne.
«Nous n'avons pas rejeté le plan lui-même, nous avons fait un commentaire sur la façon dont Standard & Poor's réagirait aujourd'hui sur la base des informations connues. C'était un commentaire purement hypothétique puisque, comme vous le dites, le plan final n'a pas encore été adopté», a-t-il répliqué à l'un des membres du conseil de la BCE.
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Avec Reuters


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