Depuis longtemps, la gauche est le bouc émissaire tout désigné des nationalistes comme Gilles Laporte, président du Mouvement national des Québécoises et Québécois (MNQ). L’« entreprise de salut national », que les nationalistes comme lui gèrent depuis plus d’un siècle, n’a jamais rallié derrière elle rien d’autre qu’une ribambelle de clercs, peut-être très bien versés dans les questions identitaires, mais nullards sur les enjeux socioéconomiques de la lutte pour l’indépendance du Québec. D’ailleurs, son factum politique contre la gauche, publié dans Le Devoir de samedi, en est une éloquente démonstration.
D’abord, disons les choses telles qu’elles sont. Depuis plus de cinquante ans maintenant, sans la gauche, la lutte pour l’indépendance du Québec serait restée cantonnée dans le vain combat de la survivance ethnocentrique. Après avoir relancé le combat indépendantiste, entre autres en revisitant ses raisons théoriques, la gauche l’a redynamisé, ce combat, par son volontarisme effréné. Pendant que les nationalistes se regroupaient autour de leur credo limité du « Québec aux Québécois », la gauche élargissait la revendication du pays à faire avec son leitmotiv du « Québec aux travailleurs ».
Si la plupart des progressistes du Québec ont fini par accepter de s’allier aux nationalistes pour faire du Québec un pays indépendant, malgré le fait que le mouvement ouvrier organisé, là où une bonne partie d’entre eux militaient activement, avait dû se battre, parfois violemment, contre le gouvernement nationaliste de Duplessis, il n’en reste pas moins qu’un nombre important de progressistes ont lentement mais sûrement déchanté, au fur et à mesure que le Parti québécois, « un parti de gouvernement », dont le souverainisme d’État, caractérisé par un autonomisme plus prégnant que celui de ses adversaires politiques, dont son géniteur, le Parti libéral, faisait la preuve que son fameux préjugé favorable aux travailleurs n’était qu’une « carotte électorale ».
Projet de société
Les nationalistes ont tout reproché à la gauche. Le fait même de proposer que l’indépendance du Québec devienne un « projet de société réaliste et rassembleur » était considéré, de facto, par les nationalistes, comme une sorte d’arnaque, visant à s’emparer d’une revendication légitime, l’indépendance nationale, pour en faire ensuite le laboratoire des lubies pseudo-progressistes d’une gauche totalitaire ! C’était mettre la charrue devant les boeufs, disaient-ils. Bien que la gauche ait souvent considéré que l’indépendance nationale du Québec avec projet de société progressiste pour rendre la vie humainement plus vivable était une condition sine qua non de son appui, elle n’a jamais balisé la route de l’indépendance, comme n’ont cessé de le faire les nationalistes, avec une série de jalons à poser, ou d’étapes à réaliser, avant d’y arriver.
Les progressistes québécois sont presque tous indépendantistes ; mais ce ne sont pas tous les indépendantistes qui sont progressistes. Les nationalistes de droite et plutôt conservateurs sont beaucoup plus nombreux qu’on le pense généralement. Ceux-là, quand ils nous disent que « l’indépendance n’est ni à droite ni à gauche », qu’elle est quelque part, là-bas, en avant, ne font, en fait, que justifier leur vision d’un Québec indépendant, une vision figée dans le temps et l’espace actuels, où « les vicissitudes du pouvoir… bientôt dirigé par l’infréquentable Pierre Karl Péladeau » n’empêcheront pas leurs amis du Québec inc. d’exploiter rondement les travailleurs ni leurs « lucides » alliés médiatiques de faire avaler la pilule de l’austérité aux Québécois.
Quand la gauche faisait de « la lutte des classes » le moteur de l’histoire des sociétés, les nationalistes lui reprochaient son radicalisme et surtout de faire peur au peuple québécois, reconnu — par qui ? — comme un peuple pacifique, jovialiste, voire pusillanime. Ne fallait-il pas aller au même rythme que le peuple, ne pas le brusquer, ne rien déranger, y aller en douceur, un référendum à la fois ? Le soi-disant combat que mènent les nationalistes pour défendre le modèle québécois, menacé ces temps-ci par les réelles « attaques du gouvernement Couillard », n’est-il pas un modèle de capitalisme qui n’aurait jamais posé problème, comme le prétendait Jacques Parizeau ? Pourtant, ce modèle, dont la petite élite clérico-nationaliste est si fière, la gauche, un moment donné, l’a combattu, souvent toute seule, quand sa riposte était autre chose « que la simple défense d’intérêts corporatistes », quand elle n’avait effectivement rien d’autre à proposer « que de résister », mais qu’elle y mettait tout son coeur, toute son énergie, alors que les nationalistes, eux, pendant ce temps-là, motivaient les structures d’exploitation du capitalisme à la québécoise, sous Duplessis comme sous Lévesque, au nom « de la conservation duu rôle tutélaire de notre État national ».
Après avoir été accusée de jouer les idiots utiles du fédéralisme, parce qu’elle souhaitait l’unité de la classe ouvrière canadienne, d’un océan à l’autre, recherche d’unité qui a tout de même connu un certain succès, la gauche n’a repris depuis que le combat de l’indépendance, abandonnant en chemin celui du socialisme. Elle n’a pas renoué avec un type d’organisation voué à la défense des intérêts des travailleurs, elle est devenue une formation politique réformiste, jouant le jeu électoral qui la confine essentiellement « à l’opposition perpétuelle ». Revenir au point de départ, aux raisons fondamentales de faire du Québec un pays, c’est la tâche des progressistes, s’ils veulent continuer à se dire de gauche.
LA RÉPLIQUE › INDÉPENDANCE
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