Le triomphe de Merkel

Et il y a encore, après tout ça, de doux hurluberlus qui rêvent de fédéralisme européen...

Crise de l'euro



Le disque dur qui nous tient lieu de mémoire possède-t-il assez de gigas pour se souvenir du ton triomphateur qu'avait adopté Nicolas Sarkozy en 2008? Revenant de Washington, le président, qui se démenait alors en pleine crise des subprimes, avait lâché une formule-choc. Il allait, disait-il, «refonder le capitalisme». Rien de moins! Se souvient-on aussi de ces temps immémoriaux où le même président se vantait d'avoir imposé à une Allemagne réticente la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF)?
C'est un ton nettement plus modeste que Nicolas Sarkozy a adopté hier au petit matin en sortant du sommet des pays membres de la zone euro. Et pour cause, ce sommet, qualifié un peu pompeusement de «sommet de la dernière chance», a vu la chancelière allemande Angela Merkel imposer à Nicolas Sarkozy pratiquement toutes ses volontés.
Certes, le président et la chancelière se présentent toujours en couple souriant devant la presse. Ils n'oublient jamais non plus d'échanger quelques amabilités de circonstance. Mais cette mise en scène ne trompe plus personne. Forte du soutien de son Parlement qui a discuté de chacune des mesures de sauvetage de l'euro, Merkel a su faire adopter l'une après l'autre ses propositions devant un Nicolas Sarkozy fragilisé de toutes parts.
C'est d'abord la chancelière qui a fixé le calendrier en fonction de ses propres exigences, notamment la consultation du Bundestag. La principale victoire de l'Allemagne tient dans le rejet de la proposition française visant à faire du FESF une banque capable de s'alimenter directement en fonds auprès de la Banque centrale européenne (BCE).
En recourant à la BCE, la France voulait éviter que ce nouvel effort destiné à soutenir les pays de la zone euro en difficulté ne pèse directement sur sa propre dette. Les fonds du FESF, dont la capacité a été augmentée à 1000 milliards d'euros, sont en effet garantis par les États de la zone euro, au premier titre l'Allemagne et la France. C'est pour cette même raison que Paris a aussi tenté de limiter la décote de la dette grecque sous les 50 %, afin de ne pas nuire aux banques françaises qu'elle pourrait ainsi être forcée de renflouer.
À ces deux propositions françaises, l'Allemagne a opposé une fin de non-recevoir. Pas question pour elle de permettre à la BCE de faire marcher la planche à billets comme le font pourtant les autres banques centrales du monde. Depuis les années 20, et la dévaluation à deux reprises de sa monnaie, l'Allemagne a une peur bleue de l'inflation. Sans compter qu'elle craint de devoir faire les frais d'une telle mesure ouvrant la porte à un endettement encore plus grand des pays les moins scrupuleux en la matière.
Au beau milieu de ces négociations, la France a été frappée de plein fouet par la décision de l'agence de notation Moody's de réexaminer sa cote de crédit triple A. Pas besoin d'être un stratège pour comprendre qu'en cette année d'élections, Nicolas Sarkozy pourrait devoir traîner ce boulet pendant toute la campagne électorale. À cause d'une dette qui est passée de 700 à 1650 milliards d'euros depuis 2007, la France ressemblait cette semaine à un joueur qui se présente sur le terrain de football avec une jambe dans le plâtre face à une Allemagne en superbe forme.
Le président français avait cru pouvoir convaincre le président de la BCE, son compatriote Jean-Claude Trichet. Mais ce dernier a vite compris que l'Allemagne et la France ne jouaient pas à armes égales. Or, la France ayant misé depuis le début de cette crise sur le seul couple Paris-Berlin, elle ne pouvait pas non plus compter sur d'éventuels alliés européens.
Cette nouvelle brouille franco-allemande n'est pourtant pas la première. Force est de constater que, malgré une solidarité de façade, la France et l'Allemagne adoptent de plus en plus souvent des positions opposées dans les domaines les plus divers. Lorsque Nicolas Sarkozy s'est entiché de libérer la Libye, Berlin a carrément refusé de soutenir, même passivement, l'initiative anglo-française. Elle s'est même abstenue lors du vote de la résolution 1973 à l'ONU.
De même, l'annonce par Berlin de la fermeture de tous ses réacteurs nucléaires d'ici 2022 (quitte à devoir reconstruire une dizaine de centrales au charbon!) annonce une véritable fracture au coeur de l'Europe en matière de politique énergétique. Or l'indépendance énergétique de l'Europe n'était-elle pas, il y a deux ans à peine, le chantier le plus prometteur de l'Union européenne?
On aura noté que, dans cette crise de l'euro, l'Allemagne a senti le besoin de réaffirmer sa souveraineté. La cour constitutionnelle de Karlsruhe a d'ailleurs rappelé que Berlin ne pouvait pas valider les mécanismes d'aide à la zone euro sans l'accord du Parlement. La presse a aussitôt fait remarquer que, si l'Allemagne devait s'avancer plus avant dans la construction européenne, elle devrait absolument modifier sa Constitution et consulter le peuple par référendum.
Il aura fallu la franchise du ministre des Affaires étrangères de la France, Alain Juppé, pour admettre hier que les deux pays étaient «rarement spontanément sur les mêmes intérêts». Et il y a encore, après tout ça, de doux hurluberlus qui rêvent de fédéralisme européen...


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