La grandeur perdue

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Chassez le naturel, il reviendra au galop





Aujourd’hui, en ce 14 juillet, je veux souhaiter une excellente fête nationale à nos cousins français.


Pour nous, Québécois, la France a une importance très particulière.


Maurice Duplessis disait de nous que nous étions des Français améliorés. Une formule injuste, parce qu’aucune nation n’est supérieure à une autre. Les nations sont tout simplement différentes. Les Québécois sont de culture française, de mode de vie nord-américain et ont des institutions politiques britanniques.


Définir la très riche culture française est un exercice trop complexe et trop dangereux pour que je m’y risque. Nos différences avec les Français sont nombreuses, mais nous partageons aussi en partie un certain esprit français, moins portés sur la concurrence et l’individualisme anglo-saxons qui fondent le système économique mondial. Ici comme en France subsistent une volonté de défendre un modèle distinct où la solidarité sociale est centrale.


En contexte de mondialisation, la France reste attachée à la nation. Notre attachement à la France provient peut-être aussi d’une certaine volonté d’être comme eux. Notre tradition culturelle est riche mais beaucoup moins ancienne et ancrée que celle de France. Nous sommes par conséquent beaucoup plus fragiles. Nous n’avons rien, ici, qui ressemble au Musée du Louvre. Au Québec, nous devons appliquer des quotas sur la musique à la radio et nous battre pour que le doublage et le sous-titrage de films se fassent chez nous.


Notre rapport à la France est complexe depuis cette fameuse Conquête, vue comme une défaite ici et comme une victoire dans le reste du Canada. La perte de la Nouvelle-France demeure, dans notre imaginaire collectif, un abandon. « Les arpents de neige » de Voltaire, plusieurs l’ont de travers.


Au cours de la décennie 1960, les retrouvailles France-Québec se sont réalisées dans une double volonté de « reconquête », autant chez les Français que les Québécois. Alors que la France connaissait un affaiblissement croissant sur le plan mondial depuis Louis XIV, le Québec vivait sa Révolution tranquille et s’affirmait tout autant à l’intérieur du Canada qu’à l’international. C’est là que la doctrine Gérin-Lajoie a été pensée. C’est là que les délégations générales du Québec à l’étranger ont été créées. Le seul délégué général du Québec à l’étranger qui bénéficiait et qui bénéficie toujours d’un statut d’ambassadeur à part entière se trouve à Paris. Si c’est le cas, c’est parce que la France le voulait bien. Ce poste, d’ailleurs, a été occupé par des personnalités marquantes du développement des relations France-Québec comme Yves Michaud et Louise Beaudoin.


Le « Vive le Québec libre ! » du général de Gaulle à l’Hôtel-de-ville de Montréal en 1967, dont nous fêterons le cinquantième anniversaire dans quelques jours, a été fondamental. La France était en train de construire une véritable alternative au seul empire anglo-américain et envoyait le message que le Québec allait en être un acteur important, après des siècles d’oubli.


La France a maintenu cette volonté de constituer un bloc bien distinct, dans ses valeurs, du monde anglo-américain. C’est pourquoi, en 2003, la France de Jacques Chirac a assumé son leadership s’est fermement opposée à la guerre en Irak en 2003. L’opposition a aussi été très forte au Québec, où le nombre de manifestants était beaucoup plus grand que dans le reste du Canada.


Pendant le référendum de 1995, le président Chirac, s’il ne prenait pas position sur l'indépendance du Québec,  promettait néanmoins de reconnaître le verdict populaire. Une telle promesse de reconnaissance fait écho à la position consensuelle du Québec, des fédéralistes comme des souverainistes, et est l’exact contraire de la position canadienne.


Ce bloc francophone, si nécessaire pour faire contrepoids à la mondialisation sauvage, est néanmoins menacé par le virage entrepris par la France depuis une dizaine d’années. La nouvelle élite française est dangereuse pour l’avenir.


La nouvelle classe politique française et son milieu des affaires veulent américaniser la France et mettre fin à ses prétendues rigidités et sa résistance face à la mondialisation néolibérale. Leur volonté de tourner la page sur cette spécificité française est à prendre très au sérieux. Les réformes des Sarkozy  (le premier à prendre ouvertement position en faveur d'un Québec dans le Canada et à associer l’indépendance au sectarisme), Hollande et Macron (on le voit en ce moment avec sa volonté de transformer le code du travail) pour rendre la France plus soumise à la mondialisation et à la mal-nommée Union européenne sont claires. Encore cette semaine, Daniel Cohn-Bendit et Jean Quatremer, respectivement député et journaliste à Libération, ont postulé sur les ondes de Radio-Canada que l’Union européenne allait très bien et que le Québec ne serait jamais indépendant.


Nous sommes bien loin de la grandeur à laquelle cette classe politique nous habituait. Où est passé le sens de l'Histoire qui l'habitait ?


France, reviens, le Québec et le monde ont encore besoin de toi !



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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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