Le premier ministre du Québec, Jean Charest, a reçu le 2 février à Paris les insignes de Commandeur de l’ordre de la Légion d’honneur des mains du président de la République française, Nicolas Sarkozy.
L’Ordre national de la Légion d’honneur est la plus haute distinction accordée par l’État français à ses citoyens, mais également aux personnalités étrangères ayant servi les intérêts de la France. Dans son allocution, le premier ministre Jean Charest a insisté sur les liens historiques en retraçant certains jalons de la « relation directe et privilégiée » entre le Québec et la France. « L’honneur que vous me faites aujourd’hui est pour moi un moment de grand bonheur. Je le reçois comme le témoignage de l’amitié éternelle qui unit la France et le Québec », a déclaré le premier ministre.
La remise de cette décoration au Palais de l’Élysée a été précédée d’un entretien entre MM. Charest et Sarkozy. Il s’agissait de leur première rencontre depuis la visite à Québec du président français en octobre dernier. À cette occasion, le premier ministre Charest et le président Sarkozy avaient notamment conclu une entente sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles destinée à répondre plus efficacement aux besoins de main-d’œuvre au Québec et en France.
Était présent à la cérémonie le ministre des Relations internationales et ministre responsable de la Francophonie, Pierre Arcand. Celui-ci amorçait le jour même une première mission en sol européen à Paris, où il a rencontré le ministre des Affaires étrangères et européennes de France, Bernard Kouchner, ainsi que le Secrétaire d'État chargé de la Coopération et de la Francophonie, Alain Joyandet.
Le ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, Raymond Bachand, et la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, étaient également sur place.
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Le premier ministre Jean Charest décoré Commandeur de la Légion d’honneur de la République française
Paris, le 2 février 2009 – Voici l’allocution du premier ministre du Québec, Jean Charest, alors qu’il a reçu aujourd’hui du président de la République française, Nicolas Sarkozy, les insignes de Commandeur de la Légion d’honneur. La version prononcée fait foi.
« Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Premier Ministre de la France,
Monsieur le Premier Ministre et Sénateur de la Vienne,
Monsieur le Secrétaire général de la Francophonie,
Monsieur le Secrétaire d’État chargé de la Coopération et de la Francophonie,
Monsieur le Grand Chancelier de la Légion d’honneur,
Distingués invités,
L’honneur que vous me faites aujourd’hui est pour moi un moment de grand bonheur.
Je le reçois comme le témoignage de l’amitié éternelle qui unit la France et le Québec.
Je le reçois comme la reconnaissance de la contribution de mon gouvernement à cette relation séculaire qui unit nos peuples, « nos peuples frères », comme vous le dites, Monsieur le Président, par-delà l’océan et les aléas de l’histoire.
Je le reçois au nom de tous les miens qui, avec courage et détermination, ont gardé vivantes la langue et la culture françaises en terre d’Amérique pendant 400 ans.
Je le reçois aussi avec le doux souvenir de mes premières découvertes de la France avec la famille de mon épouse Michèle. La famille Dionne et en particulier son père, le docteur Philippe Dionne, que je salue aujourd’hui, m’ont fait découvrir la France; le pays, son histoire, ses régions et ses accents.
Cette langue que le docteur Dionne aimait au point de consacrer ses heures de loisirs à la traduction en français d’ouvrages médicaux.
Ce pays où voyageait cette famille le plus souvent et le plus longtemps possible.
Je le reçois avec ce doux souvenir que je partage avec mon épouse Michèle et que je lègue à mes enfants Amélie, Antoine et Alexandra.
De la fondation de Québec, en 1608, à la fin du régime français, en 1760, c’est plus de 10 000 fils et filles de France qui se sont installés chez nous.
C’est dire combien ils ont dû être déterminés, nos ancêtres communs, farouches et ardents aussi pour peupler le Québec et conserver leur héritage.
Cela tient bien du prodige, Monsieur le Président, que nous soyons aujourd’hui côte à côte à parler français.
De Montesquieu, à Voltaire, à Choiseul, ils ont été nombreux, les intellectuels et les ministres qui ont encouragé les rois, surtout Louis XV, à renoncer au projet coûteux de la Nouvelle-France.
Voltaire en fera presque une croisade; il parlera de ce « pays couvert de neiges et de glaces huit mois dans l’année, habité par des barbares, des ours et des castors…».
Soixante-dix ans plus tard, lors de son voyage initiatique aux États-Unis, Alexis de Tocqueville passera 15 jours au Canada. Il sera marqué par le Québec.
À son correspondant, l’Abbé Le Sueur, il écrira ceci dans une lettre datée du 7 septembre 1831 :
« Ce qui nous a intéressés le plus vivement au Canada, ce sont ses habitants. Je m’étonne que ce pays soit si inconnu en France. Il n’y a pas six mois, je croyais comme tout le monde que le Canada était devenu complètement anglais. […]
Aujourd’hui, il y a dans la seule province du Bas-Canada 600 000 descendants de Français. […] Ils sont aussi Français que vous et moi. […] Comme nous, ils sont vifs, alertes, intelligents, railleurs, emportés, grands parleurs et fort difficiles à conduire quand leurs passions sont allumées. »
Et 178 ans plus tard, les Québécois n’ont pas beaucoup changé.
Les relations entre la France et le Canada français ont été marquées par une longue période de silence.
Le lien entre nos peuples n’a jamais été totalement rompu. La religion catholique, le commerce puis la littérature ont nourri le souvenir… et préparé l’avenir.
C’est Adolphe Chapleau, premier ministre québécois, qui posera la première pierre d’une relation directe et privilégiée entre le Québec et la France.
En 1882, il crée le poste d’agent général de la province de Québec à Paris, dont le premier titulaire sera le journaliste et libraire Hector Fabre.
Cette initiative diplomatique vaudra à Adolphe Chapleau de devenir le premier, premier ministre du Québec décoré de la Légion d’honneur.
À partir de 1887, il y a assez de Canadiens français à Paris pour qu’on y célèbre la Saint-Jean-Baptiste. En 1893, les Québécois à Paris ont leur lieu de retrouvailles, un bar qui s’appelle La Boucane1.
Quelques années plus tard, l’Europe s’embrase. Et pour la première fois, des fils du Québec font à rebours le chemin de leurs ancêtres et vont combattre à Verdun au nom de la liberté et de la justice.
C’est dans ces années que Louis Hémon, né à Brest, écrit, depuis le Québec, Maria Chapdelaine. Ce livre connaîtra dans les années 20 un immense succès et fixera dans l’imaginaire français l’image du Québécois coureur des bois.
Et puis, il y aura la guerre, encore la guerre.
Monsieur le Président, en 2004, j’ai marché sur la plage Juno, cette plage de Normandie où 14 000 des nôtres sont débarqués le 6 juin 1944. Je me suis rendu au cimetière de Bény-Reviers.
J’ai marché parmi les 2 049 pierres blanches qu’on trouve dans ce cimetière de Normandie. Les soldats qui y sont enterrés ont souvent l’âge de mes enfants et les noms de nos voisins.
On les pleurait encore lorsque Félix Leclerc a traversé l’océan avec sa guitare et son P’tit bonheur.
En 1964, avec l’ouverture de la Délégation générale du Québec à Paris, prend forme une véritable relation privilégiée et directe entre la France et le Québec.
À cette époque où les Québécois se munissaient des outils de la modernité, le général de Gaulle, dans une visite historique, est venu nourrir l’élan nationaliste d’un peuple qui redécouvrait sa fierté.
Depuis, chacun de vos prédécesseurs, Monsieur le Président, et chacun de mes prédécesseurs ont nourri cette relation qui embrasse maintenant tous les domaines de la vie économique, sociale et culturelle.
Aujourd’hui, la relation entre la France et le Québec met en scène deux peuples adultes et libres, séparés par un océan, mais réunis par l’histoire, par le sang et par le cœur.
Cette relation unique s’inscrit dans l’évolution de nos sociétés respectives. Elle reflète notre ambition, notre fierté et notre attachement à cet héritage que nous avons en commun et qui est plus qu’une langue, c’est le souffle d’une civilisation.
Cette relation trouve son expression par la présence de nos artistes. Par les relations que nous avons nouées avec les régions de France; par tous ces groupes d’amitié qui s’inscrivent dans le sillon tracé depuis plus de 30 ans par l’Office franco-québécois pour la jeunesse.
Cette amitié, cette fraternité, continue d’accumuler des précédents.
En novembre 2004, avec le premier ministre Jean-Pierre Raffarin, nous avons porté pour la première fois la coopération France-Québec dans un pays tiers lors d’une mission économique conjointe au Mexique.
En 2005, à l’UNESCO, le Québec, la France et le Canada ont fait front commun pour que soit adoptée une convention visant à protéger la diversité des expressions culturelles, affirmant ainsi que l’âme des peuples n’est pas un objet de commerce.
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Les explorateurs français qui ont fondé le Québec et donné naissance au peuple Québécois étaient à la recherche du Nouveau Monde.
Le destin a voulu, 400 ans plus tard, que nous nous trouvions au cœur d’une crise financière internationale sans précédent et d’une crise environnementale qui menace l’avenir de l’humanité.
Quatre cents ans plus tard, nous sommes appelés à la fondation d’un monde nouveau.
Ce monde nouveau, nous allons y contribuer en créant un nouvel espace de liberté pour nos citoyens.
Nous avons signé, en octobre dernier, dans notre Assemblée nationale, une entente sans égale dans le monde, une entente qui crée un premier corridor de mobilité entre deux continents, une entente qui crée un espace de mobilité entre deux peuples.
Ce nouveau monde, c’est un accord transatlantique ambitieux et sans précédent entre l’Union européenne et le Canada, qui donnera naissance à une collaboration intense sur les plans économique, social, institutionnel et culturel.
Le Québec sera la porte d’entrée de l’Europe dans ce nouvel espace de coopération entre les deux continents.
En nous tournant vers l’avenir pour fonder ce monde nouveau, nous nous tournons l’un vers l’autre.
Pour l’avenir de ce nouveau monde, il n’est plus question de découverte de territoires, mais bien de la redécouverte de notre humanité, de la création d’un nouvel espace de vie commune.
Quatre cents ans après la fondation de la ville de Québec par Samuel de Champlain, la France et le Québec marchent côte à côte, partageant des idéaux et une vision du progrès dont le monde a besoin.
Par votre intermédiaire, Monsieur le Président, je rends hommage au peuple français, dont je salue le courage et le génie, et au nom de notre amitié, je vous remercie. »
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1 FRANCE-CANADA-QUÉBEC 400 ANS DE RELATIONS D’EXCEPTION, Les Presses de l’Université de Montréal, 2008, p. 109
La France honore Jean Charest
l’allocution du premier ministre du Québec, Jean Charest
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