La dictature de la cote

La guerre est ouverte entre l'Europe et les agences de notation.

Crise de l'euro


Elles chantent avec les sirènes et hurlent avec les loups, dit-on de ces agences de notation. On accuse les Standard and Poor's, Moody's et Fitch d'être à l'origine de la crise de 2008 pour leur triple A accolé largement aux subprimes. On les accuse aujourd'hui de vouloir provoquer une crise de la dette souveraine, voire de fomenter la dislocation de la zone euro. Et dire que, dans cette grande dénonciation, la première loge est occupée par l'Allemagne et la Banque centrale européenne, soit les deux grandes responsables de cette crise politico-financière qui s'enlise depuis plus d'un an.
La guerre est ouverte entre l'Europe et les agences de notation. On accuse le quasi-monopole que constituent les S&P, Moody's et Fitch, trônant sur 85 % du marché de l'évaluation des titres, de provoquer la crise de la dette souveraine par une décote devenue préventive. On va même jusqu'à soupçonner cet oligopole anglo-saxon (Fitch est de propriété française, mais ses analystes sont à Londres et à New York) d'agir selon un programme anti-euro. Mais quant à l'impact de l'intransigeance allemande et de la rigueur de la BCE dans cette crise qui perdure depuis plus d'un an...
Les agences de notation n'ont pas le beau rôle et elles ont le pouvoir que les marchés et les législateurs leur ont reconnu au fil des ans. Elles n'ont pas vu venir les crises monétaires d'Amérique latine et d'Asie durant les années 1990. Elles ont fait preuve de complaisance envers Enron avant l'effondrement du géant de l'énergie, au début de 2000. Sans compter qu'elles n'ont pu pressentir l'éclatement de la bulle Internet. Et qu'elles ont contribué (à défaut de l'avoir provoqué) à l'éclatement de la pire crise financière depuis la Grande Dépression avec leur cote AAA accordée aveuglément aux subprimes et à des institutions financières qui, à l'instar d'AIG, abritaient un portefeuille parfois colossal de produits toxiques.
«Il ne faut pas trop croire ce que disent les agences de notation», avait résumé Dominique Strauss-Kahn lorsqu'il dirigeait le FMI. Après tout, ces agences appliquent une logique d'agence, aujourd'hui comme hier. Ce qui les amène à surévaluer la note des entreprises et des organismes lorsque le climat est favorable, à amplifier la crise et à attiser ses effets par leur décote lorsque la conjoncture devient défavorable. Cette lacune en matière d'anticipation a été particulièrement remarquée au cours de l'euphorie immobilière ayant précédé la crise de 2008. Elle a été dénoncée avec virulence, particulièrement par les États européens. Mais de là à croire que ces agences se montrent aujourd'hui revanchardes à l'égard de ces mêmes États aux prises avec un dérapage de l'endettement public...
Au demeurant, on peut arguer que ces gouvernements qui subissent aujourd'hui la décote sont ces mêmes gouvernements qui, hier, courtisaient ces agences dans l'expectative d'un tripe A. Quelqu'un a déjà rappelé qu'en 2001, lorsque Goldman Sachs avait concocté un produit dérivé maquillant la dette d'une Grèce déjà surendettée, ce montage financier avait reçu de Moody's la note la plus élevée.
Il est aujourd'hui reproché aux agences leur prudence extrême et leur décote préventive. D'agir a priori sur la base d'une information fragmentaire, comme cet avertissement d'un risque de défaut de la Grèce lancé par S&P sur la base d'un plan français de roulement des titres restant à peaufiner. Devant un tel reproche formulé par la BCE, l'agence new-yorkaise s'est défendue en disant: «Nous n'avons pas rejeté le plan en lui-même, nous avons fait un commentaire sur la façon dont Standard & Poor's réagirait aujourd'hui sur la base des informations connues. C'était un commentaire purement hypothétique puisque, comme vous le dites, le plan final n'a pas encore été adopté.»
On le voit, on joue sur les mots et on donne dans la rhétorique politique de part et d'autre, sur le dos des Grecs et des Portugais. Quant à la réplique sous la forme de la création d'une agence européenne de notation, elle se veut plutôt faible et difficile d'application. Déjà que les agences de notation sont présentées comme le maillon faible du système financier mondial; déjà qu'on reproche aux agences actuelles leur confit d'intérêts, sinon leur biais, face aux institutions, qui les paient pour annoter les titres qu'elles émettent. Une agence européenne statuant sur des titres européens n'aurait aucune crédibilité.
Mais derrière cette partie de bras de fer se cache une réalité. Celle de pays surendettés ne pouvant bénéficier d'un taux de change flexible, ni des leviers monétaires et de la planche à billets. Des pays forcés à l'austérité budgétaire par leurs pairs sans autres moyens ni possibilités d'émettre sur les marchés, les taux de financement et d'assurance étant devenus prohibitifs. Des pays rappelés à leur indiscipline passée par une Allemagne trônant au sein d'une union économique refusant de mutualiser les risques internes, par une BCE rejetant toute restructuration de la dette.
Cela aussi fait partie de la lecture des agences.


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