Le Monde
Julien Landfried, membre du Conseil scientifique de la Fondation ResPublica.Fondation Res Publica
Avec la mise en place de la monnaie unique, les partisans d'une Europe fédérale (qu'ils nomment "Europe politique") pensaient contraindre les Etats-nations à passer d'un mode de coordination intergouvernementale, qui prévalait dans le Système monétaire européen (SME), à une organisation fédérale, dont l'euro constituait la première marche.
En effet, lucides sur le caractère éminemment politique de la monnaie unique, et reconnaissant sans difficulté le caractère non optimal de la zone monétaire ainsi créée, ils estimaient que, par la force des choses, l'unification budgétaire succéderait à l'unification monétaire. Ainsi la politique monétaire, la politique de change et la politique budgétaire seraient-elles entre les mains d'institutions européennes fédérales.
La crise de l'euro offre à ses architectes une occasion inespérée de pousser leur avantage dans les classes dominantes, en appelant au grand saut vers le fédéralisme budgétaire. Ainsi de Jean-Pierre Jouyet déclarant : "Le fédéralisme va se faire. C'est cela ou le système saute". Ou d'Alain Minc, dans Le Journal du dimanche du 7 août : "Nous allons à marche forcée vers une gouvernance économique commune : mutualisation des dettes pour financer le FESF (Fonds européen de stabilité), règles budgétaires strictes." Certains évoquent déjà un superministre des finances européen, doté d'un pouvoir de substitution budgétaire pour les Etats qui ne suivraient pas assez consciencieusement les règles de Bruxelles.
Le gouvernement français et une bonne part des socialistes ne disent pas autre chose. La mise sous tutelle des politiques économiques nationales, rebaptisée "intégration européenne", serait le remède évident à la crise actuelle : eurobonds finançant les dettes des pays menacés de la zone euro, programmes d'austérité budgétaire réalisés sous le contrôle tatillon de la Commission européenne et préalablement constitutionnalisés.
La contrepartie démocratique de ce bond fédéraliste n'effraie pas outre mesure les partisans de l'"Europe politique", Jean-Pierre Jouyet suggérant sans équivoque, le 8 septembre sur BFM Business, la "mise sous tutelle" de la Grèce par les autorités européennes. Le prix à payer pour le maintien d'une construction monétaire bancale et mal conçue dès l'origine réside donc explicitement dans l'établissement d'une "Europe post-démocratique" ainsi que l'a nommée Hubert Védrine dans Le Monde daté 2 août.
Fédéralisme ou démocratie, il faudra donc choisir. A moins que…
Les gains purement comptables de ce fédéralisme à marche forcée sont moins qu'assurés. En effet, le stade avancé de la décomposition de la zone euro rend en effet d'ores et déjà caduque l'idée des eurobonds dont l'Allemagne ne veut pas, arguant à juste titre que cela reviendrait pour elle à "assurer" une dette de 3 400 milliards d'euros, supérieure à sa propre dette publique (2 000 milliards d'euros environ).
La mise en place de politiques budgétaires d'austérité aggrave le mal qu'elles prétendent combattre en asphyxiant la croissance et les recettes fiscales qui lui sont associées. La Grèce fournit en la matière un cas exemplaire qu'il n'était guère difficile d'anticiper.
MONÉTISATION MASSIVE
La seule solution encore existante et à la hauteur du tsunami qui se prépare est la monétisation massive de la dette publique des Etats fragilisés par la Banque centrale européenne. Celle-ci doit de toute urgence racheter directement les émissions de dette auprès des Etats (et non plus seulement sur le marché secondaire) et viser à très brève échéance une monétisation équivalente à celle réalisée par le Reserve Federal Board aux Etats-Unis (1 500 milliards de dollars).
Cette solution, évidente et partagée par de nombreux économistes, est pourtant éludée par les partisans de l'"Europe politique", qui la critiquent en raison de son caractère potentiellement inflationniste. Ainsi se dévoilent les préférences politiques primaires d'un courant de pensée qui aura plus que nul autre contribué à la crise actuelle : intolérance à l'inflation et aux mesures défavorables à la rente, acquiescement au contournement des principes démocratiques élémentaires.
L'Allemagne voudra-t-elle, en dépit de sa tradition historique et de sa démographie vieillissante, accepter la solution de la monétisation ? Dans la négative, il faudra envisager sérieusement le passage d'une monnaie unique à une monnaie commune, qui présenterait l'avantage de préserver un toit monétaire commun, favorable à la coordination, et de donner aux pays les plus affaiblis de la zone euro la possibilité de dévaluer et ainsi de rééquilibrer une économie européenne de plus en plus aspirée par le cœur industriel allemand.
Loin du rêve des fédéralistes, ce nouveau système monétaire européen aurait l'avantage de recentrer le projet européen sur les peuples. Infiniment plus souple que l'euro, il offrirait aux populations européennes un autre horizon que la soumission aux forces de la banque et de la finance. L'Europe n'en resterait pas moins l'Europe mais elle ne serait pas nécessairement déflationniste.
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