À peine la moitié des indépendantistes garde espoir d’assister « un jour » à la concrétisation de leur projet de pays du Québec, selon un sondage CROP préparé pour la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, rattachée à l’Université Laval, dont Le Devoir a obtenu copie.
Pour le camp du Non, l’affaire est réglée. Moins d’une personne sondée sur 10 entrevoit la possibilité que le Québec accède « un jour » à l’indépendance (7 % contre 53 %). En somme, moins d’un Québécois sur cinq pense que le projet indépendantiste mènera quelque part (22 %).
« [Au lendemain du référendum du 30 octobre 1995], on disait “la prochaine manche, c’est pour bientôt”. Ça ne semble plus être le cas », soutient le professeur de droit Patrick Taillon à la veille d’un colloque sur la démocratie référendaire dans les États plurinationaux, vingt ans après le dernier référendum québécois, à l’Université Laval.
Le coup de sonde crédite néanmoins le Oui de 36 % des voix et le Non de 64 % des voix. Le projet de pays du Québec rebute au premier chef les jeunes. Sept électeurs âgés de 18 à 34 ans sur 10 répondraient non à la question : « Voulez-vous que le Québec devienne un pays indépendant ? »
Cependant, une minorité de la population québécoise est aujourd’hui d’avis que le Québec a l’étoffe d’un État indépendant, selon le sondage. En effet, 47 % des répondants croient que le Québec a la capacité de devenir un pays indépendant. Ceci n’est pas étranger au « discours ambiant » sur l’état des finances publiques du Québec, selon le directeur éxécutif de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, Éric Montigny.
Ces données statistiques traduisent la « démobilisation » dans le camp du Oui, fait valoir le vice-président de la firme CROP, Youri Rivest. À ses yeux, celui-ci doit notamment s’affairer à rendre « pertinent », « actuel » et « tangible » le projet indépendantiste. « Le défi du camp du Oui, ce n’est pas tant de convaincre de la capacité [du Québec] d’être un pays indépendant, mais [de dire] : “On va le faire. On va arrêter de perdre.” », soutient-il. M. Taillon, ex-président du Comité national des jeunes du Parti québécois, convient aussi de la nécessité des indépendantistes de trouver une façon de « se défaire de l’étiquette de perdants » collée sur eux depuis 1980.
Appétit constitutionnel
Les Québécois rejettent le projet indépendantiste, mais ne se satisfont pas pour autant de l’immobilité sur le front constitutionnel des décideurs politiques québécois et canadiens, montre le sondage CROP. En effet, le statu quo convient à 29 % des répondants. Par contre, 44 % des Québécois voient d’un bon oeil le Québec demeurer un membre de la fédération canadienne, mais en vertu d’une « nouvelle entente avec le Canada ». Le prof Taillon s’accroche à cette « donnée réconfortante ». « Dieu merci ! Le statu quo est peu populaire, surtout chez les francophones. Il y a encore une volonté de changement », lance-t-il.
« La première option des Québécois, c’est la négociation d’une nouvelle entente dans le cadre canadien. Ça, pour moi, c’est révélateur », poursuit M. Montigny, ajoutant que les jeunes ont le plus grand appétit pour la tenue de discussions constitutionnelles entre le Québec et le ROC (« rest of Canada »). « Historiquement, ç’a toujours été lesplus jeunes générations qui tiraient le mouvement souverainiste. […] Ce n’est plus le cas. Au contraire, l’électorat qui appuie l’indépendance est vieillissant et ne se renouvelle pas. Les jeunes ont espoir qu’il y ait une nouvelle entente au sein du Canada. »
À l’approche du 150e anniversaire de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 40 % de la population québécoise estiment qu’une réforme constitutionnelle est « possible ». Ces données déboulonnent les mythes voulant que « le fruit ne soit pas mûr » ou que l’« [exercice] soit perdu d’avance », selon M. Montigny.
Le sondage montre aussi qu’« il n’y aura rien à fêter » vendredi, vingt ans jour pour jour après la victoire à l’arrachée du Non, ni pour les fédéralistes ni pour les souverainistes… sauf peut-être pour les partisans du statu quo. « Pour eux, la victoire est complète, signale M. Taillon. À l’inverse, il y a beaucoup de Québécois qui ont voté Non, mais en rêvant à l’idée qu’un autre Canada est possible, que le Québec, en s’investissant dans le Canada, pourrait le transformer. [Pour eux], il n’y a pas vraiment matière à réjouissance », avance l’avocat.
D’ailleurs, 45 % des répondants sont d’avis que l’impact du référendum de 1995 a été néfaste pour le Québec. La population québécoise « se demande encore : “Ç’a donné quoi, ce débat qui a été déchirant ?” »… hormis le « recul » de la Loi sur la clarté référendaire, indique M. Montigny.
« Le fameux concept de “société distincte” fédère toujours les Québécois » deux décennies après le dernier référendum, fait remarquer Éric Montigny. D’ailleurs, les Québécois et les Canadiens hors Québec ont des valeurs très différentes, soutient une majorité significative des personnes sondées par CROP (72 %).
S’ils rejettent en bloc le projet indépendantiste, les jeunes se disent « avant tout Québécois » (66 % d’abord Québécois, 34 % d’abord Canadiens). Dans l’ensemble des personnes sondées, 58 % se disent d’abord Québécoises et 42 % se décrivent d’abord Canadiennes. Dans ce contexte, le projet « Indépendance, point » promu par le PQ — « pas de partenariat, pas de souveraineté-association, etc. » — est « très difficile ». « On demande aux gens de renoncer à une partie d’eux-mêmes. Oui, leur allégeance première est au Québec, mais le Canada fait partie d’eux », affirme M. Rivest.
Le sondage a été mené en ligne entre le 15 et le 18 octobre 2015 auprès de 1000 personnes au Québec.
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