Une ministre en flagrant délit d'accotement déraisonnable

Actualité québécoise


Il peut être utile, voire nécessaire, de revenir sur l'épisode de la fillette musulmane en classe maternelle à qui on a permis de porter un casque d'écoute antibruit pour qu'elle n'ait pas à entendre la musique et les chansons de sa classe. Sauf deux ou trois éditoriaux, les médias ont en effet traité la décision des autorités locales et la réaction de la ministre de l'Éducation comme un événement isolé, sans antécédent ni lendemain. On a dénoncé ou on a approuvé, puis on a tourné la page et on est passé à un autre appel.
Un des problèmes de l'indignation contemporaine est qu'elle est souvent mollassonne, sans objet et sans continuité. Elle ne fait pas peur. Pour cette raison, j'aimais mieux l'époque où nous contestions. «Contester» est un verbe transitif, qui a un objet, tandis que «s'indigner» n'est qu'un verbe pronominal.
Inquiétante continuité
Dans le cas présent, il ne s'agit pas d'un événement isolé; il s'agit d'un événement qui s'inscrit dans une continuité québécoise troublante et inquiétante. Il faut donc y revenir et l'insérer dans un urgent débat de société. Il faudra faire plus que s'en indigner; il faudra aussi s'insurger. En se rendant à l'opportuniste et irresponsable demande des parents de la fillette, les autorités locales ont fait preuve d'un grave manque de jugement et de discernement.
La Commission scolaire de Montréal a tout simplement pelleté le problème dans la cour de l'école et s'en est lavé les mains. La direction de l'école a abdiqué son rôle d'assurer l'intégration des nouveaux arrivants et a agi comme s'il n'existait pas une culture québécoise, qu'elle doit pourtant présenter et faire valoir auprès des gens qui choisissent de vivre ici.
Quant à la ministre Line Beauchamp, je n'hésite pas à dire que sa réaction témoigne d'une gouvernance myope totalement incapable de dégager la portée réelle d'un événement et de l'insérer dans une conjoncture qui, au demeurant, semble lui échapper complètement. Aucune envergure. Elle carbure au cas par cas. Une ministre prise en flagrant délit d'accotement déraisonnable.
Oreilles bouchées
Madame Beauchamp prétend qu'il serait impossible d'en arriver à baliser «afin d'obtenir une logique pour chacun des cas qui se présentent» (Le Devoir, 20 décembre 2011). Pourtant, madame, vous savez qu'on ne peut invoquer sa propre turpitude. Vous et vos pareils vous êtes vous-même bouché les oreilles, avec ou sans casque, aux appels de plus en plus nombreux lancés en faveur d'une laïcité totale de l'État, une laïcité affirmée, assumée et conséquente qui est précisément cette «logique» que vous cherchez, seule capable d'assurer, à l'échelle d'un pays, un pluralisme en santé.
Plus grave encore, cette réaction fait preuve de ce qui ne peut être autre chose qu'un mépris ou une ignorance des dispositions de la Loi sur l'instruction publique en ce qui concerne la mission de l'école québécoise. Marie-Andrée Chouinard, du Devoir, a déjà souligné l'illogisme de la position ministérielle qui prétend que la décision de l'école en question ne contrevient pas au programme. C'est incroyable, inconcevable, inimaginable et irresponsable! Et c'est notre ministre de l'Éducation, précisément gardienne du programme de l'école québécoise, qui tient de tels propos? Je n'en suis pas revenu encore et j'en fais des cauchemars la nuit. Comme disait l'autre: «Fermez les portes. On va l'attraper vivante!» Non, mais...
Contravention à la loi
Mais il y a pire! Car à tout cela s'ajoute le fait que cette position contrevient aussi à des dispositions essentielles de la Loi sur l'instruction publique. La ministre Beauchamp semble ignorer ou feint d'ignorer, pour mieux asseoir cette tolérance invertébrée typiquement québécoise, les dispositions de l'article 36 de cette loi, qui assigne à l'école la triple mission d'instruire, de qualifier et, dans le cas qui nous intéresse plus particulièrement, de socialiser l'élève.
Au niveau de la maternelle, la musique, les chansons et les comptines font donc partie du programme (instruire) et elles sont un puissant outil d'apprentissage du savoir-vivre ensemble (socialiser). Toute personne qui prétend le contraire n'est à l'évidence pas digne d'être ministre de l'Éducation.
Toute personne qui prétend que, en isolant de la sorte une enfant de la maternelle et en approuvant la décision en haut lieu, on convient d'un accommodement «raisonnable», eh bien cette personne n'a rien compris ni aux problèmes de construction d'une identité québécoise moderne, ni à celui d'une intégration bénéfique des nouveaux arrivants. Au train où vont les choses, nos décideurs ont tellement honte de ce que le Québec essaie de devenir depuis la Révolution tranquille et ils ont fait tellement de concessions ridicules, au nom d'une liberté religieuse dont on ne sait même plus ce qu'elle veut dire, qu'il sera bientôt trop tard pour faire marche arrière et pouvoir présenter aux gens de l'extérieur, dont nous avons tant besoin, un Québec consistant et attrayant.
La navrante, grotesque et burlesque farce des accommodements raisonnables me pousse à donner raison à Trudeau, ce que je n'ai jamais fait de ma vie. Peut-être ne sommes-nous en fin de compte que des «pleutres»?
En ce qui me concerne, ça ne peut plus durer. J'ai choisi le camp de l'avant-garde des indignés, celui des insurgés! Nous devons signifier à madame Beauchamp qu'elle n'a plus la confiance de la population.
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Antoine Baby - Sociologue et chercheur en éducation


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