Lettre à mes amis de la classe,
D'une certaine façon, je ne suis pas fâché de voir que le gouvernement Charest-Beauchamp s'entête à ne pas entendre vos revendications. Je crois même que cela peut servir la cause étudiante dans le sens suivant.
Pourquoi ne profiteriez-vous pas de sa mauvaise foi pour vous radicaliser encore davantage et élargir la plate-forme de vos revendications jusqu'à la gratuité scolaire complète. Cela accroîtrait d'autant votre marge de manoeuvre s'il s'avérait, un jour, qu'il soit possible de négocier. Car, contrairement à ce que prétendent les économistes inféodés, la gratuité de l'enseignement supérieur se défend très bien, même dans le contexte nord-américain et, en particulier, au Québec.
Pour en débattre quelque peu, j'aimerais revenir sur l'élément le plus fallacieux de l'argumentaire bidon de la ministre Beauchamp. Sa cassette d'office vous répète pour vous en casser les oreilles qu'aller à l'université, c'est faire un placement personnel que vous faites, mieux encore, un investissement. Mais vous n'êtes pas dupes; vous avez eu tôt fait de briser ce miroir aux alouettes. Pour chacune, chacun d'entre vous, faire des études universitaires, c'est d'abord et avant tout se construire un gagne pain qui vous permettra d'asseoir aussi solidement que possible un régime et un mode de vie. Faudrait-il vous blâmer, voire vous pénaliser, de vouloir gagner votre vie dans les meilleures conditions possible, au meilleur de vos capacités ?
Si étudier à l'université peut-être considéré comme un investissement, ce n'est donc pas du tout dans le sens où l'entend la ministre qui n'y comprend rien, ou feint de n'y rien comprendre. Une formation universitaire, c'est un investissement d'abord et avant tout pour les employeurs, un investissement qu'ils devraient faire sur la tête de leurs futurs employés. Pourquoi pensez-vous que les entreprises les plus prospères emploient des diplômés d'université? Toutes choses étant égales par ailleurs, plus les employés sont instruits et formés, plus ils contribuent à la compétitivité de l'entreprise et, par voie de conséquence, à ses profits. Mais une formation universitaire, c'est un investissement aussi pour la société en général, un investissement qu'elle fait sur la tête de chacun, de chacune. Plus on est instruit, meilleur est le salaire. Meilleur est le salaire, plus le salarié garnira les coffres de l'État en impôts et en taxes de toutes sortes. L'État a donc tout avantage à pousser la scolarisation. Et meilleur est le salaire, plus grande sera la consommation, gage de prospérité des entreprises.
Le plan du gouvernement Charest, c'est de soutirer aux étudiants 332 M$ des 850 M$ que lui coûtent les universités (IRIS, mars 2012). Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour avancer qu'on pourrait facilement aller chercher ces sommes ailleurs que dans le gousset des étudiants, notamment dans les trois sources suivantes:1) éradiquer la collusion, la corruption, les contributions politiques illégales, les coulages et graissages de toutes sortes dans l'attribution des contrats;
2) par le truchement d'une concertation entre les états pour éviter le «shopping fiscal», taxer «ces riches qui ne paient pas d'impôts» (B. Alepin);
3) puisque la formation universitaire est un «investissement», selon la ministre, faire «investir» les entreprises dans la formation universitaire de leurs futurs employés en taxant les profits de celles qui emploient des diplômés d'université.
Jeudi dernier, vous avez prouvé au monde que vous étiez de l'espèce des citoyens et citoyennes difficiles à gouverner dans le sens le plus fort du terme. L'espoir m'est revenu d'une jeunesse qui ne se laisse pas tondre. Ce n'est qu'un début. Continuons...
Jusqu'à la gratuité totale,
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Antoine Baby, sociologue
Professeur émérite, Université Laval
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